Une fuite venue de l’agence russe de renseignement extérieur révèle les détails des stratégies de désinformation employées par les Russes en Occident<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine lors d'une visioconférence au Kremlin.
Vladimir Poutine lors d'une visioconférence au Kremlin.
©ALEXEI BABUSHKIN / SPUTNIK / AFP

Guerre de l'information

La correspondance piratée d'officiers de l'agence russe de renseignement extérieur (SVR) dévoile la stratégie du Kremlin dans le cadre de la guerre de l'information.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : Une fuite de documents de l’agence russe de renseignement extérieurs (SVR), révélée par The Insider et De Spiegel, a permis d’identifier les nouveaux mécanismes mis en place par la Russie pour mener des campagnes de désinformation en Occident. Il y est question de campagnes localisées et de stratégies pour attiser les sentiments anti-gouvernementaux en Occident, notamment au sein des démocraties libérales ayant affirmé leur soutien à l’Ukraine. Que dire, pour commencer, des méthodes russes ? Ont-elles évolué depuis le début du conflit ?

Françoise Thom : Les méthodes n’ont pas varié depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine. Il s’agit toujours d’agir en tenailles, d’en haut en ciblant les décideurs occidentaux, notamment au moyen de « canaux secrets », de contacts confidentiels, et d’en bas en travaillant l’opinion de manière à ce qu’elle se retourne contre le soutien militaire en Ukraine  et qu’à terme elle soit incitée à porter au pouvoir des partis favorables aux positions russes. Ce qu’on constate, c’est une amplification des ambitions russes devant le succès des opérations de subversion en cours, le sentiment que le bouleversement de l’échiquier des démocraties occidentales est à portée de main.  Dans un message publié le 3 février 2024 sur Telegram, Dmitri Medvedev, président du Conseil de sécurité, appelait à soutenir  tous les partis « antisystème » occidentaux : « Notre tâche est de soutenir de toutes les manières possibles ces hommes politiques et leurs partis en Occident, en les aidant ouvertement et secrètement, pour obtenir des résultats corrects aux élections ».  Le 13 juin 2024 Medvedev va plus loin : « Chaque jour, nous devons tâcher de nuire au maximum aux pays qui ont imposé des sanctions à notre pays et à tous nos citoyens. Nuire par tous les moyens. Saboter leurs économies, leurs institutions et leurs dirigeants. Nous en prendre à la prospérité de leurs citoyens. A leur confiance en l'avenir. [...] Ils ont peur de l’anarchie et d’une explosion de la criminalité dans les grandes villes ? Sabotons les autorités municipales ! Ils ont peur des explosions sociales ? Organisons-les ! Nous devons injecter les terreurs nocturnes les plus tétanisantes dans leur sphère médiatique, exploiter toutes leurs poignantes douleurs fantômes. Ils hurlent contre notre recours aux fake news ? Transformons leur vie en un cauchemar complètement fou dans lequel ils ne seront pas capables de distinguer la fiction la plus débridée des réalités du jour, le mal diabolique de la routine de la vie. » Ce ne sont pas des paroles en l’air. Ainsi, pour revenir au dernier point très important mentionné par Medvedev, nous venons d’apprendre par une  étude récente que des agents pro-russes bombardent délibérément les journalistes de fausses informations afin de surcharger les ressources de vérification et de neutraliser chez les Occidentaux la faculté de distinguer entre le vrai et le faux, voire de leur faire passer l’envie de rechercher la vérité.

Franck Decloquement : Commençons par souligner que, pour ce qui est des "mesures actives", la Russie reprend point pour point les méthodes utilisées par les services Soviétiques pendant la Guerre froide. Elles ne sont d’ailleurs pas si différentes des techniques et méthodes subversives d'entrisme et de déstabilisation que l’on a pu voir mises en scène dans des séries, comme "The Americans" ou "The Assets" (une mini série américaine en huit épisodes de 42 minutes basée sur le livre "Circle of treason : A CIA). On parle ici d’action de déstabilisation par "mesures actives", mais aussi de recrutements de sources ou l’usage de figures "anti-guerre" et autres pacifistes et objecteurs de conscience, qui servaient auparavant de vecteur de démoralisation et de moyen d'affaiblissement du camp occidental. La voix de ceux-là est souvent amplifiée pour mettre les pays occidentaux en incapacité d’appliquer des moyens de réponse sensée, sans pour autant faire face aux critiques des mouvements pro-paix. Ces méthodes d'actions subversives, c’est le moins que l’on puisse dire à la lecture de l’enquête de The Insider, n’ont pas véritablement changé. Elle ont seulement été "augmentées" aujourd'hui par les ressources d'amplification qu'offrent les réseaux sociaux, et le web 3.0. Il n’y a donc pas de très grosses différences, à ceci près que l’outil cyber – les plateformes d'échanges et les boucles de discussion privées – ont pris une place prépondérante dans la façon dont ces stratégies sont projetées et mises en œuvre à destination de leurs cibles privilégiées : les opinions publiques. Et ceci, afin de les modeler dans le sens attendu par le Kremlin. 

Dorénavant, on assiste donc à beaucoup d'action de "trolling", à la création de boucles d'échanges orientés sur les réseaux sociaux et les messageries privées, à l’apparition de bandeaux publicitaires intempestifs, reroutant vers des sujets sensés créer de la discorde ou à la duplication frauduleuse de vraies fausses informations de unes, issues de "vrais faux journaux" parfaitement imités. L’objectif final recherché demeurant toujours le même : utiliser l'art consommé de tout conflictualiser et de "bordéliser" l'ambiance sociale d'une nation prise pour cible, à des fins de déstabilisation et de modelage des cœurs et des esprits. Et ceci, dans le cadre d'une guerre psychologique intensive agissant dans le champ cognitif, dans l'espoir de "manager les perceptions" du camp adverse. On le voit bien par exemple, aujourd’hui, avec les propos "off" tenus par un Jean-Luc Mélenchon, qui promeut sans ambages pour sa chapelle, cet usage délétère des "bonnes vieilles méthodes stalinistes" d'antan pourrions nous dire, usitées par le SVR et le GRU, et vectorisées pendant la guerre froide contre le camp occidental.

Dans le détail, ces méthodes varient. Il y a des opérations de déstabilisations des opposants politiques, qu’il s’agit de discréditer sur le plan social jusqu’à les rendre imparfaitement infréquentables pour leurs collègues, voire leurs proches. L'objectif consiste à les muer en de véritables "moutons noirs" auprès de leur environnement direct, qu’il s’agisse de leurs écosystèmes professionnels ou amicaux, jusqu'à l’opinion publique elle même. Il y a aussi un certain nombre d’actions violentes diligentées, et très ciblées, comme ces opérations d'empoisonnement des opposants réfugiés à l'étranger, et qui utilisent pour ce faire des produits chimiques très spécifiques pour tenter d’atteindre ces mêmes figures d'oppositions, afin de les faire taire. Bien évidemment, il faut aussi citer le développement de campagnes de fake news, pensées pour discréditer les récipiendaires d’aides européennes comme cela peut-être le cas actuellement de l’Ukraine en appuyant sur certains ressorts psychologiques à même d'influencer l'opinions publique. Il est fait usage de sujets très clivants, comme l’immigration et la peur que celle-ci peut susciter,  pour décourager les pays ciblés par la propagande noire de Moscou, de venir en aide à ces nations en guerre contre la Russie. Prenons l’exemple des prérogatives accordées par l'UE en matière d’exports. Particulièrement de produits agricoles, au bénéfices des ukrainiens : elles peuvent entrer en contradiction avec les intérêts nationaux français par exemple, et ceux des ses agriculteurs nationaux. Cela a un impact parfaitement reconnu. Moscou va donc tout faire pour attiser la dissension et empêcher des actions d'efforts solidaires en direction des ukrainiens, en soufflant pour cela sur les braises de la discorde et la prise de distance, amplifié en cela par l'usage de ces moyens délétères d'action psychologique. Et tout cela de manière conduite et coordonnées. 

En conclusion, ces méthodes hybrides ourdies consistent, fondamentalement, à générer des actions conjointes et pilotées, qui puisses raisonner les unes avec les autres par effet viral ou concentrique, pour amplifier les problématiques liées au rejet des opinions européennes vis à vis des ukrainiens, et autres ayant droits de nos aides militaires occidentales, qui s’opposeraient aux vues de la Russie sur les terrains extérieurs.

La question de l’accueil des réfugiés ukrainiens par les nations d’Europe fait l’objet d’une attention particulière du SVR, qui a mis en place plusieurs dizaines de sites web d’information d’apparence légitime afin de pouvoir exacerber les craintes envers les réfugiés. Le SVR, semble-t-il, veut discréditer l’Ukraine ainsi que « les nazis orientés vers elle » aux yeux de « l’Occident collectif ». Peut-on dire qu’il y parvient aujourd’hui ?

Françoise Thom : Dans ce domaine les choses sont plus difficiles pour le Kremlin car les Occidentaux sont conscients de ces agissements visant à discréditer les réfugiés ukrainiens et se méfient. Il faut souligner que cette question est essentielle aux yeux des dirigeants du Kremlin qui sont obsédés par le déclin démographique russe et souhaitent vassaliser l’Ukraine afin de mettre la population ukrainienne au service des objectifs de puissance russe. Rendre la vie des Ukrainiens impossible dans les pays de l’UE est donc une priorité pour la Russie soucieuse de réorienter vers l’Est les flux migratoires ukrainiens. 

Franck DeCloquement : C’est difficile à dire avec une absolue certitude. Et cela même si l'on perçoit très clairement une baisse notable de soutien dans les opinions publiques françaises avec le temps. Ce que l'on peut affirmer en revanche clairement, c’est qu’il s’agit là d’une stratégie qui n’est pas sans effet concrets. Certaines études ont tenté de les mesurer avec précision, comme cela a pu être le cas du rapport récemment publiés par David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, qui s‘est penché sur l’impact des ingérences Russes, notamment dans les élections législatives françaises 2024 : "Par tous les et par tout temps, ces pays essaient d'affaiblir les démocraties" assure l'auteur du rapport. montrent, sans ambages, la manière dont ces mécaniques se déploient à des fins de guerre psychologique et cognitive sur la toile mondiale. Notons d’ailleurs que les concepts de guerre psychologique et d'action cognitive sont des concepts russes. Les Etats-Unis usent aussi des ces méthodes subversives copiées sur communistes chinois. Mais ils parlent davantage de “perception management”, c’est-à-dire un management plus soft des ressorts de la perception humaine, à des fins de modelage psychologique des cœurs et des esprits, sur le long-court. Soyons cependant honnête : il s’agit plus ici, d’une différence de terminologie dans les termes employés par chaque camp, que de nature véritable des modes d’actions finalement coercitifs employés. À partir de l’analyse de 700 millions de messages émis par près de 17 millions d'utilisateurs uniques de 2016 à 2023, le CNRS a ainsi pu constituer une véritable cartographie sociale du paysage politique français sur les réseaux sociaux. Conclusion : de nouvelles communautés numériques ont émergé, dont l’une est ouvertement qualifiée "d’antisystème" par le rapport. Elle est apparue pendant la pandémie de Covid-19 et se compose d’utilisateurs "défiants" déjà présents sur les plateformes, ainsi que de trolls - faux comptes - pilotés en droite ligne par le Kremlin. Ces trolls se trouvent proche idéologiquement de l’extrême droite et de la France insoumise. En fonction de l’actualité du moment et des circonstances, cette force numérique ourdie se déplace opportunément sur l’échiquier politique. L’opposition aux mesures gouvernementales aurait soudé ce bloc dont les membres se suivent et se "retweet", créant ainsi des milliers d’interactions cognitives. Le rapport le démontre en outre à partir de l’analyse du compte @FRN, suivi par près de 254.000 personnes, qui se situerait dans cette communauté antisystème : "son historique est typique d’un compte géré par le Kremlin, ou du moins sous l’emprise de sa propagande. Toutes les théories du complot possibles et les bêtes noires du Kremlin y sont mises en scène, dans des vidéos soigneusement éditées" selon l'auteur. À l’approche du final des législatives 2024 ce weekend, le compte a par exemple diffusé du contenu anxiogène composé d’images et de vidéos de "massacres perpétrés par le gouvernement de Netanyahou à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle". Cela amplifie "la perception des horreurs de Gaza auprès de la communauté LFI", dans le but que le parti de managé par Jean-Luc Mélenchon intègre ce sujet dans sa campagne des législatives, attisant encore plus les tensions avec le RN. In fine, le rapport conclut que "cela favorise la polarisation politique entre les extrêmes".

En définitive, l’objectif est d’élargir et d’activer tout ce qui peut permettre aux opinions publiques et aux individus de changer d’avis, après avoir été exposés à une influence étrangère. La situation est d’autant plus inquiétante que les Russes semblent désormais fournir un effort tout particulier pour pouvoir cibler des individus spécifiques. Il est évident que l’intelligence artificielle (IA) permettra, tôt ou tard, de procéder à des ciblages individuels très pointus (Cf : la très récente audition de David Chavalarias et Tarik Krim en commission parlementaire sur les ingérences extérieures). Nous finirons par sortir de ce que j’appelle actuellement "l’opération au chalut", qui consiste à lancer à la mer un grand filet d'emprise dérivant, et à voir ce que l’on attrape à l'issue, "au petit bonheur-la-chance". A termes, si ce n’est pas déjà le cas, nous aurons à faire à des opérations de plus en plus précises et pointues, rendues possibles par des moyens que The Insider n’évoque pas, passant par des plateformes sociales avec divers noms de code d'activation. Des plateformes telles que TikTok, par exemple, pourraient être utilisées pour ce genre d’opérations comme cela a semble-t-il été le cas en Nouvelle-Calédonie, avant que le réseau social ne soit finalement interdit d’émettre et partiellement "éteints" par les autorités de notre pays pendant quelques jours. 

Comprenons bien que les documents interceptés par la presse anglo-saxonne (très certainement avec l’aide actives des centrales américaines, d’ailleurs), peuvent être parfaitement réels, comme ils peuvent aussi ne l’être que très partiellement, dans l’orientation descriptive et à des fins de décryptage des opérations russes. Même si tout n’est peut-être pas exact, il reste utile de démontrer aux populations ce qu’il est (théoriquement au moins) possible de faire par nos ennemis, à date, et pourquoi il faut faire preuve d’une très grande prudence dans la réceptions d'informations clivantes. Enfin, il est tout à fait possible que ces documents aient été interceptés à dessein, parce que les Russes tenaient "à nous faire croire" ou "faire savoir" que de telles choses entrent dans leur plan d'action : moyens d'intoxication et de déception obligent. Ce qui est assuré cependant, c’est qu’il sera à terme possible de cibler, lors de telles opérations des profils individuels choisis sur la base de leurs habitudes personnelles, et donc de rendre la désinformation encore plus efficace, et de plus en plus difficile à identifier. L’IA comme moyen de ciblage, finira tôt ou tard (quelque soit son support, d’ailleurs) par convaincre aisément - et de manière quasi scientifique - un individu, en fonction de sa psychologie propre. Ces documents laissent à penser que c’est vers cela que se dirigent à grands pas les centrales russes du renseignement, et qu’elles ont, depuis l’émission de telles informations, continué sûrement à faire d’importants progrès supplémentaires.

D’après le SVR, cette opération d’influence sur les réseaux sociaux est chiffrée à 3 dollars par utilisateur et par mois. Comment expliquer un coût si peu élevé ? Que sait-on des profils que le SVR a engagés ?

Franck DeCloquement : Plus l’on déploie des moyens informatiques segmentés et dont l’analyse est affinée, plus l’on crée des techniques particulières de ciblages. Ce qui peut expliquer aussi que l’on investisse finalement assez peu sur le plan financier, "par personne acquise". A titre de comparaison, un électeur français rapporte environ 1,30 euro par voix au parti politique pour lequel il a choisi de voter. Un individu convaincu en coûte visiblement le double au Kremlin, si l'on en croit ces chiffres "fuités". Pour autant, tout porte à croire qu’il s’agit ici d’une simple base, d'un ordre de valeur, plutôt qu’une somme qui serait exacte. 

Certains individus à ravir, si je puis dire, présentent une "valeur ajoutée" autrement plus élevées dès lors que son "influence sociale" ou sa "stature politique" est reconnue dans l'opinion. C’est le cas des prescripteurs notamment, qui valent de l’or. Repensons notamment à l’exemple du Ministre de l'intérieur Gérald Darmanin qui a récemment fait une déclaration contre son opposition politique, sur la base d’une fausse information alors prise par lui pour argent comptant. "Les cordonniers peuvent parfois aussi se retrouver êtres les moins bien chaussés". Ce genre de situation délicate ou scabreuse, via laquelle la propagande russe est relayée dans l'espace public par des figures d’autorités qui n’ont pas pris le temps de vérifier ce qu’elles affirment (et force est de constater que cela peut même arriver à un ministre de l’Intérieur réputé informé), engendre une “bordelisation” ambiante plus rapide de la société civile visée par les mesures actives de l'adversité. L’objectif de fond général demeure une fois encore de polémiquer, et de cristalliser les haines et la dissension, dans une société française particulièrement politisée, défiante et éruptive. 
Concernant les profils employés par le SVR, les documents interceptés nous apprennent de nouveaux éléments. Souvent, semble-t-il, ce sont des spécialistes qui sont mis à profit par les Russes, de même que des individus issus de la société civile, faisant preuve de grandes capacités de relais par "effet rebond" dans les médias. Certains de ces "agents" sont d’ailleurs très peu chers payés, comme l’avait parfaitement illustré l’affaire des cercueils de la Tour Eiffel. Ces opérations "low-cost" peuvent parfois ressembler à des plans montés avec des "bouts de ficelles"… et demeurer pourtant particulièrement efficaces. Le caractère "cheap" de celles-ci, implique également que les profils employés ne sont pas ceux de "supers-agents", de "supers-espions" ou même de grands spécialistes des actions de déstabilisation. On parle ici de personnalités communes, et parfois même dans le besoin, qui ne permettent pas aux autorités de remonter jusqu’en haut de la chaîne de commandement, permettant de retrouver les donneurs d'ordres. La crise des Gilets Jaunes en est l’une des illustrations les plus parlante : la colère initiale a "cristallisée" d’abord sur les réseaux de passionnés automobiles, que d’aucuns, dans les rédactions parisiennes, pouvaient juger ridicules ou vulgaires. On sait désormais ce qu'il advint de" cette grogne !

Comment se protéger d’une campagne et de méthodes qui, des aveux du SVR, aurait réussi à toucher 600 000 personnes à Boston sur 646 000 habitants ?

Françoise Thom : Il faut se méfierdes contenus faisant appel aux émotions, haine, ressentiment et peur en particulier, et privilégier les informations qui s’adressent à nous comme à des êtres raisonnables soucieux du bien public. Le texte de Medvedev cité plus haut est éloquent : la Russie vise plus qu’à nous influencer dans la question de l’aide à l’Ukraine. Elle veut susciter une désorientation intellectuelle telle que le fonctionnement des institutions représentatives en soit bloqué. L’arbre des fake news ne doit pas cacher la forêt, un reformatage des sociétés occidentales qui les rende « poutino-compatibles ». Nous devons apprendre à interpréter la langue de bois du Kremlin. Dans la bouche des dirigeants russes un partenaire est dit « réaliste » lorsqu’il est disposé à capituler. De même, le concept de « souveraineté » a deux sens, selon qu’il s’applique à la Russie ou à un pays de l’UE. Concernant la Russie « souveraineté » veut dire « impunité ». Mais appliqué à un pays européen « souveraineté » veut dire :« alignement sur Moscou ». Le meilleur moyen de résister à l’intoxication émanant du Kremlin est de ne jamais perdre de vue les objectifs russes : destruction de la solidarité européenne, création d’une atmosphère de guerre civile chez les Occidentaux, érosion de notre attachement à nos institutions. Nous devons tâcher d’être intelligents si nous ne voulons pas devenir une province stagnante de l’Eurasie poutinienne.

Franck DeCloquement :La meilleure façon de se prémunir contre de telles techniques consiste peut-être à reproduire ou à imiter ce que font très bien les Estoniens depuis déjà de nombreuses années. Car ils ont été les premiers à faire les frais des "actions actives" Russes en Europe. Et bien que citoyens d'un tout petit pays comme ils le sont, la première idée des estoniens a été d'évangéliser l'ensemble de leur population sur ces méthodes d'actions subversives Russes, afin de les "vacciner" en quelque sorte, et de les édifier et des aguerrir psychologiquement pour les aider à résister mentalement contre ces opérations de déstabilisations. En France, nous avons montré notre capacité à faire de la pédagogie, notamment sur les questions sociétales et éducatives. Il est plus que temps de mettre à profit cette méthode à des fins de protection des cœurs et des esprits de nos concitoyens. Particulièrement des plus jeunes, des plus sensibles ou influençables, mais aussi des plus véhéments d'entre nous qui pourraient être amenés "à croire" à de pareille fadaises, diligentées dans l'espace public par la Russie et ses alliés. 

Ne nous laissons pas aller à la discorde comme dans l'album "la Zizanie" d'Astérix, et ne perdons pas de vue que, le pouvoir politique étant tenu par l’opinion publique en démocratie, elle peut constituer un levier rêvé pour prendre le contrôle sur la décision publique, à des fins litigieuses, ou de gains pour d’éventuelles puissances étrangères. Le Kremlin en tête. Rappelons à ce titre, les éléments du scénario formidablement narré par Uderzo et Goscinny, car tout y est dit : " Dans les couloirs du Sénat, à Rome, on commence à gloser sur l’impuissance de l’Empereur face aux Irréductibles Gaulois. César doit rapidement soumettre ces odieux dissidents qui le narguent. Il envoie alors au Village Tullius Detritus, immonde personnage qui sème la zizanie partout où il passe. Sa mission : briser la belle union des rebelles gaulois, semer la discorde dans leurs rangs. Bientôt, tout le village est sens dessus dessous et la rumeur court qu’Astérix aurait vendu le secret de la potion magique aux romains ! Les Gaulois s’entredéchirent, les poissons d’Ordralfabétix volent dans tous les sens, la « guerre psychologique » fait rage. Est-ce la fin du Village ?"

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