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Un problème de taille : mais pourquoi les Zara, H&M, Mango et Cie ont-ils tant de mal à se résoudre à habiller 40% des femmes françaises ?
©Reuters

XXL... ou pas

L'enseigne Zara a décidé d'élargir sa gamme de tailles de vêtements, suite à l’initiative d’une jeune fille de 18 ans qui avait lancé une pétition en ligne pour réclamer des tailles supérieures au 44, le maximum proposé jusque-là par la chaîne. A cette initiative s'ajoute la dernière campagne de mensuration de l'Institut français du textile et de l'habillement qui révèle que 40 % des femmes s'habillent dans une taille 44 et plus.

Amandine Cadilhon

Amandine Cadilhon

"Moi-même ronde, je suis journaliste pour un magazine de mode grande taille et passionnée par la mode et tous les sujets qui tournent autour du thème de la diversité. Je milite pour que les femmes ne soient plus simplement renvoyées à une taille, à une couleur de peau ou à un âge. Je suis également très attentive à l'aspect santé du surpoids et de l'obésité."

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Atlantico : Quelle est la proportion des femmes françaises susceptibles d'être intéressées par des tailles de 44 ou supérieures ? Quelle est leur taille moyenne et quelle est la taille moyenne proposée par les marques ?

Amandine Cadilhon : Commençons donc par parler chiffres car ils sont très évocateurs de l'incroyable paradoxe français (mais pas seulement) en matière de mode.

Selon une étude réalisée par ClickNdress en 2015, les femmes françaises pèsent en moyenne 63 kilos pour 1m65. Selon la dernière campagne de mensuration de l'Institut français du textile et de l'habillement menée entre 2003 et 2004, seulement 5 % des femmes s'habillent dans une taille 36, 13 % dans un 38 et 20,5 % dans un 40. On constate aussi que plus de 40 % des femmes s'habillent dans une taille 44 et plus.

Pourtant, dans le même temps, si l'on compare l'offre de vêtements proposée aux tailles 38, on constate que pour les tailles 44 elle est 3 fois inférieure, 15 fois inférieure pour les tailles 46 et 71 fois inférieure pour les tailles 48 !

Comment expliquer ce décalage entre les tailles de vêtements disponibles en magasins et la taille réelle des femmes ? Pourquoi la marque Zara était-elle réticente à proposer de plus grandes tailles ? Cela correspondrait-il à une stratégie marketing ? Laquelle ?

Ce décalage est profondément ancré puisque, comme on vient de le constater, les chiffres de l'IFTH datent de 2004. Si depuis l'offre s'est un peu étendue, on reste encore bien loin du compte. Cela peut s'expliquer de plusieurs façons :

La première est psychologique. Dans l'inconscient collectif, même si cela n'est pas dit, il ne peut pas être acceptable de rester gros. La femme ronde est alors considérée comme en transit dans un corps qu'elle va "faire entrer dans le rang". Il n'y a donc pas de raison de s'intéresser à elle, puisque ce n'est qu'un état passager. Pour certains, c'est autre chose. La femme ronde ne serait pas intéressée par la mode et plus préoccupée par le fait de chercher des solutions pour maigrir. Là encore, il n'y aurait donc pas d'intérêt de ces femmes pour la mode.

La seconde est technique. Plus une femme est ronde, plus ses rondeurs vont se situer à différents endroits. Proposer des vêtements de grande taille demande donc des compétences techniques. Il faut créer des patrons, faire essayer les modèles afin de correspondre aux différentes morphologies. Il ne s'agit pas seulement d'ajouter quelques centimètres en largeur, c'est parfois tout le modèle qu'il faut repenser quand on monte dans les tailles (longueur, pinces, etc.). Ce sont des compétences qui demandent un investissement en recherche et développement. Et comme on pense que les femmes rondes ne sont pas plus intéressées que cela par la mode…

La troisième est plus d'ordre marketing. Certaines marques n'ont pas envie de voir des rondes dans leurs boutiques. On se souvient de l'affaire Abercrombie & Fitch ou même de Karl Lagerfeld qui déclarait : "Personne n'a envie de voir des femmes rondes sur les podiums".

Même si l'explosion médiatique des mannequins ronds comme Ashley Graham (qui a été classée par Forbes parmi les trentenaires les plus influents de l'année) marque le début d'une mini révolution, on remarque que l'on parle de femmes rondes qui ont de la poitrine, des hanches et des fesses, mais pas le moindre ventre (premier complexe des femmes).

Zara s'inscrit parfaitement dans la lignée de tout ce que nous venons d'évoquer. On note d'ailleurs que si la marque a bougé, ce n'est que très marginalement puisque cela ne concernera que quelques vêtements et uniquement jusqu'en taille 46. Il semble que ce qui prime soit encore la volonté de s'adresser uniquement à ce que l'on considère comme "l'élite" : des femmes minces et actives qui représenteront parfaitement l'esprit de la marque. On peut y voir un certain déni de la part de Zara.

Mango avait sorti une collection, il y a quelques années, sous la marque Violeta. Présentée comme la version grande taille de Mango, la collection débutait au 40 pour s'arrêter au 52… Notons que considérer que le 40 est une grande taille semble quelque peu exagéré.

D'autres marques font de vrais efforts mais il reste encore beaucoup à faire. Du coup, beaucoup de clientes se tournent vers l'Angleterre, par exemple, ou ce débat existe beaucoup moins.

Du point de vue des clientes, le fait qu'une enseigne propose des grandes tailles n'est-il pas paradoxalement nuisible à son image ? Les femmes ne préfèrent-elles pas qu'on leur présente des produits taillés selon les critères de beauté classiques (jambes longues, silhouette élancée, taille fine, etc.) ?

Je crois que ce que veulent les femmes, c'est tout simplement avoir le choix. Trouver dans un rayon un vêtement comme une robe du 36 au 60 n'est un problème pour personne. Chacune trouvera sa taille. C'est plus l'étiquette "grande taille" qui peut déranger certaines clientes.

On peut d'ailleurs se poser la question de l'utilisation du terme "grande taille" dans la mode. On ne parle pas de maquillage grande taille, ou de coiffure grande taille quand il s'agit de visages ronds… Les femmes n'ont pas/plus envie d'être cataloguées.

Mais au-delà de cela, c'est la représentation du corps de la femme qui est en question. Est-ce que toutes les femmes ont envie de se reconnaître dans des mannequins en plastique affichant des mensurations qui ne correspondent en rien à la réalité ? Est-ce que cela "vend toujours autant de rêve" qu'auparavant ? Rien n'est moins sûr.

Il y a la question de l'offre de vêtements pour les femmes rondes et il y a celle de la façon dont ils sont présentés/vendus. De ce point de vue, il est vrai qu'il est difficile, pour une marque qui propose un modèle du 36 au 60, de trouver le bon équilibre. Si elle présente son vêtement sur un mannequin taille 44, alors elle craint que les femmes s'habillant en 36 ne l'achètent pas… Mais s’il est présenté sur une taille 38, quid des femmes qui s'habillent en 54 ?

La solution ne serait-elle pas tout simplement de présenter les modèles sur plusieurs morphologies afin de permettre à toutes les femmes de se projeter. Certaines marques ont déjà adopté ce système aux États-Unis et cela fonctionne très bien.

Est-ce néanmoins important pour les femmes françaises que la mode propose des tailles supérieures ? Que pèse cette attente comparée à l'envie de s'identifier à des femmes moins corpulentes qu'elles ? Comment les marques pourront-elles concilier ces deux demandes contradictoires ?

La mode grande taille (à partir du 44 selon les critères actuels) concerne presque la moitié des femmes françaises ; il est donc vital que les marques proposent de la grande taille. Chaque femme devrait avoir le droit de s'habiller selon ses goûts et sans se ruiner. Mais c'est également un véritable enjeu économique pour les enseignes. La mode au-delà du 44 n'est pas un marché de niche !

Les femmes en ont surtout assez d'être culpabilisées en permanence. Elles veulent voir les vêtements présentés par des femmes qui leur ressemblent afin de pouvoir se projeter. Il n'y a pas de contradiction dans l'esprit des femmes. Elles savent quelle est la taille notée sur l'étiquette, mais est-ce vraiment le plus important quand on s'habille ? L'essentiel n'est-il pas ailleurs ? Dans le fait de se sentir bien et belle, sexy et confortable ?

Aujourd'hui, les marques n'ont plus le choix. Les clientes rondes n'hésitent plus à commander à l'étranger ce qu'elles ne trouvent pas en France. Avec Internet, le marché s'est ouvert à d'autres boutiques qui ne se posent plus ces questions.

Ces histoires de taille ne sont-elles pas dépassées ? En tout cas, dans l'esprit des femmes, il semblerait bien que oui… Les marques devraient toujours s'inspirer des femmes !

Propos recueillis par Mathilde Debry

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