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Valls-Bayrou, Hollande-Macron, Le Pen et… : à quelles alliances surprenantes pourrions-nous assister en 2017 ?
©REUTERS/Philippe Wojazer

Game of Thrones

Alors que les candidats à l'élection présidentielle vont, au cours de ce mois de janvier, donner un coup d'accélérateur à leurs campagnes, des rapprochements étonnants pourraient avoir lieu...

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que les campagnes des uns et des autres, dans le cadre de l'élection présidentielle, vont s'accélérer à partir du mois de janvier, peut-on s'attendre à ce que des alliances "surprenantes" se forment ?

Jean Petaux : "Des alliances surprenantes" seraient essentiellement des regroupements qui transcenderaient le "sacro-saint" clivage droite-gauche qui, globalement, caractérise la vie politique française nationale depuis 1962. On peut aussi concevoir qu’il y aurait quelque surprise à voir Jean-Luc Mélenchon soutenir Manuel Valls (que dirait-on alors d’une alliance Mélenchon-Macron ?) ou un François Fillon faire alliance avec une Marine Le Pen. Donc globalement, la surprise viendrait que dans le "quatre-quart" que constitue le modèle de la vie politique partisane française, l’un des quarts s’associe avec l’un des trois autres.

Restent donc possibles des alliances à la marge mais qui, pour être ainsi qualifiées, ne sont pas du tout marginales au sens de secondaire. Elles peuvent être symboliquement significatives (et l’on sait combien les symboles comptent en politique) et pratiquement (électoralement) stratégiques. Ces alliances, entre par exemple Bayrou et Fillon ou entre Bayrou et Macron ou entre Valls et Bayrou, voire entre le vainqueur de la primaire de la Belle Alliance Populaire et Macron ou Mélenchon seront amplement commentées, largement décryptées, mais elles n’auront une réalité objective que si elles se traduisent concrètement en sièges de députés. C’est donc la contre-valeur parlementaire de l’alliance politique celée pour la présidentielle qui donnera sa pleine consistance à cette dernière. Pour faire simple, il s’agira de compter à chaque fois le prix du ralliement de tel ou tel à l’aune des "circonscriptions réservées" pour telle ou telle formation dont le leader se sera rallié à un "grand candidat". Ce jeu de troc est destiné à assurer, dans la mesure du possible, la présence d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale après les législatives de juin 2017. Un groupe parlementaire c’est, en effet, la garantie de moyens matériels, de postes, de collaborateurs, permettant de "survivre" pendant une mandature. C’est ce qu’ont fait les Verts d’EELV en 2012 en négociant un certain nombre de circonscriptions législatives avec Martine Aubry à la tête du PS alors, en poussant même très loin le "bouchon", puisque cet accord législatif ne s’est même pas opéré contre une non-candidature à la présidentielle; même si celle d’Eva Joly était, sans doute, une "non-candidature" par ailleurs.

Le plus probable sera que François Bayrou, une fois passée la primaire de la Belle Alliance Populaire, se détermine dans un sens ou dans un autre, début février. Mais s’il se rallie à l’un des "poids lourds" candidats (Fillon ou Valls – étant entendu que c’est avec ce seul candidat à la primaire de la Belle Alliance Populaire que Bayrou pourrait éventuellement passer une alliance) il l’aura fait contre l’assurance d’un certain nombre de "retours" : sièges de députés, perspectives ministérielles ("primo-ministérielles" plus exactement…), réforme du mode de scrutin législatif, etc. Sinon, on voit mal l’intérêt que le maire de Pau trouverait, une fois de plus, à jouer un rôle quelconque dans la prochaine séquence politique. A moins qu’il ne décide d’être candidat pour une quatrième fois, sans chance de succès, ce qui le rapprochera du destin d’Arlette Laguiller.

Bruno Cautrès : Bien que l’élection présidentielle de 2017 donne le sentiment d’être une "élection de tous les possibles", les alliances électorales sont commandées par certaines règles bien connues de spécialistes du vote. Généralement, un parti politique ou un candidat ne s’engage dans une alliance avec un autre parti ou un autre candidat que si le gain espéré (en voix ou en sièges) est plus important que s’il se présentait seul devant les électeurs. Par ailleurs, les alliances électorales peuvent prendre des formes très différentes et il faut tenir compte des séquences électorales pour les comprendre: dans le cas français actuel, on ne peut comprendre le rapprochement entre des candidats à la présidentielle sans tenir compte du fait que se tiennent quelques semaines après les législatives. Certains rapprochements entre candidats ou partis peuvent donner lieu à des coalitions pour gouverner, dont le contenu et les conditions peuvent être négociées avant ou après les élections.

Dans les systèmes électoraux majoritaires du type de celui que nous avons en France pour l’élection présidentielle ou les élections législatives, les grands partis ont tendance à vouloir négocier leurs alliances avant que ne débute la séquence électorale présidentielle-législatives afin de mieux contrôler leurs "petits" partenaires pendant tout cette séquence. Tout ceci pour dire que des alliances électorales "surprenantes" est une expression presque antinomique tant les règles du jeu des alliances semblent contraignantes. On peut néanmoins observer que les fortes tensions qui s’exercent sur le système partisan français peuvent tout à fait produire des effets et des situations surprenants. Ainsi, on a bien vu dans la primaire de la droite et du centre que le projet défendu par Alain Juppé n’était pas porteur des mêmes alliances électorales que celui porté par Nicolas Sarkozy ou même François Fillon. Une victoire d’Alain Juppé aurait pu, à terme, déboucher sur une alliance avec les composantes les plus centristes de la gauche. De même, le projet politique d’Emmanuel Macron vise à faire imploser l’ordre électoral gauche-droite et à recomposer une "nouvelle alliance" entre des éléments de la gauche et de la droite.

Ce jeudi 29 décembre, Le Canard Enchaîné faisait état d'une possible alliance entre François Bayrou et François Fillon. Le maire de Pau serait également très proche de Manuel Valls et certains évoquent un possible rapprochement entre les deux hommes, notamment en vue d'affaiblir la candidature d'Emmanuel Macron. Si François Bayrou décidait de ne pas se présenter à l'élection présidentielle, à qui pourrait-il se rallier ?

Bruno Cautrès : Quelles que soit les sources du Canard enchaîné ou leur justesse, on constate depuis la victoire de François Fillon à la primaire que François Bayrou est dans une situation délicate : ce n’est pas le scenario qu’il avait prévu et il lui faut adapter sa stratégie. François Bayrou a une équation difficile à résoudre : d’une part, dans le contexte de son élection comme maire de Pau avec le soutien de LR, il avait affirmé son appartenance au camp du centre-droit au sens du centre allié avec la droite; d’autre part, il ne se retrouve certainement pas totalement dans le projet très droitier de François Fillon. Pour le moment, il envoie des signes manifestant sa bonne volonté vis-à-vis de François Fillon tout en faisant passer le message qu’en l’état, ce projet ne lui parait pas fédérateur de la droite et du centre, et ne lui parait pas susceptible d’être approuvé par une majorité de Français. Il prépare donc une éventuelle annonce de candidature à la présidentielle mais sans que cela n’apparaisse comme une candidature de témoignage ou de réaction face à son projet politique contrarié de soutien à Alain Juppé.  

Cette éventuelle candidature (ce serait la quatrième) est néanmoins risquée pour lui : Emmanuel Macron a capté une bonne partie des électeurs séduits par l’approche centriste; si François Bayrou n’y va pas, il "lègue" son héritage centriste à Emmanuel Macro ; s'il y va, il peut faire un score décevant. Grand dilemme ! Ce sont toutes ces raisons qui alimentent l’idée d’une alliance de François Bayrou avec Manuel Valls afin de "tuer" ensemble la candidature Macron… Mais je n’y crois guère malgré le fait que le maire de Paul et l’ancien Premier ministre ont de bonnes relations. François Bayrou n’a cessé de critiquer les orientations du quinquennat de François Hollande et une alliance avec Manuel Valls obligerait ce dernier à reconnaître que ces critiques étaient fondées….. une situation totalement ubuesque...

Jean Petaux : François Bayrou (personnalité complexe à intégrer dans un collectif…) n’a guère d’opportunités d’alliances possibles. J’en vois deux : l’une avec Fillon, l’autre avec Valls. Avec François Fillon, l’alliance pourrait être de nature politique, facilitée par de nombreuses alliances, lors des dernières régionales par exemple, entre LR et Modem. Dans les conseils municipaux où la droite est majoritaire, de nombreuses alliances existent aussi entre les partisans de Fillon (Les Républicains avec toutes leurs nuances) et ceux de Bayrou. Même chose dans les départements et les régions gagnées par la droite et le centre en décembre 2015. On pourrait même considérer qu’il y aurait une certaine cohérence à ce qu’au plan national (présidentiel et/ou législatif), ce type d’alliances se concrétise aussi. Il reste que l’ambition des acteurs vient quelque peu contrecarrer ce schéma. Bayrou n’attendait vraiment pas Fillon comme vainqueur de la primaire de la droite. Les deux personnalités se connaissent bien. Elles se sont retrouvées ensemble à soutenir Balladur en 1993 et, toutes les deux, rares ministres "balladuriens" qui ont échappé aux "mines de sel" après la victoire de Chirac en 1995 à la présidentielle. Bayrou est resté à l’Education nationale (et n’y a rien fait) ; Fillon était en charge de la Poste, des Télécommunications et de l’Espace jusqu’en juin 1997. Cette proximité de destins politiques crée des liens, renforcée par une tradition "chrétienne-démocrate" partagée par les deux. Mais elle peut tout aussi bien engendrer une forme de méfiance réciproque.

Une alliance Valls-Bayrou, plus surprenante qu’un binôme Fillon-Bayrou, s’inscrirait dans la volonté de Valls de sortir du schéma droite-gauche traditionnel, et surtout dans une forme d’encerclement de Macron. Elle est peu probable pour plusieurs raisons. La première est évidente : Manuel Valls n’est pas du tout assuré de gagner la primaire de la Belle Alliance populaure le 29 janvier prochain. La deuxième tient au fait que le vainqueur de la primaire aura intérêt à "muscler" sa gauche s’il ne veut pas voir un Mélenchon débaucher par brassées entières les électeurs qui auront voté Hamon ou Montebourg et qui seront dégoûtés d’une victoire de Valls. La troisième tient à ce que j’évoquais dans ma première réponse : de quelle monnaie d’échange politique disposerait Valls pour conclure une alliance avec Bayrou ? Combien de sièges de députés peut-il proposer à Bayrou ? Comme le PS n’a pas le vent en poupe en ce moment (c’est le moins que l’on puisse dire), comme il dispose de beaucoup de députés sortants qui vont avoir les pires difficultés à conserver leur siège, la configuration est la pire possible pour négocier quoi que ce soit en ce moment pour le PS avec tel ou tel allié potentiel. Il en va en politique comme du reste : pour négocier il faut être fort; pour être fort, il faut avoir des ressources; et pour avoir des ressources, il faut être en mesure de les protéger.

Ce vendredi 30 décembre, Richard Ferrand, député du Finistère et secrétaire général d' "En marche !", a déclaré qu'il existait une "proximité" entre le projet présidentiel de Macron et les orientations auxquelles François Hollande "semble attaché". Le chef de l'Etat pourrait-il soutenir la candidature d'Emmanuel Macron ? Quelle forme cette alliance pourrait-elle prendre ? Dans quelle mesure celle-ci impacterait-elle le candidat désigné à l'issue de la primaire de gauche ? 

Jean Petaux : Cela fait beaucoup de questions… Pour l’heure (et les propos du chef de l’Etat dans ses vœux hier soir le confirment), François Hollande ne prendra aucunement partie dans le débat de la primaire du PS et de ses alliés. Retenons quand même l’allusion à la nécessité de ne pas se disperser au risque de s’affaiblir. Retenons aussi le message de Bernard Cazeneuve dans son entretien au JDD publié le dernier jour de l’année 2016, disant en substance : "L’histoire jugera sévèrement Mélenchon et Macron si la gauche est éliminée dès le premier tour de la présidentielle". Comme on peut considérer, sans grand risque de faire une erreur, que tout ce que dira Bernard Cazeneuve pourra être pris comme une pensée du chef de l’Etat, on comprend mieux le message que va faire passer François Hollande une fois connu le résultat de la primaire de la Belle Alliance Populaire fin janvier. Il peut se résumer ainsi : "OK… Chacun s’est compté. Vous avez fait en sorte que je dégage du jeu. Aucun d’entre vous n’a été en mesure de battre clairement les autres. Fin de la récréation : ralliez-vous à Macron pour éviter un désastre".Mais ce message-là ne sera jamais dit avec autant de force et de clarté. Il y a donc une forte probabilité pour que l’ambiguïté demeure le plus longtemps possible.

Bruno Cautrès : Je ne pense pas que François Hollande indiquera une préférence avant le premier tour de la présidentielle; il continuera néanmoins de "cadrer" l’élection et sa campagne en rappelant les thèmes qu’il a énoncés lors de ses derniers vœux : l’unité nationale, l’attachement au modèle français, notamment la protection sociale et les valeurs de la République, le risque de voir le FN gagner l’élection, le message indirect envoyé à François Fillon de ne pas "brutaliser la France". En revanche, une fois passé le premier tour et notamment si Marine Le Pen s’est qualifiée, on peut s’attendre à voir François Hollande prendre position. Mais avant cette échéance, je ne le vois pas bien trancher en faveur d’Emmanuel Macron alors même qu’il ne cesse d’appeler la gauche à l’unité. 

Au cours des derniers mois, Marine Le Pen s'est faite très discrète… Pourrait-elle également songer à constituer une alliance ? Si oui, avec qui ? Un rapprochement avec notamment Nicolas Dupont-Aignan, qui a jusqu'ici ignoré les appels du Front national, pourrait-il s'avérer probable ? 

Bruno Cautrès : Oui, bien sûr l’un des candidats avec lesquels Marine Le Pen pourrait tenter un rapprochement serait le représentant de la droite souverainiste. L’opposition à l’Union européenne et à l’euro, l’attachement à la souveraineté nationale, sont des points évidents de rapprochement. Sans doute que des points de rapprochement existent aussi avec Florian Philippot sur le "gaullisme social". Mais quel serait l’intérêt de Nicolas Dupont-Aignan à ne pas être candidat ? S’il fait une campagne minimaliste en termes de coûts et un score inférieur à 5% des suffrages exprimés, il peut néanmoins organiser sa campagne avec la subvention publique comme cela a été le cas en 2012; bien implanté dans l’Essonne, on ne voit pas bien quel intérêt aurait Nicolas Dupont Aignan à prendre un risque avant les législatives. On ne sait s’il en irait autrement en cas de victoire de Marine Le Pen à la présidentielle. Cela rebattrait sans doute quelques cartes. 

Jean Petaux : En effet. Elle avait clairement annoncé sa volonté de "prendre du champ" (ou de la hauteur comme on veut) pour "présidentialiser" son profil et sa stature. Marine Le Pen, à l’inverse de son père, a toujours souhaité élargir son "cercle premier". C’est ainsi qu’avec Paul-Marie Couteaux elle a créé le Rassemblement Bleu Marine, dont Maître Collard est, en quelque sorte, "l’enfant naturel". Elle n’est donc pas hostile à une forme "d’ouverture" partisane dès lors que celle-ci est contrôlée et surtout (ce qui est la moindre des choses à moins de cultiver une forme de masochisme politique assez grave) dans son intérêt. Une alliance avec Nicolas Dupont-Aignan pourrait correspondre à ce type d’accord. Aucun danger, tellement la formation du maire d’Yerres, "Debout la France", ne représente rien (à l’image de son leader d’ailleurs, qui, au passage, énarque, sous-préfet, a été deux ans au cabinet de…. François Bayrou comme ministre de l’Education nationale : encore un "anti-système" qui a grandi dedans) ; aucun risque d’entrisme, et surtout un affichage qui permettrait de revendiquer un "élargissement de la base politique du FN". Reste que Nicolas Dupont-Aignan, dont l’égo n’est pas mince, n’a guère d’intérêt, pour ce qui le concerne, à passer ainsi un accord avec le premier parti de France en nombre d’électeurs. Autant dire qu’au-delà de l’anecdote (qui s’intéresse sérieusement à l’impact politique de "Debout la France" ?), ce type de "mariage blanc" n’aurait aucun impact ni pour le FN, ni sur la vie politique française dans son ensemble. C’est ce qui garantit que Marine Le Pen a tout intérêt à "rester dans son couloir" et à ne pas dénaturer son fond de commerce, essentiellement basé sur le rejet de toutes les formations politiques du "système".

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