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Traité transatlantique : 63% des Français ne font pas confiance au gouvernement pour défendre les intérêts de la France
©Reuters

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D'après un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, les Français connaissent mieux le TAFTA qu'en 2014. Plus ils sont informés, plus ils perçoivent l'accord de libre-échange comme une menace pour eux. 48% d'entre eux considèrent que ce traité est une menace pour le salariat français.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements de ce sondage ? 

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, le sujet du TAFTA dépasse les personnes les plus intéressées par l'actualité et touche un public plus large. Alors que le traitement médiatique était jusqu'à récemment relativement faible voire confidentielle, 6 personnes sur 10 disent en avoir déjà entendu parler. De plus, lorsque l'on se réfère à une enquête menée par le CSA en mai 2014, on constate une progression de 18 points de la part de personnes qui ont entendu parler de cette négociation et une progression assez sensible de 16 à 28% de la proportion de ceux qui voient bien de quoi il s'agit. 

A lire aussi sur le sujet : Divergence d’intérêts, secret des négociations, libre échange, sentiment de dépossession politique des peuples : le TAFTA sera-t-il l’épreuve de vérité de l’Union européenne ?

L'information a incontestablement progressé depuis 2014. Toutefois, il ne s'agit pas encore d'un sujet très bien maitrisé par les Français (4 Français sur 10 n'en ont pas entendu parler et un tiers en ont juste "vaguement" entendu parler). 

Deuxièmement, en dépit d'une connaissance partielle et imparfaite, l'attitude spontanée face à cet accord est celle de la prudence voire du rejet. Cet accord est analysé par les Français comme étant surtout gagnant pour les entreprises américaines et beaucoup moins pour les entreprises, les salariés et les consommateurs français.

Troisièmement, dans ce contexte-là, il y a une confiance très relative et minoritaire prêtée au gouvernement français et aux autorités de Bruxelles pour défendre les positions et intérêts français dans ce grand bras de fer, les seuls à "tirer leur épingle du jeu" aux yeux des Français sont les ONG et les syndicats car ce sont les acteurs qui ont le plus contribué à la popularisation et à la vulgarisation de cette thématique jusqu'à présent. 

Les Français perçoivent majoritairement ce traité comme une menace. Depuis l'Acte unique européen en 1986, à quelles occasions la méfiance française vis-à-vis du libéralisme s'est-elle manifestée ? Comment a-t-elle évolué ? 

C'est effectivement un phénomène de longue durée : lorsqu'il s'agit d'accords internationaux ou des avancées dans la construction européenne (dont une part importante réside dans des considérations ou des arrangements des négociations commerciales et économiques), une méfiance et une défiance croissantes se sont installées dans l'opinion publique. On peut par exemple se référer au débat de 2005 sur la réforme constitutionnelle, une majorité nette de Français  (51%) s'y sont opposés. L'enjeu de cette réforme était politique et philosophique (la création d'une Constitution européenne) mais il y avait également des éléments économiques (symbolisés par la question du plombier polonais). En 2015, à l'occasion du 10e anniversaire du référendum de 2005, environ deux tiers des Français qui étaient en âge de voter à l'époque disaient que si c'était à refaire, ils voteraient "non" au TCE. La défiance a donc progressé. 

Cette méfiance renvoie à une inquiétude vis-à-vis de la mondialisation, inquiétude particulièrement forte en France qui collectivement se sent moins bien armée que d'autres pour affronter cette mondialisation. Ce n'est bien sûr pas un sentiment qui se limite à la France. Par exemple, lorsqu'Obama est allé récemment en Allemagne, il a fait face à des manifestations de rue contre le TAFTA. Néanmoins, l'opinion publique allemande est moins réticente vis-à-vis de la mondialisation car la société allemande est très consciente des bienfaits qu'elle en retire au regard de son statut de pays exportateur (l'un des principaux au monde). La France quant à elle doute beaucoup plus de sa compétitivité économique, ce qui explique en partie sa grande frilosité vis-à-vis de ce genre de négociations internationales. 

Quelle sont les catégories sociales jugeant ce traité le plus négativement ? Quelles sont celles qui y sont le plus favorables ? 

Si on regarde les réponses à la question "est-ce un atout ou une menace pour les entreprises françaises ?", un certain nombre de clivages ressortent. 

Tout d'abord, en ce qui concerne l'âge, ce sont les jeunes qui sont les plus optimistes et les seniors les plus pessimistes. Par ailleurs, comme pour d'autres questions de ce type (notamment sur les référendums européens), on retrouve le clivage du diplôme : plus un individu a un niveau de diplôme élevé, plus il est positif sur l'issue des avancées de ce type de négociation. Ressort également un clivage politique : l'électorat du Front du gauche est massivement opposé et dans une moindre mesure ce sentiment est partagé par l'électorat du Front National ; les seuls à avoir des regards plus équilibrés sont les sympathisants de droite LR. Enfin, plus les gens sont informés et au courant du contenu des négociations, plus ils ont un regard critique.

Par exemple, sur  la question de l'impact du TAFTA sur les entreprises françaises : parmi les personnes qui savent de quoi il s'agit, 24% disent que c'est un atout et 74% une menace (soit 50 points d'écart), parmi ceux qui ne savent pas vraiment de quoi il s'agit, on est à 32%-46% (14 points d'écart), et parmi ceux qui ne voient pas du tout de quoi il s'agit, le rapport de force s'inverse puisque 37% voient le TTIP comme un atout et 21% seulement comme une menace pour les entreprises françaises (écart de +16 points en faveur de "un atout").

Cet aspect permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre mais aussi les raisons pour lesquelles le gouvernement français commence à revoir sa position et à dire qu'il n'est pas sûr que la France aille au bout de ces négociations. Au fur et à mesure que les ONG et syndicats parviennent à sensibiliser une part croissante de Français (même si il reste encore beaucoup de travail car c'est un sujet très technique qui ne passionne pas les foules), les opinions négatives se renforcent. Un peu à l'instar de ce qui s'est passé en 2005, dans ce genre de négociations, ce sont d'abord les partisans du "non" qui sont les plus pédagogues et les plus actifs pour déployer leurs arguments tandis que les tenants du oui partent du principe que l'intérêt de signer a été compris et que ce qui tombe sous le sens n'a pas besoin d'être expliqué. 

Comment cette opposition structure-t-elle l'opinion dans la perspective de la présidentielle ?

Je ne pense pas que ce soit un enjeu déterminant pour l'instant pour la présidentielle dans la mesure où, comme dit précédemment, 4 Français sur 10 n'ont pas entendu parler du TAFTA et un tiers en ont entendu parler mais ne savent pas de quoi il retourne. 

Néanmoins, cela peut monter en puissance. Depuis 2014, le niveau d'information a progressé et nous entrons désormais dans la dernière ligne droite des négociations. Il est donc possible que l'opinion soit de plus en plus sensibilisée. 

Ce ne sera jamais toutefois un sujet central : des thématiques comme la fiscalité, l'orientation économique du gouvernement, la réforme du marché du travail, la gestion européenne de la crise des migrants ou le terrorisme intéressent et mobilisent plus que la question du libre-échange. 

Derrière ce débat, on retrouve un débat récurrent en France sur la place et le rôle de la France dans la mondialisation et sur le degré d'acceptation des règles libérales. C'est un débat qui remonte à 1992 avec le traité de Maastricht, a été réactivé en 2005 et est toujours présent aujourd'hui. Le TAFTA n'est qu'un nouveau pas dans cet affrontement idéologique. 

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