Un an après la première action de groupe à la française, les consommateurs ne font pas vraiment trembler les entreprises <!-- --> | Atlantico.fr
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Les consommateurs ne font pas encore peur aux entreprises.
Les consommateurs ne font pas encore peur aux entreprises.
©Reuters

L'union ne fait pas la force

Emblématique de la loi Hamon, l'action de groupe à la française a été mise en place pour redonner le pouvoir aux consommateurs. Mais un an après ses débuts, son bilan est plus que mitigé.

Joseph  Vogel

Joseph Vogel

Joseph Vogel est avocat associé au sein du cabinet parisien Vogel & Vogel. Il est spécialiste en droit de la concurrence et de la distribution et conseille ses clients aux niveaux européen et français. Diplômé d’HEC (Hautes Etudes Commerciales) et de l’IEP de Paris (Institut d’Etudes Politiques), il bénéfice d’une double compétence en économie et en droit. Il est avocat au barreau de Paris depuis 1985 et à celui de New York depuis 1990.

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Atlantico : Depuis l'entrée en vigueur de l'action de groupe le 1er octobre 2014, quel premier bilan annuel peut-on dresser de cette mesure emblématique de la loi Hamon? Les consommateurs se sont-ils emparés de ce nouvel outil ? Les entreprises connaissent-elles les soucis que certains leur avaient prédits ?

Cabinet Vogel & Vogel, Me Joseph Vogel : le bilan de l’action de groupe prévu par la Loi Hamon est plus que mitigé. Les associations de consommateurs, conscientes des difficultés du système, n’ont engagé que très peu d’actions, une demi-douzaine au total. On compte ainsi celles lancées :

- le 1/10/2014 par l’UFC contre Foncia, pour le remboursement de frais irrégulièrement perçus ;

- le 14/10/2014 par la CLCV contre AXA et l’AGIPI, pour non-respect du taux de rémunération garanti le contrat Cler ;

- le même jour par le SLC-CSF contre Paris Habitat-OPH pour le remboursement de frais liés à un dispositif de télésurveillance ;

- le 03/11/2014 par la CNL contre la société Immobilière 3F pour le remboursement d’une pénalité abusive en cas de retard de paiement ;

- le 12/05/2015 par Familles Rurales contre SFR au titre de promesses trompeuses sur sa couverture 4G. A ce jour, aucune de ces procédures n’a abouti, à l’exception de celle du SLC-CSF, qui s’est soldée par un accord amiable, ne prévoyant du reste qu’un dédommagement partiel des victimes.

Dans le cadre de l’action UFC/Foncia, le juge a également proposé une médiation. D’autres actions ont aussi été largement médiatisées même si elles ne constituent pas des actions de groupe au sens strict. On peut citer l’action « groupée » ou « regroupée » lancée le 13/01/2015 par une organisation de producteurs laitiers contre le groupe Lactalis pour obtenir le respect de ses engagements tarifaires, en vertu non de la loi Hamon (réservée aux consommateurs), mais de la loi d’avenir pour l’agriculture du 14/10/2014. Ce type d’action groupé est toujours assez lourd, car il faut justifier d’un mandat délivré par chaque producteur (plus de 500 en l’occurrence). De même, le 13/02/2015, Corinne Lepage a annoncé l’exercice d’une action civile contre des sociétés d’autoroutes, pour sur-tarification des péages. Il ne s’agit pas non plus d’une action de groupe, dont l’initiative est réservée aux associations de consommateurs, mais d’une action qui n’a visiblement d’autre but que d’aboutir à une médiation. Le site actioncivile promet d’ailleurs, dans le prolongement de cette action, l’engagement d’autres procédures dans le domaine de la banque, des télécoms, du transport ferroviaire. Le développement de ces actions parallèles démontre le peu d’attrait et d’efficacité des actions de groupe. Celles-ci ne permettront l’indemnisation des consommateurs qu’après de longues années de procédure, puisqu’il faut attendre un jugement définitif après épuisement de toutes les voies de recours. Pendant ce temps, malheureusement, la réputation des entreprises attaquées risque d’être irrémédiablement entachée, avant même tout jugement sur leur responsabilité éventuelle.

Il serait question d'étendre cette possibilité d'action de groupe au domaine de la santé, dans le cadre du projet de loi de santé pour l'année 2016, avec une entrée en vigueur en juillet prochain. Tous les produits de santé seront-ils concernés ? Est-ce adapté à la santé? Pourquoi?

Le projet de loi Santé, en cours de discussion, comporte un article 45 visant à permettre à un groupe de patients utilisateurs d’un même produit de santé, d’intenter une action en justice contre le producteur, le fournisseur ou l’utilisateur de ce produit, pour obtenir réparation de leur préjudice corporel. Le projet vise à réparer les « dommages sériels que peuvent causer la défectuosité ou la mauvaise utilisation de produits de santé », imparfaitement pris en charge par les procédures de recours amiables et à éviter la multiplication des procédures individuelles, très lourdes pour les victimes. Le champ de l’action est dangereusement large pour les entreprises du secteur. Alors que seules 15 associations de consommateurs sont agréées en matière de consommation, on en compte près de 500 dans le domaine de la santé. Le projet concerne en outre tous les produits visés à l’art. L. 5311-1 du Code de la santé publique et couvre ainsi les médicaments, dispositifs médicaux, produits sanguins, cosmétiques, lentilles de contact… Enfin, il concerne tant celui qui a mis sur le marché un produit défectueux, que celui qui l’utilisé sans respecter ses conditions d’emploi. L’article 45 tente d’adapter le dispositif au champ de la santé, notamment pour tenir compte des spécificités de la réparation des dommages corporels. Il prévoit ainsi que la phase de réparation des préjudices est individualisée afin de permettre une évaluation, pour chaque victime, de l’étendue du préjudice corporel et de son imputabilité au produit. Mais cette individualisation risque par là-même de rendre l’issue de la procédure encore plus longue que celle de l’action de groupe.

Un extension de l'action de groupe au domaine de l'environnement est également évoquée, est-ce également adapté à ce domaine? Pourquoi ? Pourriez-vous donner des exemples de cas aujourd’hui peu traités qui le seraient davantage avec cette mesure?

Contrairement à l’action en matière de consommation, qui peut concerner un nombre très élevé de personnes, le dommage environnemental concernera souvent un nombre plus limité de victimes, comme les riverains d’une pollution industrielle. Un dispositif collectif se justifie donc moins. En outre, le préjudice environnemental, comme d’ailleurs le préjudice médical, est difficile à démontrer, car il peut ne se manifester que plusieurs années après l’exposition de la victime au risque. Le même problème d’individualisation du préjudice et donc d’allongement de la procédure se pose qu’en matière de santé. Enfin, le dommage causé à l’environnement est-il nécessairement un préjudice causé aux personnes ? Le lien de causalité s’avèrera souvent difficile à établir.

Les entreprises avaient-elles bien anticipé la nouvelle donne législative ? Ont-elles encore mis à profit cette première année pour modifier leurs pratiques et mieux se protéger ?

Il était difficile de se préparer car la loi Hamon est entrée en vigueur assez rapidement après son adoption s’agissant de la faculté de lancer des actions de groupe. Certaines entreprises s’y sont préparées néanmoins en vulgarisant l’information et en sensibilisant leurs personnels concernés par la gestion et le risque potentiel de telles actions, notamment par des actions de formation et des demandes de remontées des problèmes afin de pouvoir les traiter de manière préventive. Il est important pour toute entreprise pouvant avoir à faire face à de telles actions d’engager des actions de formation, de prévention, de remontées d’information et d’organiser une cellule de crise pouvant être convoquée au cas où une telle action serait lancée.

Propos receuillis par Adeline Raynal

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