Twitter élimine un troll ultra visible. Mais ne nous réjouissons pas, rien n'a été entrepris contre les autres<!-- --> | Atlantico.fr
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Bombardée d'insultes racistes, l'actrice Leslie Jones a dû provisoirement quitter Twitter.
Bombardée d'insultes racistes, l'actrice Leslie Jones a dû provisoirement quitter Twitter.
©Reuters

THE DAILY BEAST

Le polémiste Milo Yiannopoulos a fini pas être banni du réseau social après sa campagne de harcèlement raciste contre l’actrice américaine Leslie Jones, star du film "SOS fantômes". Mais n’applaudissez par Twitter pour avoir mis fin à ce lynchage très médiatique. Le reste d’entre nous, commun des mortels, continuerons à nous faire avoir.

Ben Collins

Ben Collins

Ben Collins est éditorialiste sénior au Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast - par Ben Collins (traduction Julie Mangematin)

Milo Yiannopoulos, qui avait lâché sa meute de haters sur la star afro-américaine de SOS fantômes (sortie en France le 10 août ndlr) Leslie Jones, s’est vu suspendre à vie son compte Twitter il y a quelques jours.

Il avait fait de ce genre de choses une profession, et c’est déplorable. Mais Twitter aussi en a fait un business. Et c’est pire.

Je suppose que je devrais éprouver un sentiment de justice accomplie à voir la révélation féminine du plus gros blockbuster du monde faire bannir de Twitter un enfoiré professionnel notoire. Mais bien au contraire : l’affaire met en évidence l’incapacité de Twitter à protéger toutes les autres personnes contre les abus.

Twitter a créé un service qui repose sur la capacité des utilisateurs à faire entendre l’opinion la plus bruyante possible avec le moins de mots possible, pour ensuite s’étonner de faire face à un problème de harcèlement. Une étude dévoilée par le Guardian l’an dernier a révélé que 88% du harcèlement sur les réseaux sociaux venait de Twitter.

La nature même du site récompense les comportements comme celui de Yiannopoulos, qui a été capable d'ordonner à une nuée entière d’adolescents de jeter l’opprobre sur des ennemis politiques en les bombardant d’attaques racistes et sexistes, tout en s’auto-déclarant guerriers de la liberté d’expression.

Et Twitter fait encore comme si de rien n’était.

Quand j’ai interrogé la société sur la polémique – Avez-vous une sorte de service de contrôle dans ce genre de cas ? Existe-t-il une stratégie à plus long terme pour gérer les cas de harcèlement moins médiatiques ? – Twitter a réagi comme si le phénomène venait d’apparaître comme par enchantement.

"Nous savons que de nombreuses personnes considèrent que nous n’avons pas agi suffisamment pour atténuer ce genre de phénomène sur Twitter. Nous sommes d’accord. Nous continuons à investir massivement pour améliorer nos outils et systèmes de mise en œuvre pour nous permettre de mieux identifier les abus, agir plus rapidement et éviter les agresseurs récidivistes", m’a répondu un porte-parole.

"Nous avons réexaminé notre règlement contre les comportements haineux pour prohiber les nouveaux types de comportements abusifs et permettre davantage de signalements, afin de réduire le préjudice des personnes ciblées. Nous fournirons plus de détails sur ces changements dans les semaines à venir."

Cette société a 10 ans. C’est un an de plus que le premier iPhone. Si elle n’a pas déjà réglé le problème, elle a peu de chances de le régler aujourd’hui.

J’ai passé ces dernières années à couvrir les histoires de gens qui ont vu leur vie considérablement améliorée ou abimée par Twitter. Les aspects positifs, c’est comme quelqu’un qui gagne au loto sans toucher le pactole : des types devenus célèbres pour avoir saboté un rassemblement du Ku Klux Klan, ou un gamin qui fait une farce aux candidats à la présidentielle sans en tirer aucune contrepartie.

Mais les aspects négatifs sont bien plus routiniers et beaucoup plus dangereux. Le mois dernier, j’ai enquêté sur des adolescents athées et pro-LGBT de pays musulmans, dénoncés pour blasphème aux comptes Twitter de leurs gouvernements à cause de leurs tweets. Dans certains de ces pays, la punition peut passer par la case prison voire la peine de mort. Le compte Twitter du service de police de Dubaï, vérifié par Twitter lui-même, a lui-même prêté main forte à une chasse aux sorcières. Plusieurs gamins se sont retrouvés en danger sérieux, immédiat, physique pour avoir utilisé Twitter tel qu’il est conçu pour être utilisé.

Invité à réagir sur cette affaire en juin, le même porte-parole prétextait que Twitter "ne fait pas de commentaires sur les comptes individuels". Toutes les autres demandes ont été ignorées.

C’est loin d’être un cas unique. L’an dernier, un utilisateur a payé Twitter pour promouvoir un tweet incitant les personnes transgenres au suicide. En 2014, une ado du Massachusetts a mis fin à ses jours après avoir retweeté les messages de harcèlement à son encontre. Les cas d’intimidation débridée envers des anonymes sont innombrables.

Cet endroit est ingérable, et il n’y a clairement aucun vrai plan pour y remédier.

Et pourquoi Twitter en aurait-il un ? Pendant des années, le but assumé de Twitter était de gagner assez d’utilisateurs pour concurrencer Facebook coûte que coûte afin d’atteindre ses objectifs de croissance et d’apaiser les investisseurs ou, comme le dit le New York Times "d’être capable de toucher chaque personne sur la planète". Bien sûr, ça n’a pas marché, alors Twitter a ajouté une fonction GIF et une rubrique "Temps forts" ("Moments" aux Etats-Unis), une sorte de sélection d’actualités sous forme de brochure promotionnelle de compagnie aérienne en arrière plan d'un film Disney. Malgré cela, l’entreprise n’a attiré aucun nouvel utilisateur au trimestre dernier, et se demande toujours pourquoi.

La raison est simple : trop peu de personnes sont intéressées par l’autodestruction volontaire.

L’entreprise a dévoilé deux plans pour rendre son site moins invivable pour les VIP : elle a lancé une appli baptisée Engage, qui fournit un "espace plus sécurisé", ciblée sur les personnes célèbres. Cette semaine, Twitter a annoncé que davantage de personnages publiques pourraient bénéficier de comptes vérifiés, donc certifiés par un humain chez Twitter – étiquette que Milo Yiannopoulos avait.

Tous ces efforts ignorent le nerf de la guerre : l’entreprise est fondée un socle de personnes qui se crient dessus pour attirer l’attention.

Twitter est un site qui donne accès à des scoops – souvent faux, initialement – plus rapidement que nulle part ailleurs, mais aussi un endroit où l’on se fait lapider sans merci pour oser avoir la prétention d’exister. Si le volet informatif existe toujours, c’est uniquement parce que les patrons des journalistes l’exigent, et que personne n’a encore inventé de concurrent à la hauteur technologiquement.

Pour une personne normale, être sur Twitter tient du masochisme. Je dois faire acte de présence uniquement pour des raisons professionnelles, et c’est comme sauter dans un volcan tous les matins. Ne vous joignez pas à moi.

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