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Valls et ses idées pour la France 2025 : à quoi pourrait ressembler la police 3.0 ?
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Kesako ?

Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls rend ce lundi au président de la République sa vision de la France en 2025. Il estime, entre autres, que la police doit "réaliser un saut technologique" et parle en cela de "forces de l'ordre 3.0".

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Atlantico : Dans sa copie rendue sur la France de 2025, le ministre de l’Intérieur suggère que les forces de l’ordre doivent « réaliser le saut technologique ». Qu’est-ce que cela veut dire ? La police française est-elle réellement en retard de ce point de vue-là ?

Patrice Ribeiro : Cela veut dire tout d'abord : être présent sur les réseaux sociaux. Car aujourd’hui beaucoup de choses s'y passent. Le but est de pouvoir faire face à une des menaces protéiformes. Il s’agit de pouvoir détecter les menaces criminelles, fondamentalistes, extrémistes (de gauche comme de droite). Il faut pouvoir exploiter ce qu’on appelle les "signaux faibles" qui se trouvent, heureusement ou malheureusement, essentiellement sur la toile. Force est de constater que la France possède un retard là-dessus. En revanche, nous avons une avance technologique en ce qui concerne les services du renseignement (DGSE en tête) et la cybercriminalité. Mais cela n’empêche qu’il faut toujours rester vigilant et notamment sur ces menaces protéiformes.

En effet, ce sont des menaces (comme le regroupement de djihadistes, les vidéos de salafistes, les idées radicales…) qui infusent par les réseaux sociaux. Dès lors, la police a besoin d’être présente sur la toile. Mais il ne s’agit pas d’être présent pour être présent, il s’agit de relier les auteurs entre eux, de recouper avec des méthodes plus traditionnelles (filature, surveillance de lieux de culte, de mouvements extrémistes) pour obtenir des résultats.

De plus, à l’heure actuelle, la DGSE dispose de moyens (essentiellement en matière de terrorisme), encadrés juridiquement, qui permettent de mener des investigations ou de procéder à des interpellations en dehors du cadre judiciaire habituel. Mais l’objectif est que le droit commun se rapproche du cadre juridique en matière de terrorisme, notamment sur l’identification des sources, de certaines adresses internet. A l’heure actuelle, il y a des barrières juridiques qui nous sont imposées et qui ne le sont pas en matière d’espionnage et de contre-espionnage.

Par rapport à d’autres pays, nous avons un retard certain, surtout sur la surveillance des réseaux sociaux. De ce point de vue-là, une très bonne expérience a été menée par la police anglo-saxonne lors des émeutes de Londres (en août 2011 ndlr). A cette époque, les services de police anglais se sont rendu compte qu’ils étaient en retard. En effet, la plupart des émeutiers correspondaient par BlackBerry et son service de messagerie. Les casseurs et les pilleurs se donnaient rendez-vous grâce à ces BBM. Les policiers ont dû obtenir des injonctions pour accéder à ses services et présent au moment opportun. Là-dessus, la France est en retard. Si on devait avoir des émeutes comme en 2005 et si les casseurs suivaient le schéma anglais, la police française ne serait pas en mesure de réagir. Mais ce n’est pas tant la technologie qui fait défaut que le manque de moyens humains pour analyser et trier cette masse d’informations requises.

Qu'est-ce qu'une police 2.0 à l'heure actuelle ? S'agit-il des technologies existantes connues du grand public ?

En France, nous avons une législation extrêmement rigoureuse, ténue sur le recoupement des sources d’informations et des fichiers. Nous avons l’autorité indépendante qu’est la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés, nldr). Mais c’est tout. La France est un des rares pays européens où le recoupement des fichiers est laborieux. En même temps, la surveillance des réseaux sociaux nécessite de lourds moyens en termes de personnel et de matériel. Car recueillir l’information est une chose, pouvoir l’exploiter, l’analyser et la rendre lisible aux services qui luttent contre la criminalité en est une autre.

Cependant, en France, à l’heure actuelle, les moyens technologiques permettent pratiquement tout. C’est-à-dire que les possibilités sont presque infinies. Les progrès technologiques sont tels que la surveillance est de plus en plus poussée. Mais là où le bât blesse, c’est le cadre juridique. En effet, en 2013, nous n’avons pas encore le droit de croiser des logiciels de reconnaissance faciale avec certains types de fichiers. C’est tout l’équilibre entre liberté d’expression et liberté individuelle sur les réseaux sociaux et l’identification des auteurs, le croisement avec des fichiers fiscaux, criminels ou de la sécurité sociale. Le problème est de pouvoir recouper la photo d’une personne avec un logiciel d’identification faciale. Aujourd’hui, les policiers n’ont par exemple pas facilement accès aux dossiers de la sécurité sociale ou à ceux du fisc pour mener leurs enquêtes.

Je le répète : nous avons toutes les technologies mais le cadre juridique ne suit pas. C’est là tout le paradoxe de la France : on cherche à préserver les libertés individuelles, les droits de l’homme plutôt que de lutter efficacement contre la criminalité. Les outils technologiques ont les a. Ils sont sans limites. Ils progressent même de jour en jour. Mais, ensuite, il y a un problème d’encadrement pour pouvoir faire entrer en procédure les éléments recueillis sur le web. Il y a un no man’s land juridique qui pose problème.

Comment passer d’une police 2.0 à une police 3.0 ? Quelles sont les innovations nécessaires qui manquent actuellement en France ? 

Comme je l’ai déjà dit la France a un problème de moyens de surveillance de tout ce qui est Internet, réseaux sociaux, sites cryptés etc. Il faut donc mettre en place un cadre juridique pour pouvoir arriver à exploiter tout cela. Mais c’est extrêmement compliqué. Si aujourd’hui vous appelez au djihad, à des idées anti-républicaines ou attentatoires à la sécurité nationale depuis un site étranger, il est très complexe de vous poursuivre en France.

Le principal problème demeure le recoupement des fichiers. Les forces de l’ordre en France sont techniquement capables d’utiliser des logiciels de reconnaissance faciale ou un système de vidéo-patrouillage mais il faut pouvoir les recouper avec les bases de données. Le vrai problème est que la technologie est sans cesse en avance sur la législation. On peut le faire de manière technologique mais en pratique cela se heurte au cadre juridique trop restreint.

Pour Manuel Valls les forces de l’ordre ont un double défi à réaliser d’ici à 2025. Il s’agit de "combattre efficacement une délinquance aux formes, aux localisations et aux pratiques mouvantes tout en œuvrant au renforcement du lien de confiance qui les unit aux citoyens". Comment y parvenir ? Les moyens actuellement mis en place sont-ils suffisant ?

Pour y parvenir, il faut mettre en place davantage de moyens humains pour exploiter plus les moyens technologiques. Ceux-ci ne sont rien sans l’être humain derrière. Car même si on dispose de moyens innovants, de photographies, de faisceaux d’indices qui vous permettent de mener vos enquêtes, il faut des gens derrière qui soient en mesure d’exploiter ces renseignements et de les décliner dans les cadres spécialisés. C’est là la véritable difficulté.

L'enjeu des dix prochaines années tournera également autour de l'intégration de l'innovation aux stratégies de sécurité. Plutôt que de développer à outrance les nouvelles technologies, ne faut-il pas renforcer les dispositifs de terrain ? Faut-il plutôt faire passer l’humain avant les machines ?

Aujourd’hui, les gens ne se déplacent pas nécessairement dans les commissariats. Ils peuvent se plaindre sur Internet avec le système de la pré-plainte en ligne. C’est annoncé comme une révolution en France mais cela existe en Italie depuis dix ans. Nous avons un vrai retard là-dessus. Mais encore faut-il pouvoir lui donner une suite avec un contact humain. La technologie ne doit en rien remplacer l’humain. Le principe est de porter plainte via Internet et d’arriver dans un commissariat pour avoir une gestion physique et humaine de votre cas. C’est cela l’essentiel. En revanche, l’humain ne pourra pas avoir une capacité d’action suffisante sans développement de la technologie. L’un n’est pas exclusif de l’autre.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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