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"Tout pour la France" : les mesures économiques et sociales de Nicolas Sarkozy passées au crible de la faisabilité et de la cohérence
©Reuters

Exégèse

Rétablissement des heures supplémentaires défiscalisées, refonte du dialogue social en entreprise, plafonnement des indemnités de licenciement économique, suppression d'emplois publics... Dans son ouvrage "Tout pour la France", Nicolas Sarkozy dévoile plusieurs mesures liées au travail et à l'emploi en France. Petit tour d'horizon de la pertinence et de la faisabilité de ces propositions.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Alors que Nicolas Sarkozy a dévoilé dans son ouvrage Tout pour la France un éventail de mesures économiques pour la France, l'économiste Bertrand Martinot revient pour Atlantico sur la pertinence et la faisabilité de certaines de ces mesures, centrées sur les domaines du travail et de l'emploi.

Rétablissement des heures supplémentaires défiscalisées

C’est une mesure qui prend tout son sens avec la libéralisation de la négociation sur le temps de travail qui est prévue par ailleurs (voir question suivante). Elle est cohérente avec le constat que la durée effective du travail à temps plein des salariés français est parmi les plus basses de l’Union européenne d’après les données d’Eurostat. Nous devons donc à la fois avoir une législation plus souple sur le temps de travail et inciter la négociation collective à accroître la durée du travail. Non pas de manière forcée (un retour obligatoire aux 39 heures, par exemple, serait aussi absurde que le mouvement autoritaire vers les 35 heures de Martine Aubry), mais de manière incitative. C’est la clé de cette réforme.

Cette proposition extrêmement populaire (rappelons que François Hollande lui-même a regretté de l’avoir supprimée dogmatiquement en 2012) n’est évidemment pas difficile à mettre en œuvre. 

Exonération des charges au niveau du SMIC et doublement des crédits alloués au CICE

En proposant de négocier le seuil de déclenchement des heures supplémentaires au niveau de l’entreprise, la droite va jusqu’au bout de la logique initiée en 2008 avec l’assouplissement des 35 heures. Elle va aussi jusqu’au bout de la logique amorcée timidement par la loi Travail, qui étend le champ de la négociation en matière de temps de travail, sauf, précisément, sur le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

Les entreprises, en particulier les plus petites, ont vraiment besoin de cette souplesse. Dès lors que la loi pose les gardes-fous nécessaires (temps de travail maximal de 48 heures par semaine, par exemple). Le fait que chaque heure travaillée donnera lieu à rémunération (il n’est pas question de passer à 37 heures payées 35, par exemple) devrait faciliter son acceptation. Surtout s’il y a des allégements fiscaux à la clé. Je crois vraiment que, dans ces conditions, les esprits sont mûrs pour cette réforme, ce qui n’était sans doute pas le cas en 2008. Avec cette mesure, la France passerait immédiatement d’une législation parmi les plus complexes et rigides d’Europe au système le plus fondé sur la négociation sociale. 

Liberté de négocier le temps de travail pour chaque entreprise

Là, il s’agit d’une véritable mesure de salut public. Aujourd’hui, les entreprises ne savent plus où elles en sont en matière de charges sur le travail : il y a les allégements généraux (Fillon, pactes de responsabilité), un crédit d’impôt sur les sociétés (le CICE), sans compter des mesures temporaires de subventions massives à l’embauche (la prime à l’embauche dans les PME en vigueur sur la seule année 2016…). Il y a déconnection totale entre ce qui figure sur la feuille de paie et ce que payent réellement les entreprises en termes de charges sur le travail. Et puis, comment expliquer ce maquis à un investisseur étranger… ?

Il est donc urgent de rendre lisible et aussi de STABILISER le système. Il faut tout fondre évidemment en un seul allégement de charges massif, unique, aboutissant à supprimer purement et simplement toutes charges patronales au niveau du SMIC. 

Refondation du dialogue social dans l'entreprise et suppression du seuil de 11 salariés pour les délégués du personnel

L’idée est de ne plus rendre obligatoire la tenue d’élections de délégués du personnel à partir de 11 salariés. Cette obligation est en effet souvent formelle quand, comme c’est souvent le cas, il n’y a pas de candidats. Il faut toutefois décider ce qui se passe si des salariés, dans des entreprises entre 11 et 50 salariés, se proposent pour être délégués du personnel. Une solution naturelle, telle que nous la proposons avec Franck Morel dans notre ouvrage "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016) est évidemment, d’obliger à des élections dans ce cas. Du reste, la possibilité de désigner des représentants du personnel dans l’entreprise est un droit reconnu dans le préambule de la Constitution. Cette formule de représentation "à la demande" est du reste ce qui se pratique avec le Betriebsrat en Allemagne, pays où le dialogue social dans l’entreprise est plutôt plus développé qu’en France.

Cette mesure doit être couplée avec la fusion des instances représentatives, dont le nombre est anormalement élevé en France au-delà de 50 salariés. Cette prolifération (on ne recense pas moins d’une douzaine de mandats différents de représentants du personnel pour une entreprise de plus de 300 salariés aujourd’hui) impose un formalisme invraisemblable au dialogue social et un nombre d’heures de délégation excessif, encore accru par la récente loi Travail.

Evidemment, on peut anticiper une levée de bouclier unanime des organisations syndicales. Mais je ne pense pas que cela fasse l’objet d’un rejet de la part des salariés dès lors que leur droit à être représentés s’ils le souhaitent n’est pas remis en cause. 

Réforme du droit du travail pour permettre le licenciement économique dans certaines situations, et plafonnement des indemnités de licenciement économique

Je ne pense pas que la loi puisse lister de manière exhaustive les motifs légitimes de licenciement économique. Elle ne prévoira jamais tous les cas de figure possibles et il y aura toujours des "trous dans la raquette" dans laquelle s’engouffreront des juges des prudhommes (et surtout des cours d’appel) très créatifs. En outre, l’introduction d’un nouveau critère comme celui de la "réorganisation de l’entreprise" pourrait être la porte ouverte à une nouvelle et complexe jurisprudence autour de cette notion (un déménagement est-il une réorganisation ? une diminution d’effectifs dans un service qui, par ailleurs, conserve exactement les mêmes missions, est-elle une réorganisation ?, etc.).

La mesure la plus forte est celle du plafonnement des indemnités attribuées par les prudhommes en cas de licenciement injustifié. C’est un peu l’arme absolue si l’on veut limiter, pour l’entreprise, les incertitudes sur l’issue de la procédure de licenciement. J’ajouterai qu’en rendant cette issue plus prédictible, cette réforme diminuerait massivement les contentieux en incitant à des transactions entre les partis.

Contrairement à ce qu’a pu suggérer le barnum autour de la loi travail, l’opinion publique me semble mûre pour cette mesure de bon sens. Je rappelle qu’elle était prévue dans la loi Macron en 2015, qui n’avait pas déchaîné les passions sur ce sujet. A l’époque elle avait été retoquée par le conseil constitutionnel, mais pour des raisons techniques facilement surmontables, pas dans son principe.

Suppression de 300 000 emplois dans la fonction publique en 5 ans (forces de sécurité exonérées), et augmentation du temps de travail (37 heures pour l'Etat)

Il s’agit de reprendre en l’amplifiant et, surtout en y incluant les collectivités locales, le mouvement initié entre 2007 et 2012 et brutalement inversé à partir de 2012 (à partir de 2012, le mouvement de création nette de poste permanents dans les administrations publiques a repris, et même massivement si l’on inclut l’explosion des contrats aidés).

Cette fois-ci, et contrairement à la période 2007-2012, ce mouvement serait étendu à toutes les collectivités publiques, c’est-à-dire aussi aux collectivités locales. C’est évidemment essentiel car il faut en finir avec les effets de vases communicants si caractéristiques de la décentralisation "à la française".

Mais il ne faut pas se leurrer : cette mesure, pour réussir, suppose non pas une simple diminution comptable et uniforme, mais une véritable refonte de l’action publique à tous les niveaux. Entre autres choses, elle suppose qu’il soit mis fin aux doublons (voire triplons ou quadruplons si l’on veut utiliser des néologismes…) qui abondent entre les multiples strates d’intervention publiques en France.

Concrètement, certains services de l’Etat ou des collectivités locales ont besoin d’être renforcés en effectifs ou en compétence (ce qui suppose aussi une meilleure formation et une meilleure rémunération), d’autres, en revanche, doivent purement et simplement disparaître. Dans le cas, évidemment central, de l’Education nationale, on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur ce que doit être la mission des enseignants dans l’école du XXIe siècle (leurs tâches, leurs obligations de service, leur formation, les modalités d’enseignement, etc.).

C’est à l’aune de ces réformes de structure, dont les diminutions d’effectifs ne seront que la résultante, qu’il faudra juger de l’impact concret de cette annonce. Je suis persuadé que les Français sont prêts à entendre un vrai discours modernisateur sur l’action publique, y compris parmi les fonctionnaires.  

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