Un suicide français : comment la « droite nationale » s’est tirée une balle (russe) dans la tête<!-- --> | Atlantico.fr
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Les champions français de la souveraineté nationale ont préféré continuer à jouer les caisses de résonance de la propagande du Kremlin.
Les champions français de la souveraineté nationale ont préféré continuer à jouer les caisses de résonance de la propagande du Kremlin.
©BERTRAND GUAY / AFP

Un suicide français

Les agissements de la droite nationale, notamment face à l'invasion de la Russie en Ukraine, menacent les intérêts de la nation qu’elle prétend protéger et servir.

Loup Viallet

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

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A ce niveau de discrédit c’est une bérézina. En dix mois les héritiers auto-proclamés du général de Gaulle ont violé méthodiquement tous les principes qu’ils prétendaient incarner et porter au pouvoir.

La guerre d’invasion de la Russie en Ukraine aura mis en lumière la précarité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, exemplifié les vertus d’un patriotisme - celui des Ukrainiens - particulièrement inspirant pour les peuples d’Europe de l’Ouest, justifié l’urgence de défendre la souveraineté des nations, illustré les capacités des Européens à ne pas se soumettre à l’intimidation et à faire front commun. Mais les champions français de la souveraineté nationale ont préféré continuer à jouer les caisses de résonance de la propagande du Kremlin. Ils ont voté contre le renforcement des sanctions contre la Russie au Parlement européen (pour les députés de Reconquête). Ils se sont abstenus de condamner l’agression russe à l’Assemblée Nationale (pour les députés du RN). Ils partagent enfin régulièrement les éléments de langage de Moscou sur la prétendue inefficacité des sanctions et appellent sans discontinuer depuis le début de la guerre à des cessez-le-feu ou à des compromis garantissant les positions impérialistes russes (Éric Ciotti, Marine Le Pen, Jordan Bardella, Nicolas Dupont-Aignan, Éric Zemmour…).

Dans le même temps, les mêmes pseudo patriotes ne trouvent toujours rien à redire à la stratégie du chaos conduite par la Russie à notre frontière sud, dans notre voisinage immédiat et notre grand- voisinage. Rien sur la propagande anti-française déployée par les agents africains et franco-africains du Kremlin. Rien sur les coups d’Etat favorisés par la Russie au Sahel et sur l’extension du domaine du djihadisme dans toute la sous-région. Rien sur les activités destructrices de Wagner et sur leur rôle dans le repli de nos troupes et l’échec (partiel) de leur mission. Rien sur la diplomatie ouvertement anti-française portée par Sergei Lavrov jusqu’en Algérie, en face de nos côtes, où ont récemment été invités à s’entraîner des forces spéciales et des navires de guerre russes.

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Dans leur monde parallèle, la guerre froide ne se serait jamais terminée et les Etats-Unis n’auraient cessé de chercher à mettre en péril la sécurité de la Fédération de Russie en rassemblant les anciennes républiques soviétiques sous sa tutelle impérialiste, l’OTAN, pour mieux rapprocher ses missiles de Moscou. Dans le monde réel, l’OTAN a suscité l’adhésion de nombreuses anciennes républiques soviétiques dès qu’elles ont pu s’affranchir du joug du Kremlin et être en position de choisir librement leurs alliances pour ne pas retomber dans les griffes russes. Sa raison d’être stratégique s’était évanouie avec la dislocation de l’URSS et la création du comité OTAN-Russie en 2002. La guerre en Ukraine semble lui avoir ironiquement donné un second souffle, les Etats-Unis ayant depuis vingt ans largement recentré leurs principales préoccupations sur leur flanc pacifique, sur l’Asie et le rival chinois.

En fait d’encerclement, la Russie partage 8% de ses frontières avec des Etats membres de l’OTAN. Au regard du bilan des ingérences impérialistes constantes du président Poutine dans son « étranger proche » depuis son arrivée au pouvoir, il semble que les plus grandes menaces pour le régime russe ne sont pas issues de cette partie-là de son voisinage ainsi qu’en attestent la guerre de Tchétchénie à la fin des années 1990, l’occupation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud à partir de 2008, l’annexion de la Crimée, le soutien aux séparatistes de Donetsk et Lougansk dans la région du Donbass à partir de 2014 et la répression des manifestations au Kazakhstan et en Biélorussie ces deux dernières années.

Dans le monde parallèle de ces idéologues, le partage d’une langue, de caractéristiques ethniques et culturelles et d’une histoire commune constituent des justificatifs d’annexion qui prévalent sur la souveraineté des nations et la liberté des peuples. C’est à partir de ces critères que Marine Le Pen ou Éric Zemmour avaient jugé que la Crimée était « russe » en 2014, sans jamais revenir sur leurs déclarations.

Dans le monde réel, les frontières des Etats sont des actes géopolitiques et les constructions nationales s’appuient fondamentalement sur des motifs politiques. La manipulation de la mémoire des peuples est notamment mobilisée par des dirigeants poursuivant des objectifs expansionnistes. C’est avec cet artifice que Vladimir Poutine justifie l’annexion (présentée comme un rattachement) de territoires qui composent l’Ukraine.

Légitimer ce comportement impérialiste fracasserait les équilibres fragiles sur lesquels reposent les relations internationales depuis 1945 et ouvrirait une séquence de chaos où chaque territoire pourrait faire l’objet d’une tentative de colonisation par un Etat plus puissant ou même par plusieurs à la fois. Le régime russe pourrait alors ouvertement annexer d’autres anciennes républiques socialistes comme l’Estonie, la Géorgie, l’Arménie, la Moldavie.. ou d’anciennes provinces comme la Finlande. Il n’y aurait plus d’obstacle à la conquête de Taïwan par la Chine. Et les conflits territoriaux se démultiplieraient. La Pologne et la Lituanie pourraient à leur tour se souvenir de leur influence historique en Ukraine pour en revendiquer la souveraineté. Mais allons encore plus loin car suivant cette logique le Royaume-Uni serait fondé à reprendre le Canada et à se saisir des territoires de ses treize anciennes colonies aux Etats-Unis. La France pourrait prétendre au Québec et se tenir prête à annexer l’Angleterre par fidélité à Guillaume le Conquérant. La Belgique pourrait se retrouver écartelée entre les prétentions de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Italie. Quant à Rome…

Les mouvements de droite nationale qui composent encore notre paysage politique ont été bâtis à coups de com’ et de postures d’opposition si systématiques, que celles-ci menacent à présent directement les intérêts de la nation qu’ils prétendent protéger et servir. L’irruption de la plus grande menace sur la stabilité internationale depuis la seconde guerre mondiale a mis au jour leur mort cérébrale et leur incompétence profonde à gouverner.

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