Une révolution pour rien ?
Ukraine : quel bilan après une année de pouvoir du président Porochenko ?
Le président ukrainien Petro Porochenko est arrivé au pouvoir le 7 juin 2014. Ses entreprises, Roshen en tête, ont subi de plein fouet les pressions commerciales russes visant à faire capoter les négociations de libre-échange entre l’Ukraine et l’Union européenne, dont l’échec a provoqué les manifestations de Maïdan.
Atlantico : Noms de rues et de villes modifiés, tentative de réhabilitation de nationalistes ukrainiens douteux, blanchiment de l'histoire... Pourquoi Petro Porochenko s'attaque t-il aux symboles et à l'histoire pour faire avancer son pays ? Est-ce qu'il faut nécessairement exacerber une fibre patriotique et identifier un ennemi pour reconstruire un pays ?
Michael E. Lambert : Le Président ukrainien ne s’attaque pas à l’Histoire de son pays, mais revient davantage sur l’héritage de la période soviétique et sur l’influence de la culture russe dans le vie des citoyens. Il est vrai que cette procédure qui vise à renommer les rues et à mettre en avant les patriotes ukrainiens peut semble extrême, mais celle-ci correspond à la valorisation de l’identité nationale et revient sur l’héritage historique du pays qu’il était impossible de critiquer en raison de l’importante présence des russophone, notamment en Crimée et en Novorossia.
Ainsi, pendant plusieurs décennies, Kiev à mis en avant l’héritage soviétique avec une image de Staline autrement plus positive qu’en occident. Ce choix de passer de la vision russe à la vision plus occidentale, et donc européenne, témoigne des ambitions européennes du pays.
Il n’est pas nécessaire de trouver un ennemi pour reconstruire un pays, ni même pour exacerber l’identité nationale, mais l’influence soviétique et de la Russie est objectivement nocive pour la mise en place des standards occidentaux pour la liberté politique et la prospérité économique. On peut donc difficilement reprocher à Porochenko ce choix d’accorder l’Histoire du pays avec ses partenaires de l’Ouest.
La tentative de musellement de l'opposition et les lois votées visant à empêcher expression politique et la liberté de parole alertent l'OCDE, universitaires et intellectuels occidentaux. Pourquoi l'Ukraine, qui souhaite se rapprocher de l'Europe, s'en éloigne en s'extirpant violemment du passé et de la sphère soviétique ? Comment Porochenko priorise t-il ses volontés ?
Il semble important de rappeler que Kiev est actuellement dans un état de guerre (civile ou non, en fonction des représentations du conflit avec Novorossia), et doit rapidement prendre des décisions. Loin de s’éloigner de l’Union européenne et de l’OTAN, le choix de ne pas prêter attention aux tendances pro-russes, pro-soviétiques ou anti-européennes dans le pays est judicieux et réaliste. De nombreux pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, interdisent à certains partis politiques de s’exprimer, c’est le cas du parti communiste américain. Plutôt que de voir ces actions comme une atteinte à la liberté d’expression, il faut les percevoir comme un moyen de dynamiser le débat et de l’orienter rapidement sur les problématiques concrètes, avec la mise en place de réformes qui ne peuvent plus attendre, c’est le cas du développement des énergies renouvelables, du choix d’intégrer l’Union européenne et l’OTAN. Dans cette optique, ce qui importe est le résultat sur l’économie et sur le rapprochement avec l’occident.
Les priorités sont objectivement la lutte contre Novorossia et l’influence de Moscou, la prospérité économique, la lutte contre la corruption. Ce dernier aspect devant en réalité se retrouver en premier d’après les recommendations de l’OSCE, l’OCDE et de Bruxelles.
Quel est le calendrier politique du "baron du chocolat", milliardaire et hommes d'affaires, aux nombreuses ambitions politiques ?
Il est vrai qu’une visite dans Kiev peut interpeller dans la mesure ou les magasins du Président sont mis en avant d’une manière assez ostentatoire, ce qui amène à penser que la corruption reste le principal problème dans le pays, et que la séparation entre monde politique et milieu des affaires reste à faire, bien qu’on puisse reprocher une situation similaire dans de nombreux pays en Europe, dont la France.
Contrairement à de nombreux experts, il me semble que Porochenko n’a pas de calendrier précis. La priorité est de contenir Novorossia, essayer tant bien que mal de se rapprocher de l’Union européenne tout en conservant des relations “acceptables” avec le Kremlin. A l’heure actuelle, le principal objectif est d’arriver à survivre en espérant une réponse des occidentaux, ce qui semble s’apparenter à une approche optimiste si on se réfère aux négociations de Riga sur l’avenir du Partenariat oriental et sur le basculement de l’attention américaine de l’Atlantique vers le Pacifique.
Enfin, quelle est la situation économique de l'Ukraine d'aujourd'hui ? Est-elle toujours esclave de son voisin en matière énergétique ? Sur quels atouts peut-elle compter ?
L’Ukraine est un pays qui à toutes les ressources nécessaires pour parvenir à s’émanciper de la tutelle de Moscou. Le pays dispose d’une population avec un bon niveau d’éducation, d’industries qui peuvent produire du chocolat, des armes et de la vodka à un prix abordable, ce qui peut lui apporter un avantage stratégique en axant ses exportations vers des pays comme l’Union européenne pour le chocolat, la Chine pour la vodka, et les armes pour le Moyen-Orient, ce dernier aspect constituant une triste réalité.
Qui plus est, le pays pourrait émerger comme puissance énergétique avec la production d’énergies renouvelables, c’est du moins ce que rapporte un rapport du PISM. A cela s’ajoute naturellement la production agricole qui peut intéresser les européens de l’Ouest.
Malgré cela, le pays souffre d’une faible natalité, peine à attirer des immigrants, et doit adapter ses normes à celles de pays pays occidentaux. Il lui faudrait donc recevoir des investissements massifs pour moderniser toutes les infrastructures en même temps, ce qui s’apparente à une impossibilité au regard de la corruption qui règne dans le pays.
Pour terminer sur une note optimiste, des pays comme la Pologne et l’Estonie, au départ totalement dépendants de la Russie pour leur survie, ont pu s’extirper de celle-ci en adoptant une attitude qui vise à passer de leur relation avec la Russie vers une relation avec les partenaires occidentaux. Kiev pourrait faire de même et dispose d’un potentiel énorme, il lui faut juste parvenir à l’exploiter et à inciter l’OTAN et les Européens à accorder leur confiance.
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