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Uber en bourse : mais que voient les investisseurs capables de payer 82 milliards de dollars une entreprise qui pourrait bien ne jamais gagner d’argent ?
©JOHANNES EISELE / AFP

Atlantico Business

La promesse d’un jackpot pour certains, la pyramide de Ponzi pour d’autres. 10 ans après sa création, Uber est entrée en bourse avec une valorisation, inédite pour une société de cette taille qui n’a jamais dégagé un centime de bénéfice.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le chauffeur Uber qui me ramenait hier soir du centre de Paris m’a demandé un peu abasourdi ce que représentait 82 milliards de dollars.  Quoi dire, quoi faire, quand la course dans cette voiture Peugeot 508 a couté 9 euros  et qu‘elle a duré 20 minutes. 9 euros sur lesquels prendra une commission de 25% au chauffeur, à qui il restera moins de 3 euros, une fois payées les charges de voitures et la redevance taxi. Quoi dire, quoi faire ? 

Hier, à la bourse de New York, les dirigeants de Uber ont quand même hésité jusqu’au dernier moment, pour finalement abaisser leur prétention afin de ne pas braquer des boursiers très perplexes. Uber s’est donc proposée hier à la bourse de New-York au prix de 82 milliards de dollars. Un peu moins arrogant que les 100 milliards espérés par les dirigeants, mais quand même 82 milliards pour une entreprise qui a déjà perdu beaucoup d’argent (3 à 4 milliards par an) et qui n’en gagnera pas avant longtemps, c’est énorme. 

Les chiffres clefs de Uber sont impressionnants :

-15 millions de courses par jour, pour un cumul de plus de 10 milliards de courses en 10 ans ;

- 91 millions d’utilisateurs dans 63 pays ;

- Un chiffre d’affaires qui a presque triplé de 2016 à 2018, passant de 3,85 milliards de dollars à 11,27 milliards de dollars;
- Mais, une perte annuelle de 3 milliards de dollars. Perte récurrente (2016 : perte d’exploitation de 3,02 milliards ; 2017 : 4,08 milliards de $ ; 2018: 3,03 milliards de $).

- Dans ce tableau de chiffres, la valorisation estimée à 82 milliards de dollars, pour une action qui a débuté en bourse à 45 dollars peut sembler comme une provocation. 

Coté communication, ce montant place Uber dans le groupe des plus grosses introductions en bourse au cours de ces dix dernières années. Uber est arrivé en bourse derrière Alibaba, grand gagnant, avec une IPO à 167 milliards de dollars, et derrière Facebook, qui en 2012 avait été évalué à 104 milliards. Mais Uber se paie le luxe de battre à plate couture son concurrent Lyft (24 milliards de dollars), Twitter, estimée 14 milliards en 2013, et même Google qui valait au départ en 2004 à peine 25 milliards. 

Aujourd’hui, 10 ans plus tard, ceux qu’on appelle les Gafam font la course aux capitalisations proches de 1000 Milliards de dollars chacune. C’est vrai pour les Apple, Microsoft, Amazon ou Google. C’est presque vrai pour Facebook et ses filiales, Instagram et WhatsApp. Les autres ne valent pas moins de 500 ou 600 milliards de dollars. 

Sur la seule base du prix d’introduction de Uber comparé aux performances des autres entreprises digitales, on arrive à des perspectives d’évolutions extravagantes et vertigineuses alors que l’entreprise ne donne que  peu de signes de profitabilité. 

Par conséquent, côté modèle économique, les analystes et les gérants de fonds de placement se partagent en deux catégories de joueurs : ceux qui se croient devant une pyramide de Ponzi et ceux qui pensent que ce sera un jackpot. Pessimistes vs optimistes. Réalistes vs utopistes. 

Il y a donc un mystère UBER... Au départ, l’histoire est très simple. Deux jeunes américains, élèves ingénieurs, qui, en voyage à Paris, se plaignent de ne pas trouver de taxi. Classique ! On est en 2008, et à cette époque, les taxis à Paris sont encore très rares, les jours de pluie ou alors ils sont conduits par des chauffeurs de très mauvaise humeur, c’est la réputation qu’ils ont.  Mais comme à ce moment, on commence à faire de plus en plus de choses via son portable, les deux « ingénieurs -ingénieux » s’étonnent qu’on ne puisse pas encore commandé une course via son mobile. La technologie n’est ni très compliquée, ni très longue à développer. Très vite va sortir la première application. Ils ne s’imaginent pas qu’ils vont révolutionner la planète toute entière en inventant la relation directe entre un client consommateur et un prestataire qui vend un service. L'application qu’ils ont mis au point en attendant un taxi à l'arrivée de Roissy, un jour de pluie, inaugure un nouveau concept.  La première course a lieu à San Francisco en 2010 et ça marche. Du coup, Paris sera symboliquement la première ville étrangère à accueillir le nouveau service en 2011. 

Depuis, l’essor d’Uber est sans précédent. Uber a créé et envahi un nouveau marché et engendré des multiples phénomènes d’uberisation, cette intermédiation entre particuliers qui a fait fureur. Parce qu’au départ, on est dans l’économie de partage. Entre ceux qui conduisent une voiture et ceux qui cherchent à être convoyés. 

Alors, il a évidemment fallu se battre contre beaucoup de conservatisme et d’habitudes mais quoi qu’on dise, le client consommateur a imposé Uber. Le problème, c’est qu’au bout de dix années, l’entreprise devenue multinationale a toujours bien du mal à maitriser ses finances. Elle a croisé beaucoup de concurrents, elle en a asphyxié certains, mais son agressivité en a réveillé d’autres. A Paris, G7, l’entreprise historique de taxis, a réussi sa mue. 

Du coup, le modèle UBER ne tient toujours pas en équilibre avec, chose plus grave, des chauffeurs qui ont certes trouvé un job, mais qui ont le sentiment de payer le prix fort une croissance qui s’opère plutôt dans la sphère financière. 

Du coup, cette sphère financière est prête à accueillir cette innovation révolutionnaire, mais elle est bien obligée de regarder à la loupe les facteurs de risques. 

Et les raisons de douter de l’avenir d’Uber sont multiples :

La première des choses, c’est l’incertitude réglementaire qui demeure autour du secteur. Traditionnellement, le secteur du transport de personnes est gardé par un lobby de taxis puissant, qui a du s’adapter tant bien que mal. 

En août 2018, la ville de New York a imposé une limite d'un an aux permis de véhicules neufs pour les VTC. Et puis il y a les amendes dont doit s’acquitter Uber un peu partout, mais qui, aux Etats-Unis; peuvent atteindre les dizaines de millions. Uber a du payer 20 millions de dollars en 2016, coupable d’avoir trompé les chauffeurs sur leurs potentiels revenus réalisables. 

En France, depuis le 1er janvier 2018 en France, la loi Grandguillaume est censée imposer à tous les chauffeurs de VTC de passer un examen d’aptitude et de pratiquer un tarif kilométrique minimal, afin de réduire la concurrence avec les taxis. En réalité, ces normes peinent à voir le jour et ne sont pas automatiques. 

Le modèle social pose toujours question, avec des chauffeurs indépendants, mais exploités.  

Deuxième élément : la concurrence est évidemment féroce, les acteurs sont nombreux. Uber s’est fait voler la place de 1ère entreprise de VTC à entrer en bourse avec Lyft qui a fait son IPO le 1er avril. Mais l’IPO de Lyft ne restera pas dans les annales des boursiers comme un grand succès. Quant aux autres offres de VTC, elles pullulent, dans tous les pays parce qu’il n’y a finalement pas de barrière majeure à l’entrée. Pas d’innovation à protéger ou de technologie spécifique, la part de marché d’Uber est très mouvante, elle est d’ailleurs passée de 85% à 60% en 3 ans aux Etats-Unis. Il suffit à un utilisateur de télécharger l’application d’un concurrent pour aller voir ailleurs.

Les clients sont aussi nombreux qu’infidèles. Or quand tout le monde a compris que le VTC de base offrait une voiture noire et propre, avec un chauffeur qui dit bonjour, le seul moyen de conserver ses clients, c’est de baisser le prix ou d’augmenter les services. 

Et cela passe par une innovation qui est nécessaire si on veut renforcer son identité et créer de la valeur sera toujours consommatrice de cash. Uber avait largement investi sur une plateforme de voitures avec chauffeurs, il faut demain qu’il puisse s’adapter à la voiture connectée, et pourquoi pas à la voiture volante. Ce sont des investissements sans fin, investissements qui viennent grever l’espoir de rentabilité d’Uber.  

Dans son dossier d’entrée en bourse remis aux autorités américaines, il est ainsi écrit mot pour mot que « les dépenses opérationnelles sont amenées à croitre de manière significative dans un futur proche (…) Nous pourrions ne pas atteindre la rentabilité ». Et le PDG actuel d’Uber, Draa Khosrowshahi de rajouter « Si vous voulez un profit prévisible, achetez plutôt une banque ». 

Alors, si aucun actionnaire qui rentre au capital d’une société n’est sûr de retrouver son investissement de départ, ceux qui achètent du Uber prennent un m risque de perte encore plus important.

Dans une pyramide de Ponzi, les premiers gagnants ramassent ce que les autres apportent derrière. Bref, les promesses de gains sont considérables à condition de ne pas être parmi les derniers à sortir du système et réaliser son gain. Dans une loterie, l’espérance de gain est également importante mais la probabilité de gagner le jackpot est très faible. 

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