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Usage excessif d’antibiotiques : de nouvelles études montrent qu’ils sont (en plus du reste) responsables de sévères réactions allergiques en chirurgie
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Prudence de mise

Le Collège royal des anesthésistes britanniques vient de publier une étude sur l'anaphylaxie médicamenteuse, forme très grave d'allergie. Il apparaîtrait que les réactions allergiques à un certain nombre d'antibiotiques utilisés dans le cadre d'anesthésies précédant une opération chirurgicale seraient nombreuses (266 cas en un an).

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le Collège royal des anesthésistes britanniques vient de publier une étude sur l'anaphylaxie médicamenteuse, forme très grave d'allergie. Il apparaîtrait que les réactions allergiques à un certain nombre d'antibiotiques utilisés dans le cadre d'anesthésies précédant une opération chirurgicale seraient nombreuses (266 cas en un an). 3,8% de ces réactions ont entraîné la mort du patient. Comment expliquer ces réactions ? De quels antibiotiques parle-t-on ?

L'allergie en général

Stéphane Gayet : Le mot allergie est un terme médical dont l'acception tend à être de plus en plus précise, sans grand rapport avec son emploi courant. Lorsque la notion d'allergie a été introduite en 1906 par Von Pirquet, elle signifiait simplement "Une façon inhabituelle de réagir à une substance donnée", plus précisément une substance antigénique (antigène), c'est-à-dire capable de déclencher une réaction immunitaire.

C'est le domaine vaste et complexe du système immunitaire : ensemble de cellules, tissus et organes disséminés dans notre corps et dont la vocation est de nous défendre contre les agressions microscopiques, surtout microbiennes. Mais, alors que les réactions immunitaires physiologiques (normales) ciblent surtout des agents infectieux, les réactions immunitaires pathologiques (anormales) de type allergique ciblent surtout des substances non infectieuses (antigènes allergéniques non infectieux). L'allergie apparaît donc comme un processus qui détourne le système immunitaire de sa mission première (physiologique) et dont le résultat est de nous rendre malades.

Les antigènes allergéniques – qui déclenchent des phénomènes allergiques – sont en général des substances pas particulièrement agressives par nature. Mais notre système immunitaire les interprète comme dangereuses en se fourvoyant : c'est le mystère de l'allergie. Non seulement la sensibilisation – étape préparant l'allergie – à une substance antigénique non nocive est inappropriée, mais de plus la réaction allergique qui survient lors d'un nouveau contact est excessive. On peut dire que l'allergie, c'est un peu comme prendre un canon pour tuer une mouche. Le canon, c'est par exemple le choc anaphylactique qui est très grave ; la mouche, c'est par exemple un antibiotique, substance qui n'est pas agressive pour le corps humain. Il faut bien distinguer l'agressivité, la nocivité d'une substance (alcool, acide, formol, chlore…) et le pouvoir allergénique d'une substance.

Pour revenir au sens exact du mot allergie, ce terme médical signifie "hypersensibilité à un antigène" et principalement hypersensibilité immédiate. C'est donc une pathologie, d'expression variable. Quelle que soit son expression clinique (pathologique), une allergie typique ou atopique comporte quatre composantes : un terrain personnel ou familial (hérédité : notion de terrain "atopique" qui prédispose aux allergies), une étape de sensibilisation à l'antigène allergénique (circonstance qui conduit le système immunitaire à considérer à tort une substance allergénique comme un agresseur), une phase plus ou moins longue de constitution de l'allergie par les cellules immunitaires et une étape clinique (pathologique) de nouveau contact avec la substance allergénique, déclenchant la réaction allergique. Les allergiques sont donc trahis par leur système immunitaire dont les cellules se sont fait berner.

L'anaphylaxie

Le terme anaphylaxie correspond à une réaction systémique (généralisée) immédiate et aiguë à une substance, qui touche au moins deux organes (par exemple la peau et la langue) ou au moins deux appareils (par exemple l'appareil respiratoire et l'appareil digestif) et qui est potentiellement sévère et même parfois létale (mortelle). L'anaphylaxie peut être allergique, mais elle peut également être de mécanisme non allergique (avec un facteur déclenchant non allergénique). Quand elle est de nature allergique, l'anaphylaxie est liée à la production et l'action d'immunoglobulines (Ig ou anticorps) de type E (l'une des cinq classes d'immunoglobulines : Ig A, Ig D, Ig E, Ig G et Ig M). C'est dans ce cas une allergie dite "Ig E-dépendante" (hypersensibilité immédiate ou de type I). Rarement il s'agit d'Ig G. On voit qu'une réaction même intense à une substance n'est pas ipso facto synonyme d'allergie au sens médical propre du terme.

L'anaphylaxie nécessite un diagnostic rapide et une prise en charge médicale urgente. Les signes et symptômes surviennent dans les minutes suivant l’exposition au facteur déclenchant (de type allergène le plus souvent) qui peut être ingéré, respiré, injecté ou encore touché. Ils sont la conséquence de la dégranulation (libération de substances réactives contenues dans des granules situés à l'intérieur des cellules) de certaines cellules disséminées. Ces cellules sont les mastocytes tissulaires (sorte de globule blanc proche du "granulocyte basophile" sanguin) - qui se trouvent dans la peau et les muqueuses digestive, bronchique, buccale et ORL - et les granulocytes basophiles (type de globule blanc). Les substances réactives contenues dans les granules sont notamment l’histamine et la sérotonine. Les principaux allergènes sont les médicaments, les aliments, les venins d’hyménoptères (abeille, guêpe, frelon) et le latex. La fréquence de l’anaphylaxie a été multipliée par sept en 10 ans. Elle reste plus fréquente chez l’adulte que chez l’enfant, malgré une forte augmentation de l’incidence (nombre de nouveaux cas) chez les enfants d’âge scolaire. On estime que l’anaphylaxie sévère concerne neuf patients sur 10 000 hospitalisés en urgence et un patient sur 13 000 traités par anesthésie générale ou locorégionale en France.

Les signes et symptômes de l'anaphylaxie sont variés et variables. Ils peuvent comporter les éléments suivants : éternuements, prurit (démangeaison) nasal et rhinorrhée (écoulement nasal) claire ; œdème laryngé ou de Quincke (difficulté à respirer, à parler et avaler) ; œdème de la langue, de la luette, du visage ou du cou ; spasme bronchique (gêne respiratoire, toux, sifflements) ; nausées, vomissements, diarrhée ; céphalées (mal de tête), agitation, confusion, obnubilation ; tachycardie (cœur rapide ; mais parfois bradycardie : cœur lent), hypotension (chute de tension) artérielle.

La forme la plus sévère d'anaphylaxie est le choc anaphylactique : c’est le stade le plus grave avant l’arrêt cardiocirculatoire. Il se manifeste par une hypotension artérielle avec pression artérielle systolique (maximale) inférieure à 80 mm de mercure, une sensation de malaise général avec altération de la conscience, une chaleur paradoxale des extrémités (mains, pieds) et souvent un érythème (rougeur) généralisé de la peau. C'est une urgence médicale vitale.

Les antibiotiques en cause

Les allergies médicamenteuses, comme les allergies aux venins d'hyménoptères et les allergies professionnelles, ne sont pas des allergies atopiques. Elles peuvent toucher toute personne, qu'elle soit atopique ou non. Les antibiotiques sont les premières substances responsables de réactions sévères. Ces réactions peuvent correspondre à une allergie vraie, mais parfois à une réaction non allergique. Parmi les antibiotiques, l’amoxicilline (CLAMOXYL) représente plus de 50 % des cas d’anaphylaxie, suivie par les céphalosporines (OROKEN, ROCEPHINE, CLAFORAN…), les quinolones (OFLOCET, CIFLOX, TAVANIC…) et la pristinamycine (PYOSTACINE). La vancomycine (VANCOCINE) agit généralement de façon non allergique, par dégranulation directe des mastocytes (substance dite libératrice d'histamine ou "histamino-libératrice").

Le rapport montre aussi que 90% des personnes qui se disent allergiques à la pénicilline ne le sont en fait pas. C'est cette erreur qui encouragerait l'utilisation de substituts antibiotiques qui augmenterait le nombre de cas d'allergie. Quels sont les enjeux en termes d'identification des allergies selon vous que cette étude soulève ?

Fausses allergies à la pénicilline et leurs conséquences

Comme nous l'avons vu, une réaction même intense à une substance n'est pas ipso facto synonyme d'allergie au sens médical propre du terme. C'est pourquoi chaque cas demande un diagnostic médical précis, en l'occurrence allergologique, car il y va de l'avenir sanitaire de la personne concernée. Il est bien sûr grave de méconnaître une allergie ; mais il est également fort préjudiciable d'étiqueter une personne "allergique à telle substance ou à tel médicament" par erreur. Car l'abus du diagnostic d'allergie est en pratique très fréquent et cela peut réellement mettre dans l'embarras des médecins ne voulant bien sûr prendre aucun risque important. Dans ce cas, non seulement les médecins se trouvent dans l'embarras, mais il s'ensuit une perte de chance pour la personne faussement étiquetée "allergique" à un médicament ou à un produit de contraste iodé (imagerie médicale ou radiologie), substance qui lui serait pourtant bien nécessaire. Ce cas de figure devient tellement fréquent qu'il est aujourd'hui vraiment préoccupant. Ce n'est pas parce que l'on a présenté une réaction après l'administration d'un médicament que l'on doit être automatiquement étiqueté "allergique" à ce médicament. On peut retenir provisoirement le diagnostic d'hypersensibilité au sens large, qui devra être précisé ultérieurement. C'est trop important pour que l'on puisse se contenter d'un diagnostic à la légère, approximatif. Et les cas de fausse allergie, particulièrement à la pénicilline, sont nombreux : seuls 10 % des patients ayant présenté une hypersensibilité à un médicament lui sont véritablement allergiques.

Comment diagnostiquer une allergie à la pénicilline ?

Le diagnostic d'allergie (vraie) n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît de prime abord. L'allergologie est un champ disciplinaire complexe et elle est aujourd'hui affaire de spécialistes. Le diagnostic d'allergie s'appuie sur un interrogatoire particulièrement complet et détaillé. Il repose sur des tests allergologiques qui sont de plus en plus précis et diversifiés (cutanés, biologiques…).

Quand le diagnostic est établi, une carte d’allergique doit être systématiquement remise au patient et mentionner clairement le ou les allergènes en cause. En cas d’allergie médicamenteuse, toute la classe médicamenteuse concernée doit être contre-indiquée (par exemple : les pénicillines), en attendant que l'ensemble des explorations allergologiques nécessaires soit terminé. Le patient doit être à tout moment en possession de sa carte d’allergique, et doit la présenter à tous les médecins et pharmaciens qui le prennent en charge. Il est également de la responsabilité de chaque médecin de s’assurer – au moins par l'interrogatoire - de l’absence d'allergie présumée ou confirmée chez chacun de ses patients.

Quelles sont les solutions qui vous semblent les plus adaptées pour limiter au maximum ce genre de réaction allergique et sécuriser les procédures d'anesthésie ?

Prévention des allergies médicamenteuses en anesthésie

C'est une question qui prend une importance croissante. Il y a de plus en plus de personnes allergiques : la fréquence de cette pathologie est en pleine augmentation dans les pays à haut niveau de vie. Mais s'agissant d'une intervention chirurgicale avec anesthésie générale, les risques d'allergie grave sont heureusement très faibles comme nous l'avons vu. Il faut bien séparer ceux qui sont liés aux médicaments anesthésiques au sens large et ceux liés aux antibiotiques parfois administrés en prophylaxie lorsqu'il existe un risque infectieux significatif (selon les recommandations de référence, élaborées et régulièrement actualisées par la Société française d'anesthésie et de réanimation ou SFAR). C'est l'affaire du médecin anesthésiste qui effectue la consultation préanesthésique bien en amont de la date prévue pour l'intervention chirurgicale. L'anesthésiste effectue bien sûr un interrogatoire systématique, reposant sur un guide standardisé. Un antécédent d'intervention chirurgicale avec anesthésie sans incident est en principe rassurant, quoiqu'il puisse également être à l'origine d'une sensibilisation. Au moindre doute, l'intervention serait repoussée pour permettre de demander à un allergologue d'effectuer une consultation et des tests appropriés. Mais il faut tout de même retenir que l'anesthésie générale est aujourd'hui devenue extrêmement sécurisée, eu égard au nombre phénoménal d'actes chirurgicaux réalisés chaque jour et à la très grande rareté des accidents graves. Enfin, c'est ici l'occasion de rappeler l'existence de techniques modernes qui sont des solutions alternatives à l'anesthésie médicamenteuse, comme l'hypnose analgésique : elle permet, chez une personne opérée, coopérante et à moitié consciente, de dissiper la perception de ses influx nerveux sensitifs douloureux liés aux gestes chirurgicaux.

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