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Un virus présent dans les algues présenterait un certain danger
Un virus présent dans les algues présenterait un certain danger
©Wikipédia commons

Manipulés de l'intérieur

Selon une étude de l'université du Nebraska, un virus présent dans les algues pourrait altérer les capacités cérébrales des humains.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon une étude publiée par des scientifiques de l'Université du Nebraska sur Proceedings of the National Academy of Sciences (lire ici), un virus présent dans les algues pourrait se transmettre aux hu­mains et altérer leurs capacités cérébrales. Que dit précisément cette étude et que sait-on exacte­ment de l'influence que peuvent avoir les bactéries sur notre cerveau ?

Stéphane Gayet : Il s’agit d’un virus, c’est-à-dire d’un microorganisme ultra-simple, inerte, sans métabolisme ni vie, essentiellement constitué d’un acide nucléique (les acides nucléiques, ADN et ARN, sont de grosses molécules qui détiennent l’hérédité transmissible), d’enzymes et d’une protection appelée capside. Les virus sont ainsi des particules qui sont pathogènes par l’information qu’elles renferment, à la différence des bactéries, être vivants, cellulaires, qui (bactéries pathogènes) agressent activement les cellules et les tissus. On peut dire qu’un virus (pathogène) est une information toxique. Cette information est, selon le virus, présente dans de l’ADN (virus à ADN) ou dans de l’ARN (virus à ARN, les plus fréquents en pathologie humaine : grippe, sida, hépatite C, polio, Ebola…).

On sait que nos gènes sont essentiellement constitués d’ADN. Tout ou partie de l’ADN de certains virus à ADN peut s’intégrer à l’ADN de certains de nos gènes, agissant alors comme un agent secret les noyautant. L’ADN ou le fragment d’ADN viral peut persister plus ou moins longtemps dans nos gènes, et, soit rester latent, soit s’exprimer en codant pour la synthèse de molécules ou en régulant des processus biochimiques : c’est donc très variable et les cas de figures sont en nombre infini. On a longtemps pensé que les virus des végétaux ne pouvaient pas infecter les cellules animales. Les progrès de la biologie moléculaire décuplés grâce à l’outil informatique ont permis des découvertes récentes qui nous dépassent. Le virus qui nous occupe est appelé ATCV-1 : c’est un chlorovirus, virus à ADN qui infecte de minuscules algues vertes unicellulaires d’eau douce. On avait déjà retrouvé l’ADN de ce virus ATCV-1 dans des cerveaux humains lors d’autopsies, il y a plusieurs années, mais on ne savait pas interpréter cette découverte.

Récemment, on a retrouvé l’ADN d’ATCV-1 dans la gorge d’êtres humains, lors d’une étude dont le but était d’explorer finement la présence de microorganismes dans le pharynx (gorge) de personnes souffrant de troubles psychiatriques, dans l’hypothèse de l’existence de corrélations entre les premiers et les seconds. Ayant alors découvert l’ADN d’ATCV-1 dans la gorge de malades psychiatriques, les chercheurs ont émis l’hypothèse que ce virus pourrait peut-être se trouver dans le pharynx d’individus sains, et que son éventuelle présence serait peut-être associée à des perturbations des performances cérébrales. Or, une telle corrélation a pu être extraordinairement montrée, mais il ne s’agit que d’une première approche et l’étude n’a qu’une faible puissance : les individus du petit sous-groupe infecté (ATCV-1 dans le pharynx) sont un peu moins concentrés et plus lents lors de tests psychotechniques mobilisant la vue et la mémorisation, que les individus du petit sous-groupe "témoin", non infecté (pas d’ADN d’ATCV-1 dans le pharynx). De plus, une expérimentation a été conduite chez des souris et semble confirmer cette corrélation.

Attention à bien faire la différence entre les virus et les bactéries : les premiers ne sont qu’une information aliénante, les secondes des êtres vivants ayant un métabolisme. Ce que nous venons de voir ne concerne que les virus et la découverte de ce type de corrélation ouvre un champ infini d’investigations. S’agissant des bactéries, c’est tout de même plus simple. Une cellule bactérienne a un diamètre 30 à 50 fois plus grand que celui d’un virus, on peut l’observer au microscope et sa culture sur milieu gélosé (substance gélatineuse nutritive et stérile) est possible et souvent facile. Les bactéries peuvent agir sur notre comportement en produisant des molécules (soit directement, soit plus souvent indirectement par le biais de transformations bien particulières des aliments) qui peuvent agir comme des médiateurs biochimiques (les neurotransmetteurs sont des médiateurs).

Plus largement, sur lesquels de nos comportements les bactéries et les virus peuvent-ils avoir des effets ?       

Nous venons de le voir, l’action des virus et celle des bactéries sont radicalement différentes. La connaissance de l’influence de virus sur notre comportement n’est que balbutiante, et l’on vient à peine d’ouvrir un espace infini de recherche. Du reste, dans l’étude citée plus haut, les chercheurs n’ont fait qu’apercevoir une corrélation, ce qui ne signifie pas obligatoirement une relation directe de cause à effet (un processus A et un processus B peuvent être corrélés, reliés, sans pour autant que l’un des deux soit la cause de l’autre ; évidemment, si le processus A est une infection et le processus B une maladie ou un trouble quelconque, la relation de cause à effet est plus plausible).

Avec les bactéries, c’est tout à fait différent. D’une part, les bactéries ne sont pas une information aliénante susceptible de s’intégrer à nos gènes comme l’ADN de virus, mais des cellules vivantes, d’autre part, elles sont essentiellement concentrées dans le tube digestif, en raison justement de leur caractère vivant et de leur taille beaucoup plus grande que celle des virus. Diverses bactéries contribuent à la production de molécules jouant le rôle de médiateurs biochimiques qui peuvent agir sur le système nerveux entérique (200 millions de neurones, comparés aux 100 milliards de neurones de notre cerveau). Or, ce système nerveux entérique est en relation avec le cerveau, par l’intermédiaire surtout du nerf "vague" ou pneumogastrique. Cette flore intestinale extrêmement abondante (de l’ordre de 100.000 milliards de bactéries) est appelée "microbiote" intestinal. Il est d’une très grande diversité. En son sein, la présence, la surabondance ou l’absence de certaines bactéries sont décrites chez les individus souffrant d’un même état morbide : autisme (psychose infantile avec troubles de la communication et repli sur soi), maladie de Parkinson (réduction de la mobilité et tremblement), maladie d’Alzheimer (déficit de la mémoire), obésité (augmentation de la consommation alimentaire) : voici plusieurs exemples de maladies corrélées à des modifications du microbiote intestinal et qui comportent des troubles très significatifs du comportement.

Une équipe de l'Université de Cork en Irlande avance que des bactéries pourraient influencer le taux sérotonine qui permet de contrôler l'humeur. Que sait-on du lien entre bactéries et émotions ? Quel est le mécanisme à l'œuvre ?         

Certains scientifiques, après les découvertes que nous venons de voir, ont proposé l’appellation de "deuxième cerveau" au sujet de ces 200 millions de neurones qui innervent notre intestin. Ce cerveau entérique est en lien direct avec notre cerveau. Or, son exploration a permis de constater que 95 % de la sérotonine de notre tissu nerveux était secrétée par ce deuxième cerveau. C’est stupéfiant, car la sérotonine, neurotransmetteur essentiel, participe à la gestion de nos émotions. Un déficit en sérotonine a été objectivé dans certains troubles neurologiques, comportementaux ou psychiques, et parmi les médicaments antidépresseurs, figurent des produits qui sont dits "sérotoninergiques". Et compte-tenu des relations vues plus haut entre le microbiote intestinal et le système nerveux de l’intestin ou "deuxième cerveau", il apparaît bien une liaison entre le premier et nos émotions. Mais cela devient vraiment compliqué quand l’on découvre le grand nombre d’espèces différentes de bactéries au sein du microbiote et la grande diversité des sécrétions en fonction des espèces. Pour résumer : les bactéries participent à la production de substances agissant comme des médiateurs chimiques sur les neurones du tube digestif, et ces derniers répondent à cette stimulation par une modulation de la production de neurotransmetteurs, en particulier la sérotonine (mais il y en a bien d’autres).

Comment les bactéries influencent-elles également nos comportements alimentaires ? Quelles avancées les recherches sur les liens entre bactéries et comportement pourraient-elles permettre à moyen terme ?   

Le microbiote intestinal a une action importante sur les aliments qu’il décompose et transforme. Les molécules issues de la décomposition et de la transformation des aliments ont ensuite une action sur l’expression de certains gènes régulateurs de notre métabolisme. Cela va moduler la sécrétion d’hormones gastro-intestinales qui jouent elles-mêmes un rôle sur la faim ou au contraire la satiété et sur l’évolution du tissu graisseux (augmentation ou diminution). C’est ainsi que notre microbiote personnel a une façon particulière de transformer nos aliments, et les molécules qui en sont issues agissent sur des récepteurs qui gouvernent notre comportement alimentaire. C’est un phénomène métabolique et endocrinien (hormones, comme l’insuline) : le cerveau n’intervient ici que dans la perception consciente du besoin de s’alimenter ou au contraire de l’état de satiété, et dans les actions réflexes que ces différentes perceptions suscitent. Mais, répétons-le, il s’agit là d’un champ d’investigations et de connaissances fort différent de celui de l’influence de certains virus.

Quelles avancées les recherches sur les liens entre bactéries et comportement pourraient-elles permettre à moyen terme ?   

Avec ce domaine, on perçoit la nécessité, faut-il le rappeler et n’en déplaise à certains, de réaliser des expérimentations animales. Le fait d’avoir pu reproduire chez des souris des modifications des performances psychiques constatées chez des humains, par contamination virale expérimentale de ces souris avec le chlorovirus, en est l’illustration. Beaucoup de pistes de travail sont ouvertes, mais les avancées ne se feront que peu à peu, au cas par cas, dans le cadre de programmes ciblés. A l’heure actuelle, on peut simplement dire qu’il est très probable, mais non encore certain, que de telles découvertes débouchent sur des méthodes thérapeutiques : soit des tentatives d’éradiquer un virus ou une bactérie ayant un effet comportemental indésirable, soit des essais d’implantation d’un virus ou d’une bactérie ayant un effet jugé bénéfique sur le comportement (c’est plus délicat).

Propos recueillis par Carole Dieterich

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