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Un officier de renseignement de l'US Air Force trahit au profit de l’Iran : quand la réalité dépasse la fiction
©YURI GRIPAS / AFP

Homeland

Une ancienne militaire de l’Armée de l’air américaine a fait défection en Iran en août 2013 emportant avec elle de nombreuses informations classifiées concernant au moins deux opérations secrètes et - pire encore - l’identité réelle de ses collègues travaillant dans le renseignement. Son cas vient d'être rendu public.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Monica Elfriede Witt alias Fatemah Zahra et Narges Witt, une ancienne militaire de l’Armée de l’air américaine aujourd'hui âgée de 39 ans, parlant parfaitement le Farsi, a fait défection en Iran en août 2013 emportant avec elle de nombreuses informations classifiées concernant au moins deux opérations secrètes et - pire encore - l’identité réelle de ses collègues travaillant dans le renseignement. Curieusement, le cas n’a été rendu public qu’en février 2019 lorsque l’acte d’accusation de la Cour de Columbia dépendant du Département de la Justice US a été divulgué dans les medias. On s’aperçoit qu’elle est inculpée de "conspiration de tentative de divulgation et de divulgation d’informations relevant de la défense nationale au gouvernement iranien". Lors de sa carrière militaire, elle a notamment appartenu au Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Air Force (Air Force Office of Special Investigations - AFOSI -), le pendant du célèbre NCIS (Naval Criminal Investigative Service) bien connu des amateurs de séries télé.

Mojtaba Masoumpour, Behzad Mesri, Hossein Parvar and Mohamad Paryar, quatre supposés agents iraniens dépendant des Gardiens de la Révolution (pasdaran) sont également accusés d’avoir tenté d’entrer en contact avec au moins huit anciens collègues de Monica Witt, ou au moins pénétrer dans leurs ordinateurs en 2014 - 2015. Cette inculpation est arrivée au moment où le Département du Trésor annonçait de nouvelles sanctions à l’égard de Téhéran.

L’enquête menée par le FBI a révélé que la société iranienne "New Horizon Organisation" dépendait de la force Al-Qods des pasdarans, le "Service Action" des Gardiens de la Révolution chargé des opérations extérieures toujours commandé par le major-général Qassem Souleimani. Selon l’acte d’accusation, cette société organisait des conférences internationales à Téhéran dont celle intitulée l’"Hollywoodisme et le cinéma" offrant aux officiers de renseignement iraniens une plateforme pour approcher et tenter de recruter des participants invités tout en propageant une propagande antisémite, complotiste et négationniste. D’autres sociétés iraniennes qui ont participé à la tentative d’introduction des malwares dans les ordinateurs d’anciens collègues de Monica Witt ont aussi été sanctionnées mais leur identité n’a pas été dévoilée.

Monica Witt née à El Paso au Texas a intégré l’US Air Force en 1997. Elle a été affectée comme Agent Spécial auprès de l’AFOSI. Elle a quitté le service en 2008 mais a continué de travailler comme consultante pour le Département de la défense jusqu’en 2010. Durant son service, elle avait accès à des informations classifiées de très haut niveau et aurait mené plusieurs missions de contre-espionnage à l’étranger.

Ce n’est qu’après avoir quitté la Défense qu’elle s’est rendue en février 2012 en Iran pour assister à la conférence "Hollywoodisme et le cinéma" organisée par la "New Horizon Organisation" citée plus avant. Cette conférence était surtout destinée à condamner les principes moraux occidentaux et promouvoir une propagande anti-US. À noter l’hommage rendu lors de cette conférence par le président iranien de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad, au négationniste Robert Faurisson alors accompagné de plusieurs artistes et journalistes français. Était également présent Sean Stone, le fils du célèbre cinéaste Oliver Stone, qui s’était fraîchement converti à l’islam.

Dès cette époque, Witt est apparue à plusieurs reprises sur des vidéos où elle se présentait comme une ancienne du département de la Défense et critiquait le gouvernement américain sachant parfaitement que ces films seraient exploités par les médias iraniens dans un but de propagande. Elle dénonçait notamment les harcèlements sexuels dont sont victimes les femmes dans l’armée US. Une autre vidéo montrait la cérémonie où elle se convertissait à l’islam.

Le 25 juin 2012, le FBI l’avertit sur le fait que les Iraniens pourraient tenter de la recruter. A l’évidence, déjà convaincue par sa nouvelle idéologie, elle ne tient pas compte de cette mise en garde. Les enquêteurs pense que sa motivation est avant tout idéologique.

A la même période, Witt aurait été mise en contact avec une journaliste américano-iranienne (vraisemblablement désignée comme l' "Individu A" dans l’acte d’accusation) qui effectuait un reportage "à charge" aux États-Unis. Cette journaliste (si c’est bien d’elle dont il s’agit), Marzieh Hachemi née Melanie Franklin avant de se convertir à l’islam et de se marier à un citoyen iranien, a été arrêtée le 13 janvier 2019 aux États-Unis. Elle a été détenue pendant dix jours afin d'être entendue comme témoin dans un "dossier pénal en cours" devant un grand jury à Washington sans plus de précisions. Or, le cas de Monica Witt a été dévoilé le 8 février… Cela viendrait confirmer la thèse que Marzieh Hachemi est bien l’"individu A" cité dans le dossier d’instruction. Résidant en Iran depuis 25 ans, elle officie au sein de la chaîne anglophone Press TV. C’est à ce titre qu’elle s’est rendue à plusieurs reprises aux États-Unis pour y commettre des reportages. Il n’est pas impossible que les enquêteurs aient aussi cherché à savoir si elle a participé en tant qu’officier recruteur aux manifestations données par "New Horizon Organisation".

Witt se rend à la même conférence en février 2013 à Téhéran (il y en a eu trois en tout: 2011, 2012, 2013). Tout le gratin international du complotisme est présent (négationistes de la Shoah, attentats du 11 septembre "concoctés" par le Mossad et la CIA, etc.). Mais elle s’impatiente auprès de son contact ("l’individu A") avec lequel elle correspond régulièrement car les Iraniens semblent rester sourds à ses appels du pied répétés. Elle a pourtant clairement dit qu’elle était une ancienne militaire - spécialiste du renseignement -  qui voulait émigrer en Iran. Elle se serait même rendue en juin 2013 à l’ambassade d’Iran à Kaboul où elle aurait "tout raconté". A bout, elle aurait menacé en juillet 2013 de faire comme WikiLeaks (en parlant à la presse) ou en contactant les Russes qui "seraient très gentils" venant "la chercher à l’aéroport".

La lenteur que mettaient les Iraniens à répondre à ses offres de services est due au fait que tous les professionnels du renseignement se méfient des actes de "volontariat" car ils craignent alors d'avoir à faire à une provocation, méthode bien connue de la guerre secrète. Ils préfèrent toujours garder l’initiative. Le cas de Witt était assez exceptionnel pour que de longues vérifications soient nécessaires avant que les services iraniens ne donnent suite d’autant que, c’est elle seule qui aurait finalement décidé de rejoindre Téhéran le 28 août 2013 à partir de Dubaï. Si ses déplacement de 2013 sont difficiles à suivre, il est probable que le débriefing à son arrivée en Iran a dû être long et serré !

Finalement, les Iraniens lui ont assuré le gîte et le couvert tout en lui fournissant des moyens informatique. Un défecteur est toujours intéressant mais ses informations s’arrêtent quand il a quitté son pays. Il est utile de tenter de lui faire jouer un rôle offensif qui peut être payant sur le long terme. Il a donc été demandé à Monica Witt de faire des recherches sur ses anciens collègues afin de constituer des "dossiers d’objectifs". En clair de les transformer en cibles potentielles.

Comme par hasard (mais il n’y a que très rarement des hasards dans ce métier) à partir de décembre 2014, les cyber activistes iraniens nommés en en tête de cet article auraient commencé à lancer des manoeuvres de pénétration informatique visant les cibles désignées par Witt. Utilisant de faux comptes (dont un sur Facebook), ils ont tenté de pénétrer les réseaux de leurs objectifs en leur proposant d’ouvrir des pièces jointes ou des liens infectés. Ces activités ont atteint un pic entre janvier et mai 2015. Les cyber activistes se sont en particulier fait passer pour l’un des anciens collègues de Witt pour contacter d’autres personnes sans attirer l’attention. A partir du 5 janvier 2015, ils ont aussi utilisé une adresse mail : [email protected] et un compte Facebook associé pour contacter un ancien confrère de Witt alors détaché en Afghanistan dans une unité de renseignement de l’US Central Command (CENTCOM). Il semble que cette tactique ait fonctionné à plusieurs reprises.

Toutefois, l’acte d’accusation est relativement précis sur les recherches qu’effectuait Witt via le net. Il est donc probable que les services américains ont suivi ses démarches pas à pas (ce qui explique qu’ils n’ont pas communiqué sa défection à la presse) et qu’ils ont ainsi été en mesure de déjouer les manœuvres iraniennes, voire de les retourner contre eux. La guerre secrète reste un art subtil !

Toutefois, "les actions imputées à Monica Witt consistant à aider un pays hostile constituent une trahison de la sécurité de notre nation, de nos forces armées et du peuple américain" a déclaré l’agent spécial du FBI Phillips qui a témoigné devant la justice. Est-elle vraiment un traître ou un faux transfuge destiné à intoxiquer Téhéran ? La réponse à cette question restera vraisemblablement un des nombreux mystères de l'histoire de l'espionnage. 

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