Un Nobel de la paix pour Black Lives Matter ? Derrière la noble cause, le sectarisme et l’intimidation<!-- --> | Atlantico.fr
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Black Lives Matter Etats-Unis Prix nobel de la paix
Black Lives Matter Etats-Unis Prix nobel de la paix
©Kerem Yucel / AFP

BLM

Le mouvement contre les inégalités raciales « Black Lives Matter », qui a été ravivé l’an dernier par la mort de l’Américain George Floyd, a été proposé pour le prix Nobel de la paix par un parlementaire norvégien.

Jean Degert

Jean Degert

Jean Degert est éthicien, rédacteur et traducteur juridique.

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Le 15 juillet 2017, Justine Damond, une femme blanche, était abattue à bout portant par un policier noir après avoir signalé au téléphone une possible agression sexuelle dans son voisinage. Elle venait de sortir de chez elle, désarmée et pieds nus, pour parler aux agents. Il n’y eut aucune violence à la suite de l’homicide, et les médias furent généralement silencieux. Trois ans plus tard, dans la même ville, à Minneapolis, George Floyd mourait au cours d’une interpellation d’une brutalité choquante, le 25 mai. L’homme étant noir, le mouvement Black Lives Matter (les vies noires comptent), né sous Obama, revint subitement sur le devant de la scène et organisa des émeutes aux cours desquelles trente-deux personnes perdirent la vie. Un retour opportun et instrumentalisé en cette année électorale qui semble désormais échapper au contrôle des démocrates, le mouvement parlant de « suprématisme blanc » de Joe Biden avec des allusions voilées à la violence pour obtenir toujours plus de concessions de la part du Président dont il a soutenu la campagne.

Black Lives Matter (BLM), dont les militants ne sont pas tous noirs, a été proposé le 30 janvier pour le prix Nobel de la paix par le député norvégien Petter Eide, du Parti socialiste de gauche dont le positionnement anticapitaliste – coïncidence ou non - rejoint celui, marxiste, de deux des trois dirigeantes de l’organisation.

Cette proposition est considérée comme allant de soi par l’ensemble des médias qui présentent le mouvement comme « antiraciste » dans leurs titres. Ainsi, Slate constate que le choix de BLM semble plus ou moins faire l’unanimité, mais souligne que ceux de Donald Trump, de son gendre et conseiller, Jared Kushner, ou de la militante anti-islamiste Zibel El Rhazoui posent question. Sans dire en quoi proposer l’organisation afro-américaine ne suscite pas vraiment de controverse, ni pourquoi Trump et Kushner ont été proposés, alors que le 45e Président a réussi son plan de paix israélo-arabe réputé impossible à obtenir. Pourtant, BLM ne fait de loin pas consensus, pas même auprès des Afro-Américains.

Taire les meurtres entre Noirs, systématiser le racisme policier blanc

En juillet 2020, l’acteur noir Terry Crews n’avait pu développer ses critiques à l’endroit de BLM sur CNN, le présentateur Don Lemon ne le laissant pas parler et tentant de couvrir sa voix. Un parti pris médiatique qui est général. Crews dénonçait ce qu’il considère comme un double standard de la part de BLM, le fait que le mouvement s’indigne quand des policiers blancs tuent des Noirs, mais se taise quand des Noirs en tuent d’autres. Cette critique est également celle d’autres Afro-Américains, notamment de l’activiste, auteur et commentatrice politique Candace Owens qui, durant les émeutes à Minneapolis, reprochait à l’organisation son silence au sujet des dizaines de meurtres hebdomadaires de Noirs par des Noirs à Chicago, ville dirigée par Lori Lightfoot, une démocrate afro-américaine. Sur un ton professoral, Don Lemon tentait de convaincre de la légitimité de la distinction de BLM entre les meurtres de Noirs par des Noirs et les homicides sur des Afro-Américains commis par des policiers blancs. Cette discrimination intellectuelle et morale n’est pas sans pertinence, à condition qu’il y ait un véritable racisme systémique de la police qu’il s’agirait de dénoncer et que le mouvement se soucie de tous vies de Noirs ; mais le propos de Terry Crews, comme celui de Candace Owens est davantage pertinent, car le mouvement semble surtout considérer que les vies des Noirs comptent en fonction de qui y attente, et ne semble nullement se soucier d’aider à résoudre le problème de violence intra-communautaire.

Le leitmotiv de BLM, du Parti démocrate désormais, ou de la majorité des grands médias est qu’il y a un racisme systémique aux États-Unis, notamment dans les rangs de la police. L’affaire George Floyd a d’emblée été présentée comme relevant de ce supposé racisme, avant même tout début d’enquête. Or, si le décès de cet homme est dramatique, et que la violence démesurée de Derek Chauvin, le policier, est avérée, leurs origines ethniques respectives ne pouvaient pas entrer en ligne de compte dans le débat public avant que la preuve du lien de causalité ne fût établie. D’autant que Chauvin, présenté comme raciste, était marié à une femme d’origine hmong, que deux policiers d’ascendance asiatique étaient à ses côtés, que lui et Floyd travaillaient accessoirement dans la même boîte de nuit et avaient peut-être un contentieux personnel, et que ce dernier était très défavorablement connu des services de police - ce qui n’excuse pas une telle brutalité, mais peut exclure l’explication médiatique. Sans conclusion d’une enquête, la recherche de la vérité ne l’intéressant pas plus que le rapport d’autopsie excluant la mort par étouffement, BLM a remobilisé son discours quant au supposé racisme meurtrier des policiers blancs pour en faire un médium au service de la contestation du Président.

Pourtant, en juin 2018, l'Université Rutgers-Newark a publié une étude montrant que si certains membres des forces de l’ordre sont mus par des préjugés racistes (« rotten apple » theory – théorie des pommes pourries, brebis galeuses), il n’y a pas de racisme systémique. Ce sont d’ailleurs les policiers non blancs, bien moins nombreux que les Blancs, qui tuent le plus de Noirs, notamment parce qu’ils sont davantage au contact des populations des minorités. Si près de 84 % des policiers de l’étude sont blancs (75 % pour l’ensemble du pays), les Noirs ne représentent que 28 % de leurs tirs létaux, tandis qu'ils constituent près de 38 % de ceux de leurs 16 % de collègues non blancs. Les auteurs relèvent que moins de 1 % des personnes tuées par la police n’étaient pas armées au moment des tirs. Ce fort armement de la population est généralement mis en avant pour expliquer que la police tire rapidement si un individu n’obtempère pas et fait un geste suspect. L’étude constate que les Noirs, 13 % de la population, constituent 28 % des tués, une surreprésentation largement mise en avant par les médias pour parler de racisme, et dont la présentation joue sur l’émotion pour laisser entendre que, mathématiquement, toutes les communautés devraient connaître la même proportion d’homicides policiers. Une telle analyse ne peut qu’être superficielle et témoigner d’un biais puisqu’elle exclut le facteur humain et les occurrences plus ou moins grandes de la violence en fonction des communautés ou des localités. C’est cette analyse tronquée que reprend BLM pour faire avancer son agenda politique.

Un mouvement d’essence marxiste pas si porteur de paix

Deux des fondatrices du mouvement, Patrisse Cullors et Alicia Garza se décrivent comme marxistes, et le mouvement dénonce le capitalisme. Cullors a même été formée par Eric Mann, membre du groupe terroriste Weather Underground qui commit des attentats à la bombe dans les années 1970, sans faire de blessés. Mann fut emprisonné pour avoir tiré sur la fenêtre d’un commissariat de police. L’an dernier, plusieurs villes ont été saccagées, des bâtiments et des véhicules incendiés, et des dizaines de cadavres laissés dans ce sillon idéologique.

Les violences commises par BLM et les Antifas à Minneapolis et dans d’autres villes américaines ont coûté la vie à des policiers noirs, des commerçants noirs qui tentaient de protéger leurs biens. En juillet, des militants ont bloqué des agents fédéraux dans une cour de justice à laquelle ils ont mis le feu tandis que la foule chantait « Black Lives Matter » et « Fédéraux, dégagez ! » Dans la foulée de la Marche pour Trump le 14 novembre, des militants blancs antifas et BLM ont harcelé, insulté et attaqué une famille noire pro-Trump, sans se soucier des larmes d’une fillette ; si la vidéo a été partagée par de petits médias, les grands l’ont ignorée. Le message du mouvement est qu’un Noir peut encore moins qu’un Blanc voter Trump, ce qui le situe dans une veine racialiste consistant à ségréguer les votes en fonction de la communauté. Le même jour, ils ont jeté des feux d’artifice sur des partisans de Trump dînant au restaurant. En septembre, des militants BLM équipés de mégaphones avaient intimidé des gens déjeunant au restaurant à Pittsburgh avant de boire leurs verres. Vêtus de t-shirts indiquant « Nazi Lives Don’t Matter » (les vies nazies – sous-entendu celles des Blancs – ne comptent pas), ils avaient crié : « Que les Blancs qui ont bâti le système aillent se faire f… ! » Ces scènes ont eu lieu dans différentes villes comme Washington D.C. ou New York. Le 31 octobre, en Caroline du Nord, la police a dû faire usage de gaz lacrymogène pour dévier les militants qui marchaient sur un bureau de vote anticipé. De telles violences sont courantes dans le pays, sous le regard bienveillant des médias qui, dès les premières émeutes, les qualifiaient de « manifestants » et s’indignaient du fait que Trump les présente comme des « émeutiers ». Début juillet, les démocrates avaient bloqué une résolution condamnant les violences des mouvements antifas et BLM, en dépit du coût en vies humaines.

Un mouvement au service du Parti démocrate en vue des élections

Avant le lancement des primaires démocrates, Kamala Harris avait rappelé les propos de Joe Biden autrefois en faveur de la ségrégation raciale, en prenant soin de ne pas le qualifier de raciste. Face à la montée des intentions de vote en faveur de Donald Trump dans l’électorat noir, Joe Biden avait perdu son calme et déclaré à un animateur de radio afro-américain non décidé à le soutenir « Vous n’êtes pas noir ! » (You ain’t Black!), ce qui avait irrité une communauté ressentant ce commentaire en broken English (anglais rudimentaire) comme un ordre, les Afro-Américains devant voter démocrate pour être de vrais Noirs... La mort dramatique de George Floyd a alors été utilisée pour faire oublier ce scandale et accuser Trump afin de détourner les électeurs noirs de lui ; et les démocrates ainsi que les médias ont encensé BLM. Cependant, en dépit de ce biais médiatique, le récit n’a pu empêcher les doutes de croître, les témoignages abondant sur les réseaux sociaux malgré une certaine censure.

Entre juin et septembre dernier, le pourcentage d’Afro-Américains soutenant fortement le mouvement est passé de 71 à 62 % selon un sondage du Pew Research Center en date du 16 septembre, mais cet attiédissement n’a pas signifié la chute de son importance numérique. Au niveau du support de l’ensemble de la communauté noire, la proportion n’a pas varié, restant à 87 %. Au total, le soutien de la population américaine est passé de 67 à 55 % durant ce trimestre. Une dizaine de jours après la mort de George Floyd, l’institut de sondage Rasmussen indiquait sur Twitter que 41 % des possibles électeurs afro-américains approuvaient la politique du Président Trump alors accusé par les médias, les démocrates et BLM d’attiser les tensions raciales et d’être indirectement coupable de la mort de Floyd. Un soutien au Président et au mouvement qui s’explique par la présentation très positive de BLM par les médias auprès d’une population dont une grande partie approuvait la politique menée par Trump et n’était pas informée quant aux projets de l’organisation. D’ailleurs, en septembre, le mouvement a retiré de son site Internet sa page « What we believe » (Ce que nous croyons), qui exprimait ses projets politiques extrémistes, notamment l’abandon du modèle familial occidental.

Donald Trump avait annoncé en 2016, dans son style emphatique, qu’il attirerait 95 % des électeurs noirs au Parti républicain au terme de son premier mandat, soit le même score que Barack Obama en 2008. Ce à quoi le Washington Post avait sarcastiquement répondu qu’il aurait en effet cette proportion de cet électorat, mais contre lui. Les dernières fois que le parti d’Abraham Lincoln, celui des premiers élus afro-américains, avait obtenu des chiffres significatifs, c’était avec Dwight Eisenhower en 1956 sur lequel s’étaient portées 40 % des voix des Noirs après qu’il eut envoyé des parachutistes servir de gardes du corps à neuf élèves noirs afin qu’ils puissent aller dans les mêmes écoles que les jeunes Blancs ; et en 1960, quand le candidat malheureux Richard Nixon avait pu compter sur le tiers des voix des Noirs. Depuis les chiffres avaient chuté : d’une part en raison de l’opposition du Parti républicain à la discrimination positive vue comme injuste pour les Blancs ; d’autre part avec la mutation du Parti démocrate, auparavant esclavagiste et ségrégationniste dans le Sud, en un parti se présentant comme le défenseur des minorités avec notamment une captation de l’électorat noir grâce à la distribution de bons alimentaires par les États. De nombreuses personnalités noires, dont feu Herman Cain, grand favori du Tea Party pour les primaires républicaines de 2012, ou Candace Owens, ont critiqué l’usage électoraliste de ces bons destinés à maintenir les Afro-Américains dans ce qu’ils appellent la « plantation démocrate », allusion à l’esclavage soutenu par le Parti démocrate à l’époque. Donald Trump avait émis les mêmes critiques et promis que les Noirs bénéficieraient tellement de la croissance qu’ils n’auraient plus besoin de dépendre de ces coupons, tout en dénonçant la discrimination positive.

La crainte du Parti démocrate était que 25 % des électeurs afro-américains ne se tournent vers le Parti républicain, ce qui aurait permis à ce dernier de remporter plusieurs élections des années voire des décennies durant. Des personnalités noires de premier plan médiatique ont quitté le Parti démocrate l’an dernier et annoncé leur soutien à Donald Trump. Ainsi le célèbre avocat des droits civiques Leo Terrell a déclaré que Trump a davantage fait pour les Noirs en 3 ans qu’Obama en 8 ; ou encore le représentant Vernon Jones, membre de la législature de Géorgie, a apporté son soutien au Président en affirmant « Le Parti démocrate ne veut pas que les Noirs s’émancipent de la plantation mentale qu’ils ont sur nous depuis des décennies ». Tout le travail de BLM a été de discréditer par la violence les affirmations de ces personnalités noires démocrates devenues des soutiens du Président.

Né sous Barack Obama en 2013, à la suite de l’acquittement d’un homme blanc qui avait tué un adolescent noir, le mouvement s’était surtout développé au cours de l’année 2014 suite à plusieurs décès d’Afro-Américains dans le cadre d’interpellations policières. À l’époque, il n’avait pas pensé à incriminer le Président Obama pour la mort de citoyens, même si ce dernier n’a pas profondément agi en faveur des Noirs, contrairement à Donald Trump félicité par Alveda King, nièce du célèbre pasteur prix Nobel de la paix, pour sa volonté de réforme de la police et de justice raciale.

En 2016, Black Lives Matter avait soutenu Hillary Clinton, mais était devenu relativement discret jusqu’à la mort de George Floyd. Aujourd’hui, il pose ses conditions au Président Biden qui sait les risques qu’il prendrait à s’aliéner ce mouvement. Ainsi, Melina Abdullah, responsable de BLM à Los Angeles a fait pression sur Biden pour qu’il ne prenne pas le maire de la ville, Eric Garcetti, dans son gouvernement : « Nous voulons être clairs quant au fait que, si nous avons heureusement sorti le régime Trump, nous n’accepterons pas  une suprématie blanche de gauche à la Maison-Blanche incarnée par Joe Biden. Je me moque que Kamala Harris soit votre vice-présidente si vous utilisez son corps de femme noire pour installer des systèmes d’oppression et des gens oppressifs comme Eric Garcetti. » Officiellement, le maire de Los Angeles a refusé de lui-même le poste de Secrétaire aux Transports.

Jean Degert

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