Une conférence, 159 mesures et pas grand-chose à l’arrivée : pourquoi l’environnement est le parent pauvre des politiques publiques même quand on s’intéresse à lui<!-- --> | Atlantico.fr
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Une grenouille en voie de disparition à cause de la pollution de son environnement.
Une grenouille en voie de disparition à cause de la pollution de son environnement.
©Reuters

Le grand oublié

La troisième édition de la Conférence environnementale lancée par François Hollande en 2012 se tient les 27 et 28 novembre à Paris, en préparation du grand sommet sur le climat (COP 21) qui aura lieu au Bourget fin 2015. En l'absence de vision et de consensus national, peu de résultats sont à espérer.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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  • Du 27 au 28 novembre ministres, syndicats, patronat et ONG se retrouvent autour de tables rondes sur trois principaux enjeux : la santé, les transports et le climat. 159 propositions en tout seront formulées, qui feront l'obhet d'ici janvier d'un arbitrage du gouvernement.

  • Cette réunion doit permetre de fixer la feuille de route du gouvernement en matière environnementale pour l'année 2025, mais  a aussi  valeur préparatoire en vue du sommet sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de la même année.

  • Les responsables politiques français ont trop tendance à centraliser les questions environnementales, ne laissant pas assez de marge aux acteurs de la société civile pour mettre en application les règles édictées.

  • L'Etat français voulant décider de tout dans les moindres détails, il se trouve à la merci de lobbies de tous bords, qui nuisent à la conduite d'une politique cohérente.

  • La question environnementale en France souffre d'un défaut de consensus national, qui permettrait  de dégager de grandes orientations indépendantes des changements de gouvernements.

  • Sans action internationale concertée, les initiatives prises au plan national ne peuvent porter leurs effets.

Atlantico : La prise en main de la question environnementale et climatique par le pouvoir politique ne peut qu’être louable, néanmoins celui-ci s’en empare-t-il toujours comme il se doit ? A partir de quel seuil l’intervention de l’Etat va-t-il trop loin, et devient-il contre-productive ?

Christian Gollier : Le politique doit s’emparer de l’environnement car autrement personne d’autre ne le fera. Les bonnes volontés des acteurs économiques privés, qu’il s’agisse des entreprises ou des consommateurs, ne suffisent pas. Il faut un Etat fort qui impose des règles, et sur la question du climat, ce n’est pas en organisant des grand-messes que l’on résoudra les problèmes. Les conflits d’intérêt sont très importants, et il aurait fallu siffler la fin de la récréation depuis longtemps. Mais il faut bien reconnaître certaines limites, l’Etat n’est pas omniscient, il ne peut pas tout, et surtout il ne sait pas tout. Il ne peut pas avoir connaissance des multitudes d’innovations qui sont réalisées ou de celles qui sont en train d’émerger, de celles qui sont les plus socialement utiles en termes d’efficacité environnementale. C’est pourquoi il faut laisser une marge d’action aux acteurs économiques, tout en donnant à ces derniers un signal fort, à savoir que les ceux qui ne feront pas les efforts socialement désirables en paieront le prix. Le marché seul ne fonctionnant pas, il fait prendre le meilleur de la liberté d’entreprendre, et le meilleur de l’Etat visionnaire et souverain, au sens où ce dernier est le seul qui puisse impulser les règles générales, fiscales ou régulatrices. Car le problème du changement climatique est le suivant : l’entreprise émettrice de CO2 tire des bénéfices d’une activité, mais cette activité génère des dommages climatiques associés qui seront portés par d’autres. En l’absence d’un système faisant en sorte que cette entreprise intègre ces dommages dans son calcul économique et financier, il y aura toujours trop d’émissions de CO2. Cette irresponsabilité s’applique en fait à l’ensemble des entreprises et des consommateurs, de sorte que cette myriade d’irresponsabilités individuelles se transforme en une catastrophique irresponsabilité collective. Nous ne pouvons donc pas faire l’économie de règles qui s’appliquent à tous.

Par contre, il ne faut pas que l’Etat décide de tout, car il a tendance à prendre de mauvaises décisions à cause de son incapacité intrinsèque à disposer de l’ensemble des informations nécessaires, et sous l’influence des lobbies, lobbies qui font la cour aux différents ministères et qui cherchent à capturer la décision politique. L’écotaxe est un exemple flagrant : les lobbies ont fait pression pour que soit supprimée une mesure d’intérêt général. L’Etat omniscient, comme celui du libéralisme sans contrainte, est une utopie, il faut donc organiser le système différemment.

Il faut mettre en place un système incitatif, soit par une taxe carbone, soit par un marché de permis d’émissions, de manière à ce que l’un ou l’autre soit intégré dans les calculs économiques que font les entreprises ou les particuliers lorsqu’il faut se chauffer, se déplacer, produire, etc. C’est à l’Etat d’imposer le prix du carbone, dans un système léger, transparent et non corruptible, avec interdiction d’offrir des passe-droits à qui que ce soit, quitte à utiliser une partie des revenus de cette taxe (ou vente de permis) aux citoyens les plus pauvres. De cette manière, chacun intégrera nécessairement dans ses choix les conséquences en termes climatiques de ses décisions, en particulier si ce prix du carbone est égal à la valeur économique des dommages que ce carbone émis générera.

Bien sûr, à l’échelle française cela ne suffit pas. Idéalement, ce système doit être mondial, et a minima, européen.

Rémy Prud’homme : Le champ de l’environnement est divers, il va de la pollution locale à la pollution mondiale par les gaz effets de serre, en passant par des espèces menacées, les déchets et mille autres sujets. Bien malin celui qui a des idées précises sur l’importance relative des différents enjeux. Les associations sont toujours un peu suspectes, car elles sont orientées vers les médias et sautent sur des problèmes qui ont l’air importants sur le moment, puis ont tendance à les oublier quelques mois après.

Les difficultés environnementales résultent d’externalités, c’est-à-dire d’effets non désirés par des personnes ou acteurs économiques, mais qui pour autant ne payent pas ces causes. C’est la raison pour laquelle une intervention politique est justifiée. Tous les économistes s’accordent là-dessus, ce qui ne veut pas dire que l’Etat ne doit pas avoir de limites.

Le grand sommet de 2015 que la conférence actuelle contribue à préparer portera surtout sur le thème du climat. A ce sujet il convient de rappeler plusieurs choses :

C’est un domaine où demeurent plus d’incertitudes que l’on ne veut bien l’admettre. La scène médiatique a été monopolisée par des gens qui sont persuadés que l’évolution du climat est caractérisée par un réchauffement massif dû à l’homme. C’est vrai, il a existé un réchauffement de 0,7°C en moyenne au cours du 20e siècle.

Néanmoins le réchauffement s’est arrêté depuis maintenant 17 ans. Il y a des hauts et des bas, certes, mais en moyenne le niveau des températures reste stable. Le GIEC avait prévu une augmentation constante et rapide, mais jusqu’ici cela ne s’est pas vérifié. Cela ne vaut pas dire que cette pause est éternelle, mais c’est un point qui est caché au grand public, et qu’il faut rappeler. Les tenants du réchauffement nous disent chaque année que cette année est plus chaude que ce que l’on a connu il y a vingt ans. C’est vrai pour toutes les années récentes, puisque les températures se sont stabilisées. Il faut donc être prudent lorsque l’on nous dit  que le CO2 est responsable à 90% du réchauffement. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’il augmente en quantité dans l’atmosphère.

Ce que la France peut faire à elle seule est négligeable, puisque le CO2 qu’elle émet représente une partie infime de la quantité mondiale. Et face à la montée en puissance de la Chine ou de l’Inde, le pourcentage ne fait que diminuer. Même s’il s’avérait que le CO2 était responsable d’une possible augmentation de la température, on ne peut pas y faire grand-chose au niveau national. Il y a tout lieu de croire qu’en 2015 on n’arrivera à rien, comme ce fut le cas lors des précédents grands sommets.

J’ajouterai que toutes les façons de réduire les rejets de CO2 ne sont pas toujours les bonnes, certaines sont plus chères que d’autres. Il faut éviter d’insister sur les secteurs où la réduction des émissions de se révèle très coûteuse. Il faut commencer par les réductions qui auront le coût le moins élevé.

Je ne suis pas contre le fait que l’Etat soit le principal acteur, mais c’est l’ensemble des Etats qui devraient s’en occuper, à commencer par l’Union européenne.

Sans renier le caractère indispensable de l’Etat, l’action de ce dernier a-t-elle toujours été couronnée de succès, ou bien a-t-elle déjà provoqué certains effets pervers, contraires à l’intention de départ ?

Christian Gollier : Quand l’Etat décide de faire de la politique industrielle verte, en soutenant par exemple l’industrie photovoltaïque, il crée une usine à gaz, car il offre des avantages extraordinaires pour les personnes qui en ont installées. En 2009, j’avais calculé qu’à travers ce système, le citoyen français sacrifiait 1000 euros par tonne de CO2 évité, une somme astronomique par rapport au bénéfice écologique attendu. Il existe bien d’autres solutions pour réduire nos émissions, qui sont bien moins coûteuses pour nos concitoyens qui souffrent par ailleurs d’une crise économique sans précédent. Il a fallu à l’époque réduire massivement le soutien à la filière photovoltaïque, avec toutes les conséquences industrielles que l’on sait. On se retrouve aujourd’hui avec un stock important de panneaux déjà technologiquement dépassés. On voit ici les désastres d’une politique écologique où l’Etat cherche à jouer au mécano industriel, de façon temporellement incohérente et trop ciblée.

En Allemagne l’Etat a décidé de sortir du nucléaire et a imposé des mécanismes qui ont conduit au recours massif au charbon, qui émet beaucoup de CO2. Ceux qui avaient misés sur le gaz, pourtant plus vertueux, sont aujourd’hui dans une situation économique très délicate. Il voudrait absolument aujourd’hui d’imposer à tous le vrai prix du CO2 émis, ce qui conduirait naturellement le marché à se réorienter vers des énergies moins émettrices de CO2. Mais l’Etat allemand semble vouloir corriger l’erreur initiale par une autre erreur, en imposant plutôt des contraintes nouvelles sur les centrales au charbon ! Aujourd’hui, les énergéticiens font face à des incertitudes régulatoires telles que leur volonté à investir est douchée.

Ces quelques exemples montrent que le « command and control » étatique ne marche pas et mène souvent à des désastres écologiques ou industriels. Les politiques environnementales sont souvent inefficaces, dans lesquelles on mélange l’objectif climatique fondamental avec des enjeux d’emploi qui devraient être traités indépendamment par une réforme du marché du travail que l’Etat se refuse énergiquement d’entreprendre.

Rémy Prud’homme : Le nucléaire n’est pas polluant pour l’atmosphère, et il nous rend indépendants sur le plan énergétique. Le photovoltaïque et l’éolien, eux, ne fonctionnent pas tout le temps, et ils coûtent cher. La demande est forte en hiver, mais il ne faut pas compter sur le solaire. Donc on est contraint de construire des centrales au charbon et au gaz, comme en Allemagne. Ce sont des sottises qui augmentent le prix de l’électricité : 4 milliards de plus que lorsque le solaire et l’éolien n’étaient pas développés chez nous. Et cela n’est pas près de s’arrêter car EDF est obligé d’acheter l’électricité au moment où elle est produite, pour des prix fixés à l’avance. La perte est répercutée sur la facture de tout un chacun il d’agit de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE). Le système est en place, et tous les ans, la capacité théorique est augmentée, pour un bénéfice nul, car cela ne remplace pas des sources d’énergie polluantes comme le charbon.

L’écotaxe, quant à elle, n’avait pas mon approbation, car le transport routier est déjà très taxé. Le gazole coûte cher aux transporteurs routiers, et chaque jour une entreprise du secteur fait faillite. Aucune autre possibilité ne s’offre à eux, puisqu’ils sont techniquement contraints d’utiliser ce carburant-là. L’écotaxe les incitait à acheter des camions qui consomment moins, mais pour un résultat nul qui n’enlevait rien aux difficultés qu’ils connaissent déjà.

La question environnementale s’inscrivant dans le temps long, est-il justifié qu’une conférence de ce type ait lieu tous les ans ? Pourquoi ?

Christian Gollier : La question climatique doit être traitée rapidement, mais il faut en même temps offrir des perspectives à long terme. Aujourd’hui il faut des décisions, que l’Etat prenne ses responsabilités. Ceci dit il ne faut pas oublier que certaines questions environnementales nécessitent des révisions périodiques. 

Par certains côtés, est-ce devenu un enjeu plus électoral qu’environnemental ?

Christian Gollier : On ne peut plus tergiverser. La question climatique doit être traitée rapidement, en donnant aux acteurs économiques une vision de long terme crédible sur les bénéfices que les vertueux pourront tirer de leurs efforts écologiques, et sur les coûts supplémentaires que devront supportés les autres. Aujourd’hui il faut des décisions, que l’Etat prenne ses responsabilités. Si ces conférences annuelles peuvent permettre de renforcer le consensus national sur ces questions, pourquoi pas ? Mais à force, on risque de démonétiser la parole de l’Etat et le rôle de nos élus.

L’environnement ne devrait-il pas faire l’objet d’un consensus national, entre les partis, les ONG et autres acteurs du secteur de l’environnement ? De quels modèles pourrait-on s’inspirer ?

Christian Gollier : Non. Les conflits d’intérêt sont multiples et empêchent le consensus. Une politique environnementale fera nécessairement des gagnants et des perdants. Les villes contre les campagnes ; les charbonniers contre les gaziers ; les vieux contre les jeunes. Pour illustrer, il faut se tourner vers la Suède. C’est le seul pays qui ait une vraie politique climatique d’envergure. Là-bas la taxe carbone dépasse les 100 euros la tonne, ce qui est vraiment incitatif. Cette politique fiscale fait aujourd’hui consensus dans le pays, mais elle émane au départ de la volonté politique. Beaucoup d’acteurs de la société civile sont prêts à faire des choses, mais cette volonté individuelle doit être portée par une volonté politique vigoureuse, à la hauteur de l’enjeu.

Comment s’assurer que les entreprises et autres acteurs locaux respectent les grandes règles déterminées par le politique ? Quels sont les leviers incitatifs à mettre en place, ou à renforcer, et comment éviter les dérives ?

Rémy Prud’homme : Les instruments économiques sont plus efficaces que des instruments contraignants et quantitatifs. Pour l’économiste la meilleure chose à faire est d’établir un prix du carbone, pour que chacun regarde à deux fois avant d’en émettre. Ainsi, on ne rentre pas dans un système où l’Etat prétend savoir de combien chaque entreprise doit réduire ses émissions.

Mais la taxe carbone a été un échec, les prix se sont effondrés. L’effet escompté n’est pas au rendez-vous. Seules des mesures mondiales peuvent changer les choses.

Christian Gollier : On n’est pas au pays des bisounours. Oui, toute politique incitative sérieuse conduit à des transferts massifs bénéficiant aux agents économiques les plus vertueux. Mais cette politique permettrait aussi aux Etats de dégager de nouvelles ressources fiscales qui pourrait réduire par exemple la pression fiscale pesant sur le travail. La fiscalité des revenus du travail est massivement désincitative. Cette fiscalité verte que j’appelle de mes vœux est une belle occasion pour rebalancer notre fiscalité en favorisant les comportements vertueux, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

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