Une nouvelle technologie sans fil permet de recharger des drones en cours de vol et voilà pourquoi c’est l’ébauche d’une révolution <!-- --> | Atlantico.fr
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Un militaire ukrainien du bataillon « Achilles » de la 92e brigade de l'armée ukrainienne effectue des vols d'essai avec un drone hexacoptère Vampire avant des missions, le 30 avril 2024.
Un militaire ukrainien du bataillon « Achilles » de la 92e brigade de l'armée ukrainienne effectue des vols d'essai avec un drone hexacoptère Vampire avant des missions, le 30 avril 2024.
©GENYA SAVILOV / AFP

Innovation

L’Université de Dallas au Texas développe des solutions innovantes pour le ravitaillement en vol des drones et la recharge à distance sans fil, dans le cadre d'un programme financé par la DARPA.

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

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Atlantico : Quelles sont les principales innovations techniques derrière la technologie de recharge sans fil des drones développée par l'Université du Texas à Dallas, et comment fonctionne-t-elle ?

Thierry Berthier : La technologie développée s’appuie sur un dispositif de transfert d’ondes électromagnétique sur de longue distance en limitant au maximum leur dispersion jusqu’à une cible, un récepteur capable d’utiliser ce faisceau pour recharger ses batteries. C’est un peu le même principe de recharge de proximité, sans contact d’un smartphone, par induction, mais sur de longues distances. Le dispositif en développement repose sur le principe physique de « transfert d’énergie, sans fil, en champ lointain » ou plus simplement de « transmission de puissance » par effet électromagnétique. Plusieurs laboratoires chinois et américains travaillent sur le concept qui aurait une multitude d’applications civiles et militaires, notamment dans la recharge des batteries de véhicules électriques, voitures, camions, trains, mais aussi et surtout de drones aériens. La technologie de recharge sans fil à très courte distance est bien maitrisée aujourd’hui. Elle repose sur des ondes électromagnétiques basse fréquence. L’équipe de l’Université du Texas agissant dans la cadre d’un programme financé par l’agence américaine DARPA, est parvenue à construire un dispositif de transfert de puissance vers un drone en vol. Cette architecture complexe s’appuie à la fois sur un système de détection et de suivi d’un drone en vol et sur une sorte de « canon » à onde électromagnétique capable de produire un flux concentré jusqu’à sa cible, un capteur embarqué sur le drone qui convertit ensuite cette onde en courant électrique de recharge de batterie. Le principal défi physique est de fournir le plus de puissance possible via le faisceau électromagnétique tout en réduisant au maximum la diffusion des ondes en cours de route. Pour relever ce défi, l’équipe de recherche dirigée par Ifana Mahbub s’appuie sur un système d’émetteurs et de petites antennes le long d’un chemin ciblé que le faisceau va parcourir sans trop se disperser jusqu’au récepteur. Sans correction de trajectoire, les ondes électromagnétiques ont une tendance naturelle à se diffuser dans des directions indésirables. L’idée est de construire un format d’onde qui évite au mieux cette dispersion, tout en s’adaptant à la trajectoire de sa cible, le capteur du drone à réapprovisionner. Compte-tenu du soutien massif de la DARPA et de l’intérêt de la méthode, on peut penser que l’équipe texane a obtenu d’excellents niveaux de performance sur la recharge à distance par transfert de puissance.

Quels défis ont été surmontés pour résoudre les problèmes de dispersion du signal et garantir une transmission d'énergie efficace aux drones en vol ?

Le développement d’un système efficace repose sur plusieurs défis à relever :

D1 : la production d’un faisceau électromagnétique suffisamment puissant pour recharger un drone en mouvement, à distance ;

D2 : la synchronisation du faisceau électromagnétique avec le suivi (radar ou visuel) du drone ;

D3 : la réduction de diffusion du faisceau dans des directions non souhaitées notamment à partir d’antennes relais actives qui permettent de réorienter le faisceau vers une direction optimale.

D4 : le maintien dans la durée des dynamiques de suivi, de diffusion et de rectification de trajectoire du faisceau jusqu’à sa cible en mouvement ;

D5 : les défis d’extension du dispositif de recharge à distance aux contexte dégradés : mauvaises conditions météorologiques, pluie et vents forts, caractéristiques physiques et cinétiques du drone.

Les résultats prometteurs de l’équipe de l’Université de Texas constituent une avancée importante mais il faut garder l’esprit qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir avant d’obtenir une solution opérationnelle, fiable, déployable rapidement, pour un coût compatible avec une commercialisation à grande échelle. Le niveau de TRL (Technology Readiness Level) de cette technologie est encore faible.

Quelles sont les implications potentielles de cette technologie pour l'autonomie des drones dans des applications industrielles et militaires, et comment cela pourrait-il transformer ces secteurs ?

Les drones dotés de moteurs électriques doivent nécessairement revenir à leur base pour réaliser un changement de batterie ou pour la recharger. La mission en vol est alors interrompue. Cette discontinuité de fonctionnement limite à la fois les opérations de longue durée et leur automatisation. L’usage d’escadrilles ou d’essaims de drones dans des applications agricoles (épandage, photogrammétrie, traitements de précision) mobilise des machines dans la durée. Un rechargement automatique à distance permettra de réduire les interruptions de réapprovisionnement sur base et de terminer le travail plus rapidement. Le gain est temporel sur cet exemple. La mise en œuvre de drones aériens pour les applications de sécurité et défense va bénéficier également du rechargement en vol. Concrètement, un drone dédié à la surveillance d’une frontière ou d’une zone maritime pourra poursuivre sa mission en vol sans redescendre donc sans interruption de service. Il s’agit d’un progrès opérationnel très important qui apporte de l’agilité et de l’élongation dans la mission. L’usage de drones engagés sur un théâtre d’opérations militaire implique de prendre en compte les contraintes d’élongation maximale liées aux capacités des batteries. Le rechargement en vol par faisceau électromagnétique augmente la persistance en vol et donc, les performances au combat. La défense anti-drone par essaim anti-essaim va bénéficier également de ce progrès majeur : une escadrille ou un essaim de drones intercepteurs déployé en tant que bulle anti-drone au-dessus d’une zone à défendre pourra mener sa mission de surveillance sans interruption liée à la recharge des vecteurs intercepteurs.

Pensez-vous que cette technologie de recharge sans fil pourrait être rapidement adaptée et mise en œuvre pour d'autres dispositifs comme les véhicules électriques ou les smartphones, et quels seraient les principaux obstacles à surmonter ?

Il est par nature difficile d’évaluer le temps séparant la sortie d’un prototype en laboratoire et sa mise en production à l’échelle industrielle. Le dispositif de recharge devra certainement être adapté aux différents cas d’usages et contextes avant sa commercialisation. On peut ainsi imaginer des systèmes de diffusion du faisceau électromagnétique depuis le sol, embarqués dans un véhicule terrestre ou sur un navire et potentiellement des versions dérivées en mode « air – air » de ce système : un drone ravitailleurs porteur du générateur de faisceau en vol qui vient recharger une escadrille de drones aériens sur une zone d’opérations militaires. En dehors du segment des drones aériens, les applications vont certainement se multiplier pour les véhicules électriques (voitures, camions et trains). La voiture électrique va bénéficier très directement de cette technologie disruptive. Lors de longs trajets, les automobilistes doivent prendre en compte les arrêts en station pour recharger les batteries. Les contraintes de recharges constituent un important verrou pour de potentiels acheteurs de véhicules électriques. Les dispositifs de recharge à distance pourraient être déployés tout au long de l’autoroute permettant ainsi de rouler plus de 1000 kilomètres sans réapprovisionnement en station.

Enfin, la question de la persistance en vol (la très longue endurance) est un défi technologique majeur en robotique aérienne. Comment créer des drones capables de voler sans limitation dans le temps, ou sans contrainte de redescente pour recharger ses batteries ? Le constructeur français EOS TECHNOLOGIE a développé une gamme de drones de longue endurance. Le drone ENDURANCE 1200 peut voler plus de 36 heures sans aucune pause de réapprovisionnement. Des vols longue durée de 50 jours ont été réalisés par le drone Zephyr-S développé par Airbus. L’étape suivante sera celle de la persistance en vol sans aucune limitation…

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