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Tout grand homme politique est un phénix déjà re-né de ses cendres
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Bonnes feuilles

Toujours prêts à se relever quand ils trébuchent, ces personnalités politiques contiennent en elles une force de résilience impressionnante. Extrait de "On n'est jamais mort en politique" (1/2).

Clélie  Mathias

Clélie Mathias

Clélie Mathias est rédactrice en chef du journal de la mi-journée sur la chaine D8 et collabore régulièrement à la Matinale de France Inter.

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"Qu’est-ce que l’échec en politique, selon vous ?

« L’échec, quel échec ? » (Michel Rocard, ancien Premier ministre).

« Malheureusement, compte tenu d’un agenda particulièrement chargé, je ne peux vous donner satisfaction. Je le regrette et vous prie de bien vouloir m’en excuser. Je vous souhaite plein succès pour votre livre » (Laurent Fabius, à l’époque député de Seine-Maritime).

« En politique, ce n’est pas le premier qui gagne. La logique méritocratique ne vaut pas dans ce domaine » (Robert Rochefort, vice-président du MoDem).

« Il y a des personnes qui ne peuvent pas supporter la dureté de la politique, […] mais l’avantage dans ce milieu, c’est que les choses sont connues d’avance » (Michèle Alliot-Marie, ancien ministre).

« Je respecte votre projet mais je n’ai pas envie d’en être partie prenante » (Lionel Jospin, ancien Premier ministre).

« Une carrière politique, ce n’est pas une profession avec des buts et des seuils hiérarchiques » (Éric Woerth, ancien ministre).

« Désolé, mais c’est un sujet sur lequel je n’ai aucune compétence » (Jean Peyrelevade, membre de l’équipe de campagne de François Bayrou en 2007 et 2012).

« L’échec, c’est la vie politique française » (Pierre Schapira, adjoint au maire de Paris, ami de Lionel Jospin).

L’échec est, pourtant, la chose la mieux partagée par les politiques. D’un grand homme, on garde souvent en tête l’image de ses succès, oubliant les revers qu’il a pu connaître. Mais notre mémoire est sélective. Car tous trébuchent. Y compris ceux qui ont marqué l’histoire. […]

Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que, malgré l’aspect presque banal ou du moins ordinaire de l’échec en politique, celui-ci reste un sujet tabou. Comme si on ne devait pas en parler. Il y a d’ailleurs très peu d’écrits sur ce thème. On ne s’intéresse qu’aux gagnants. Et si l’on écrit sur un perdant, il s’agit uniquement du battu du second tour de la présidentielle. On préfère oublier les échecs. On les effacerait presque, alors qu’ils sont, sans doute, les meilleurs révélateurs du système et des règles qui le régissent. Après tout, la victoire ne vient que récompenser un parcours. Les défaites et la manière dont les politiques les gèrent, en revanche, nous en apprennent davantage sur eux, sur leur caractère, sur leur force de conviction ou même sur leur endurance. Il est toujours instructif de voir comment le désastre électoral déforme les traits du vaincu, comment l’ego se fissure, comment il affronte l’adversité, comment il se protège, comment il se dérobe aux regards et aux caméras ou au contraire se force à sourire. Et le lendemain : que fait-il ? Comment digère-t-il cet échec ? À quoi pense-t-il ? En veut-il au vainqueur ? Remet-il en cause les institutions ? Est-ce qu’il ressasse ? Sent-il poindre la dépression ? Au contraire, est-il soulagé par sa défaite ? Avait-il peur de gagner ? Est-il déjà dans l’après ? Autant de questions, autant de réponses différentes.

Les politiques ont du mal à aborder cette question. Pourquoi ? Par superstition ? Par peur de réveiller des souvenirs douloureux ? Par pudeur ? Par orgueil ?

Ces grands fauves se cachent pour panser leurs plaies. Il n’y a pourtant rien de honteux. Au-delà même des enjeux immédiats, l’échec fait partie de la vie. Mais, en France, un homme politique ne montre pas ses faiblesses, ses failles, sa sensibilité. Il est rare de les voir. Et si cela arrive, on s’empresse d’en faire un événement médiatique.

La violence des coups reçus est certainement d’autant plus rude pour eux qu’elle ne peut être exprimée. Après un revers, ils exhibent d’emblée un visage tourné vers l’avenir, vers la prochaine occasion. « Pas grave, on recommencera », disent-ils tous !"

Extrait de On n'est jamais mort en politique, Albin Michel.

Clélie Mathias, auteur de l'ouvrage et rédactrice en chef du journal de la mi-journée sur la chaîne D8 a répondu à nos questions. 

Atlantico : Pour votre livre d’analyse de revers et d’échecs en politique « On n’est jamais mort en politique ! », comment avez-vous procédé ? Qui avez-vous rencontré ?

Clélie Mathias :J’ai rencontré plus d’une trentaine de personnalités politiques qui ont accepté de me raconter leurs expériences de défaites et d’échecs en politique. J’ai rencontré des personnes qui ont vécu personnellement ces épisodes, ou des membres de leur équipe qui m'ont fait partager un autre point de vue. Parmi les personnes rencontrées : Michel Rocard, Jacques Delors, Edith Cresson, Michèle Alliot-Marie, Eric Woerth, Hervé Gaymard, Claude Bartolone, Jean-Paul Huchon, …

Comment avez-vous orchestré ces entretiens ?

Je leur ai demandé de parler d’un sujet assez intime, non pas de stratégie, ni de politique politicienne mais d’humain : comment ils ont vécu leurs défaites, leurs échecs, leurs renvois. Ils n’ont pas l’habitude d’être interrogés sur la souffrance, la difficulté ou la violence en politique. C’est un sujet tabou et c’est aussi ça qui m’a intéressé. Les entretiens duraient entre une heure et une heure et demie, avec des gens souvent très occupés, c’est donc pas mal. Il y a plusieurs approches. Soit le déni, par exemple Michel Rocard : « Non je n’ai jamais connu d’échec, l’échec ce n’est pas ça ». Soit des gens pour qui l’entretien a été une forme de thérapie. Ils ont pu s’exprimer à propos de telle ou telle difficulté. Je pense à des gens qui se sont vraiment livrés et qui ont raconté ce qu’ils ont vécu, les lendemains difficiles, le vertige du vide. Eric Woerth m’a beaucoup parlé de cette souffrance. Michèle Alliot-Marie et Hervé Gaymard m’ont parlé de périodes un peu noires aussi. On trouve des gens qui parlent très bien des échecs des autres comme Jean-Marie Le Pen. Et puis il y en a qui ont été très touchants, par exemple, Jacques Delors parce qu’on sentait une pointe de regret dans ce qu’il a pu me dire.

Jacques Chirac et François Mitterrand ont essuyé de nombreux échecs. Ils se sont toujours relevés et ont même atteint des sommets. Comment expliquer que les journalistes persistent à prophétiser la mort de tel ou tel personnage comme c’est arrivé plusieurs fois avec Ségolène Royal par exemple.

Parce que sur le coup, ils sont morts ! Sur le coup tout le monde les croit morts. On subit tous des échecs dans notre vie personnelle ou professionnelle. Mais ces gens-là subissent des violences et des coups excessivement durs, d’autant plus qu’ils sont publics. Le désaveu et l’humiliation sont connus de tous. Parfois ce sont des millions de gens qui vous rejettent. Ça laisse de telles blessures, de tels échecs, de telles défaites qu’on pense qu’ils ne s’en remettront jamais. Mais ils ont une force, un caractère, une résilience qui font que c’est plus fort que tout. Ils y croient encore, ils s’en remettent et se battent. Ils continuent jusqu’à la réussite.

Vous pensez que Ségolène Royal aura une seconde vie politique ?

Je ne peux pas prédire l’avenir. Il y a plein de gens qui essayent de se relever et qui n’y arrivent pas. D’autres qui y arrivent : Chirac et Mitterrand ont été donnés pour mort. Chirac était au fond du trou en 1988. Mitterrand, plus personne ne voulait le voir quand il s'est présenté la première fois à la présidentielle. Donc on croit qu’ils ne s’en remettront jamais mais ils ont cette volonté de se battre. Qu’ils réussissent ou pas ! Si Ségolène Royal a une occasion, elle se battra. Après on ne peut pas savoir si elle va réussir. Ça dépend aussi d’autres circonstances. Mais personnellement, je pense qu’elle n’est pas morte dans le sens où elle n’abandonne pas. Pour l’instant elle n’a pas décidé d’abandonner, de mourir, donc on la reverra je pense.

L’échec des politiques est beaucoup « plus grave » outre-Atlantique et outre-Manche où les carrières peuvent facilement s’interrompre suite à un échec. Comment expliquer cette spécificité française à ne jamais mourir en politique ?

La culture est différente. L’initiative est plus valorisée dans le monde de l’entreprise outre-Atlantique et outre-Manche. On peut échouer plusieurs fois et finir par réussir, et c’est valorisé. En revanche dans la vie publique et politique, si on essaye et qu’on échoue, on disparaît du devant de la scène. En France c’est l’inverse. Dans la vie politique ou publique on a cette culture qui pousse à souffrir pour la France. Il faut montrer qu’on la veut qu’on désire cette France qu’on est prêts à tout pour elle. La résistance est testée. Jusqu’où est-on prêt à aller pour y arriver ! On accepte donc davantage de voir revenir des gens qui ont échoué en politique. Ce modèle était valable il y a quelques années, mais aujourd’hui on s’américanise. C’est en train de changer, je pense que les politiques dans les années à venir vont avoir de moins en moins le droit à une seconde chance. La culture du zapping commence à gagner la France.

Pensez-vous que l’acharnement des journalistes les pousse à se relever ?

C’est violent parfois. Très violent. Donc je ne pense pas. Ces gens-là ont tout simplement une force de caractère, une volonté de combat, une force de conviction, peut-être une croyance en leur destin qui sublime tout et qui permet d’atténuer un peu la violence des coups. Les personnalités politiques qui m’ont parlé des médias, c’était plutôt pour me raconter comment ils ont tenté de les abattre. Ils m’ont parlé de harcèlement, de la meute qui aboie dès qu’on fait quelque chose. Pour eux, les médias sont une caisse de résonance qui décuple l’échec, et non, ça ne les a pas aidés à rebondir. Ils m’en ont parlé comme quelque chose de violent et dur, qu'ils ont eu du mal à affronter.

Ce livre respire une forme d’admiration envers ces hommes politiques toujours capables de se relever. Est-ce une forme d’hommage à la classe politique que vous avez beaucoup suivie au cours de votre carrière ?

Je ne sais pas si c’est un hommage. Il n’y a pas de complaisance de ma part. Ils savaient avant d’entrer dans le métier que ce serait dur. Quand on entre en politique on sait que c’est un sacerdoce, on sait que c’est difficile, on sait qu’on va prendre des coups. Donc ils l’ont choisi. Ils savent qu’ils connaîtront l’échec. Mais c’est vrai qu’on peut être admiratif parce que la plupart des gens ne résiste pas comme eux. Humainement, je pense qu’il faut le faire, ils ont du mérite, c’est fort.

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