Un mal français : les chiffres, l’invective ou l’efficacité politique <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Olivier Véran lors de la visite d'un centre d'appels du SAMU, durant la crise sanitaire.
Emmanuel Macron et Olivier Véran lors de la visite d'un centre d'appels du SAMU, durant la crise sanitaire.
©BERTRAND GUAY / AFP / PISCINE

Tribune

La gestion de la crise sanitaire a connu un tournant avec la hausse des contaminations liées à Omicron et suite aux propos d'Emmanuel Macron sur les non-vaccinés. L’invective ne semble pas la meilleure manière de faire bouger les choses. L’administration française empile les chiffres sans se demander quelle est leur utilité.

Jean-Pierre Escarfail

Jean-Pierre Escarfail

Jean-Pierre Escarfail, ingénieur-docteur-es-sciences, a travaillé dans l’industrie et le conseil, notamment chez McKinsey. Après le procès de Guy Georges, assassin de sa fille Pascale, il crée l'Association   pour   la   Protection contre les Agressions et Crimes Sexuels (APACS) et se consacre à l’amélioration des processus judicaires. Membre du Comité de Réflexion sur la Justice Pénale et d’une Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sureté, il participe aujourd’hui aux Etats Généraux de la Justice.

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Tous les jours, sur les chaines d’information, un bandeau nous montre les chiffres indiquant l’évolution de la pandémie Covid :

  • Nombre de cas positifs
  • Nombre d’entrées en hospitalisation
  • Nombre de décès dus à cette infection

Sans doute faudrait-il éliminer de ce palmarès le nombre de cas positifs qui dépend autant du nombre de tests effectués que de la circulation du virus. Mais il serait surtout judicieux d’ajouter au nombre d’entrées en hospitalisation « dont x personnes non vaccinées » ! Si, comme on le dit, les non vaccinés ont 17 fois plus de chances d’être hospitalisés, cette comparaison frapperait quotidiennement les esprits.

Notre Président a jugé que l’invective pouvait faire changer les comportements - à l’exemple d’un de ses prédécesseurs, Georges Pompidou. « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays, On en crève ! » disait celui-ci il y a cinquante ans. Et pourtant, depuis, l’hydre administrative n’a cessé d’étendre ses tentacules. Le Recueil des lois de l'Assemblée est passé de 400 pages en 1968 à près de 4 000 pages en 2004 et il serait intéressant de connaitre ce chiffre aujourd’hui !

Ainsi l’invective ne semble pas la meilleure manière de faire bouger les choses, alors que des chiffres pertinents soulignent la réalité et les besoins de changement. Or, l’administration française empile les chiffres sans se demander quelle est leur utilité. Ce n’est pas mauvais, c’est nul. Quand vous faites des statistiques, vous devez toujours vous poser la question, avant de lancer votre effort d’analyse, « à quoi ça va servir ? ». Or, les statisticiens dans le domaine public, que ça soit ceux de l’INSEE ou ceux des différentes administrations, prennent la bête et la découpent en morceaux sans réfléchir. Cela donne une petite idée, quelque fois, si l’on a de la chance. Certains chiffres frappent mais il y a trop de temps perdu et surtout, on ne va pas au fond des choses. On ne définit pas, à partir d’une évaluation qualitative, les questions-clé et les chiffres dont on doit disposer pour y répondre. Un exemple : celui des viols dans les parkings. Au sein de notre association, nous avons plusieurs personnes qui ont été violées dans des parkings et on sait que Guy Georges a tué deux fois dans ces lieux. Or, on n’a aucune idée du pourcentage des viols qui ont lieu dans ces endroits le plus souvent sinistres. Ce chiffre devrait être disponible. Ce serait plus utile que d’avoir des chiffres d’une précision incroyable sur des éléments qui n’apportent rien. Dans une étude de stratégie, vous commencez généralement par faire des interviews de personnes capables de mettre en exergue un certain nombre de problèmes. Ce n’est qu’après que vous allez chercher les chiffres qui vont quantifier ces problèmes. Dans l’administration, cela n’existe pas car il n’y a pas de stratégie, notamment au regard des clients. Le mot est d’ailleurs banni, honteux pour l’administration. On y parle d’usagers mais en réalité, il s’agit de clients, ni plus ni moins. La première chose, c’est de savoir ce que font et veulent ces clients.

Dans notre groupe de travail au sein des Etats Généraux de la Justice, nous avons été inondés de centaines de chiffres inutiles mais, malgré mes demandes, nous n’avons toujours pas une segmentation des prévenus et des délinquants condamnés à de courtes peines qui représentent plus de la moitié de la population carcérale et saturent nos prisons. Or les différents types de délinquance : violences, stupéfiants, vols, etc. demandent des approches distinctes pour tenter de les réduire. Affaire à suivre lorsque les Etats Généraux rendront leurs conclusions.

Jean-Pierre Escarfail

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