Tweet-tempête à 500 millions de personnes : mais pourquoi une telle frénésie pour un bébé qui ne devrait pas régner avant 2060 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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30 % des messages postés sur le réseau social provenaient des Etats-Unis, suivis par le Canada et l'Australie.
30 % des messages postés sur le réseau social provenaient des Etats-Unis, suivis par le Canada et l'Australie.
©REUTERS/Jack Hill/Pool

Né star

La nouvelle de la naissance du nouvel héritier de la couronne britannique a enflammé les réseaux sociaux et les médias bien au delà des frontières du royaume.

Philippe  Delorme

Philippe Delorme

Philippe Delorme est historien et journaliste. Spécialiste des familles royales, il est l'auteur d'une trentaine de livres sur le sujet, notamment Charlène et ces drôles de dames de Monaco, et William et Catherine, 150 ans de noces royales en Grande-Bretagne (ed. L'Express/Point de Vue, 2011).

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Atlantico : L'accouchement de la duchesse de Cambridge a été suivi par près de 500 millions de personnes sur twitter selon le site britannique Daily Mail. Comment expliquer cette frénésie ? 

Philippe Delorme :  S'il ne faut pas négliger l'importance des réseaux sociaux qui démultiplient les informations, les nouvelles et les événements, il existe une véritable affection du peuple britannique pour la famille royale qui y voit un élément de l'âme du pays. Cette famille représente leur histoire, dans laquelle ils se projettent fidèlement depuis toujours. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la famille royale a été particulièrement proche du peuple en restant à Londres.

Il est également essentiel de se souvenir que la reine d'Angleterre est aussi la reine de 16 autres pays dans le monde - Canada, Nouvelle-Zélande etc. - et  chef des 54 pays du Commonwealth. 

Justement, près de 30 % des messages postés sur le réseau social provenaient des Etats-Unis, suivis par le Canada et l'Australie. Comment expliquer que cette frénésie ne revête pas qu'une dimension nationale mais internationale ? 

Pour le Canada et l'Australie, c'est simple de l'expliquer : la reine d'Angleterre est aussi reine de l'Australie et du Canada. C'est une manière, pour ces pays, de se rattacher à leur histoire lointaine : ce sont des pays neufs qui ont des histoires relativement courtes - 2 /3 siècles - qui, en se rattachant à leurs origines européennes, obtiennent un supplément d'âme, un supplément d'histoire qui leur manque finalement beaucoup.

C'est la même raison qui explique l'engouement des Etats-Unis pour la famille royale britannique : certes ils ont coupé les liens avec l'Angleterre colonialiste et ils se sont construits en réaction à cette monarchie, mais cela fait partie de leur passé et de leur histoire et ils en restent assez proches. Ce qui explique également l'engouement de ces pays pour la généalogie : beaucoup d'Américains et de Canadiens recherchent leurs origines européennes pour essayer de retrouver leurs racines. 

Dans les autres pays, comme en France par exemple, il y a un réel besoin de repères en période de crise. On a besoin de contes de fées, de familles idéales et d'histoires d'amour sincères. C'est finalement assez rare les vrais mariages d'amour au sein des familles royales, et ce n'est d'ailleurs que très récemment que les mariages au sein des monarchies sont des mariages d'amour et non plus des mariages arrangés comme l'était par exemple celui de Charles et Diana.

Il y a également une réelle nostalgie des valeurs dans notre pays, que l'on peut expliquer par la sécheresse des institutions républicaines, le manque d'incarnation et d'affection, trop souvent mis de côté par le politique, mais qui est pourtant primordial dans les relations du politique au peuple.

La politique n'est pas uniquement une affaire de compétences et de techniques mais aussi une affaire de cœur. Ce qu'on demande au pouvoir politique c'est de réunir les gens et de les faire vivre ensemble, et ce n'est pas possible sans sentiments. Le symbole - "ce qui rassemble" en grec - est un paramètre extrêmement important. Par exemple, s'il n'y avait pas de roi, il n'y aurait plus de Belgique à l'heure actuelle...

L'image moderne du couple formé par William et Kate a-t-elle un impact ?

Bien sûr : déjà, c'est un couple qui s'aime, ce qui est finalement assez nouveau dans la famille royale : c'est réellement cette génération qui a inventé les mariages d'amour. Diana, il faut le rappeler, était une "oie blanche" choisie par la Reine pour son  jeune fils Charles, célibataire impénitent. Et on a vu comment ce couple a fini. Alors qu'au contraire, il y a une réelle sincérité dans le couple de Kate et William. Kate, en plus, n'est pas une princesse étrangère, mais c'est une  "fille du pays", qui vient d'un milieu plutôt aisé mais sans être de la haute aristocratie dont était issue Diana par exemple. C'est un peu la middle-class qui s'invite à Buckingham Palace. Beaucoup d'Anglaises se projettent bien évidemment plus facilement dans ce genre de mariage, plus que si Kate avait été une aristocrate de naissance. Kate et Willliam seront, je pense, beaucoup plus proches de leur enfant que ceux des générations précédentes, qui étaient élevés par des nurses et envoyés dans des pensionnats au bout du monde. Diana avait déjà d'ailleurs commencé à reprendre sa réelle place de mère dans l'éducation de ses enfants.

Faut-il voir dans cet engouement une marque de fascination particulière à l'égard de la monarchie britannique ? Comment expliquer qu'en 2013, un système monarchique, qui peut paraître anachronique, conserve un tel pouvoir d'attraction ? 

La monarchie britannique est la plus fastueuse car le roi et la reine sont encore sacrés. La cérémonie du sacrement est réellement un décorum qui vient d'une autre époque : carrosses, couronnes, manteaux d'hermine... Cet apparat est unique en son genre, et on le retrouve pour ainsi dire dans aucune autre monarchie : par exemple, l'intronisation du roi de Belgique il y a quelques jours était très discrète. La seule monarchie à laquelle on pourrait comparer la monarchie anglaise est la monarchie japonaise, qui a encore une véritable attache aux traditions et aux rituels anciens. 

Pour les Britanniques, cette famille royale est un miroir dans lequel le peuple peut se projeter, d'autant qu'il y a toujours plus ou moins un membre de la famille royale qui a son âge, à chaque génération.

Il y a aussi une réelle perte de sens des valeurs - notamment avec la mondialisation - ce qui fait que toutes les traditions disparaissent plus ou moins. Une telle tradition représente une sorte de phare dans la tempête qui permet de garder une idée de ce que l'on est, d'où l' on vient et où l'on va. Le jeu politique fonctionne de manière beaucoup plus sereine quand il y a, comme dans ces systèmes monarchiques, un personnage un peu hors du jeu, comme un arbitre dans un match de football. En plus, l'aventure nationale est incarnée dans une famille, comme un symbole de la continuité de l'histoire nationale. 

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