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Transports publics gratuits à Tallinn : un exemple transposable en France ?
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La capitale estonienne Tallinn a instauré au 1er janvier la gratuité des transports sur toutes les lignes de bus et de tramway. Ce système serait-il transposable à Paris ?

Olivier Klein

Olivier Klein

Olivier Klein est enseignant-chercheur au Laboratoire de l'économie des transports rattaché à l'Université de Lyon.

Il travaille entre autres sur les pratiques des déplacements à grande vitesse, sur la relation "transport-espace" et sur les grandes infrastructures du transport interurbain.

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Atlantico : La capitale estonienne Tallinn vient d'instaurer au 1er janvier la gratuité des transports sur toutes les lignes de bus et de tramway. Ce système serait-il transposable à Paris et en France ?

Olivier Klein : Aujourd’hui à Paris, les recettes de billetterie – ce que paient les usagers – représentent 40% des coûts du système. Sur le principe, ou pourrait bien descende à zéro, mais de toute façon, le fonctionnement du système de transport en commun nécessite un complément budgétaire sous forme d’impôt. Pour simplifier, le système de transport est déjà à moitié gratuit et à moitié payant, donc il n’y a pas d’opposition sur le principe. Mais il faudra bien trouver quelque part les 40% de recettes perdus.

Tout comme une simple baisse des prix, la gratuité ne se traduirait-elle pas mécaniquement par une nécessaire augmentation des impôts - obligeant les riverains à payer d'une poche ce qu'ils gagnent de l'autre ?

Si l’on veut maintenir le même niveau d’offre sans faire payer les usagers, il faudra payer davantage sous forme d’impôts. Ce doit être le cas aussi à Tallinn. Les Estoniens vont payer davantage d’impôts, ou bien réduire l’offre de transport.

Un des risques qui est souvent pointé est qu’un système gratuit de transport peut perdre peu à peu de son efficacité. Car dans un système gratuit, personne n’est véritablement chargé d’augmenter les recettes, et donc d’augmenter la clientèle. S’il est mal gouverné d’un point de vue politique, le système prend le risque de se dégrader, de se contenter d’assurer le minimum vital pour une population complètement captive, et ne pas réponde à ses objectifs. Or, il n’est pas toujours facile de mettre en place une gouvernance cohérente de longue durée.

Que l’incitation soit économique ou politique, il faut inciter les agents économiques qui gèrent le système à le faire fonctionner correctement. Dans la pratique, on constate que sur la longue durée, la régulation politique des services publics est souvent déficiente. Le manque d’efficacité des services publics vient en partie de cela. N’ayant pas de garde-fou financier, de ligne directrice financière, on voit des dérives et des jeux de pouvoirs se mettre en place petit à petit au sein de l’entreprise.

Certaines agglomérations françaises ont franchi le pas ces dernières années, comme Aubagne en 2009. Ces expériences ont-elles été couronnées de succès ? Le système de transport n'est-il pas trop dense à Paris pour être gratuit ?

Cela ne marche pas mal, au sens ou la fréquentation a augmenté. La gratuité est plus supportable financièrement dans les plus petites agglomérations, où les taux de couverture des dépenses par les recettes sont plus faibles. On est plus à 20% qu’à 40%. C’est donc déjà à 80% gratuit en quelque sorte, et passer de 80 à 100% de gratuité y est moins difficile. En revanche, les résultats en termes de transfert modal et de diminution du trafic routier sont souvent mitigés et fragiles, car il n’y a pas de politique routière d’accompagnement.

Pour dissuader de l’usage de la voiture il ne suffit pas d’avoir une politique de transports en commun attractive, que ce soit au niveau tarifaire et au niveau des temps de parcours, il faut aussi contraindre l’usage de la voiture, en installant des stationnements payants, des sens interdits. Tant qu’il y aura trois voies sur l’autoroute entre Aubagne et Marseille, il y aura de la fréquentation, et les trois voies seront pleines.


Une telle gratuité des transports est-elle souhaitable ? En désengorgeant le trafic automobile, elle risquerait d'engorger les transports en commun déjà victimes de problèmes de capacité à Paris. Comme Tallinn l'envisage déjà, il faudrait donc sans doute créer de nouvelles lignes de métro et de bus. S'agirait-il d'une éternelle course en avant ? Ne ferait-on pas que déplacer le problème de la surpopulation en ville ?

Ce n’est pas forcément un effet pervers. Un des objectifs des gens qui prônent la gratuité des transports est d’en augmenter la fréquentation. Tout le monde est à peu près d’accord sur le fait qu’il faut plus de lignes de transports en commun, plus de fréquence, plus de capacité. C’est tout le sens de la discussion sur le Grand Paris. L’Etat a du mal à dégager les milliards nécessaires, mais tous les élus locaux, de droite et de gauche souhaitent augmenter l’offre, gratuite ou pas. L’offre gratuite est simplement plus difficile à financer.

Les transports souffrent déjà d’un problème de sur-fréquentation, entre autres en Ile-de-France pour des raisons de sous-investissement, le réseau est saturé sur plusieurs lignes importantes. Cela fait longtemps qu’il aurait fallu doubler le tunnel de RER entre Châtelet et Gare du Nord, que le RER E "Eole" aurait dû être prolongé jusqu’à la Défense.



La gratuité des transports, si elle est circonscrite à Paris intra-muros, ne constituerait-elle pas un risque d'accroitre les inégalités pour les voyageurs venant de banlieue pour travailler à Paris ? Pour éviter cela, jusqu'où faudrait-il étendre la gratuité ? Proche banlieue, banlieue lointaine... où la gratuité doit-elle s'arrêter ?

A Paris comme ailleurs en France, parmi les utilisateurs des transports en commun, outre les personnes pauvres, il y a des gens qui peuvent payer. Est-il judicieux d’offrir à tout le monde les transports publics gratuits, y compris à ceux qui peuvent payer ? Est-ce la bonne politique sociale ? Je n’en suis pas certain.

Certains de mes collègues diraient la gratuité est un système totalement anti-redistributif. De nombreuses villes mettent en place des tarifications visant à rendre presque gratuit, voire gratuit le transport public pour les personnes vraiment très pauvres – la définition de "vraiment très pauvres" restant bien sûr à déterminer : ce sont des choix politiques et non de la gestion d’entreprise. Il est possible de définir les catégories sociales (sur la base de revenus) auxquelles octroyer la gratuité en fonction des besoins.

Les économistes opposés à la gratuité avancent aussi souvent l’idée que le caractère gratuit peut provoquer des consommations inconsidérées, inciter les gens à partir habiter loin de leur lieu de travail, et donc à étaler toujours plus l’agglomération, ce qui est particulièrement problématique en Ile-de-France, région qui possède une très large superficie. Certes, cet argument est à relativiser : même gratuits, les longs trajets prennent du temps et sont inconfortables. Mais il reste vrai que la gratuité sur les transports à longue distance favorise l’étalement urbain.

Les Suisses se sont posés la question, car leur pays a une densité de villes importante et ils ont une politique très favorable aux transports en commun, y compris en termes de tarification. Ils se sont posés la question de savoir si cela valait le coup d’inciter les gens à habiter Lausanne pour travailler à Berne.

Or en France, de nombreuses personnes s’installent loin de Paris faute de moyens. Une part de ces gens n’anticipe pas forcément le coût de mobilité que cela va induire, le fait qu’il faut remplacer la voiture bien plus souvent, que l’essence coûte cher, etc. On se retrouve avec des gens qui se sont endettés pour devenir propriétaires, qui se retrouvent loin, et qui se retrouvent dépendants du prix des transports.

En instaurant la gratuité, la Ratp ne pourrait-elle pas économiser sur les frais de personnel, tels que les salaires des contrôleurs qui deviendraient inutiles, et faire des économies susceptibles de contrebalancer la perte en recettes de billetterie ?

Il a été question de cela à Moscou, où les transports étaient si peu chers que cela ne valait pas la peine d’embaucher des contrôleurs. Malgré tout, il serait étonnant que les 40% des coûts de transports soient des coûts de contrôle, susceptibles de compenser les recettes de billetterie très importantes.

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