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Todd, Zemmour, Onfray se trompent : ça n’est pas le pouvoir économique qui tue la démocratie. C’est le pouvoir politique qui se suicide.
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Atlantico Business

Quand nos intellectuels à la mode reprennent le chemin des médias, c’est pour ressortir leur diatribe contre l’Europe, l’euro et les puissances d’argent. C’est redondant et de plus en plus faux...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Emmanuel Todd, qui vient de sortir aux éditions du Seuil Où en sommes-nous ?, refait l’histoire du monde moderne en rappelant ses racines anciennes. Intéressant par le foisonnement d’idées qu’il agite, intéressant quand il rappelle que l’histoire du monde est l’histoire de conflits successifs et que l’heure est venue à de nouveaux conflits entre des peuples de cultures et de religions différentes, et surtout à un conflit entre les élites et le peuple. Le risque est grand. Actuel. C’est ce type de fossé que les démocraties et les pouvoirs qui en sont issus n’ont pas su combler. D’où la montée des populismes aux Etats-Unis, avec l’arrivée de Trump, d’où le Brexit en Grande Bretagne, d’où le poids de l’extrémisme en France qui a su juguler le risque en votant par défaut pour Emmanuel Macron.

Des chroniqueurs et philosophes à succès, comme Éric Zemmour ou Michel Onfray, soutiennent la thèse principale de ce livre, surtout quand il s’agit de dénoncer le grand coupable de cette fracture et de cette évolution. Pour eux, le phénomène responsable, c’est la mondialisation à marche forcée depuis 15 ans, poussée et alimentée par le pouvoir économique qui a submergé tous les autres pouvoirs. Ils voient même en Emmanuel Macron, le représentant de ce pouvoir arrogant et impérialiste. Qui, sous les couverts de l’intelligence pragmatique, accroit jour après jour ce pouvoir économique sans partage. Par l’euro, par la banque centrale, par la réforme du droit du travail, par toujours plus de flexibilité dans le droit du travail, par la course à la compétitivité... Bref, tout ce qui contribue à la dislocation des corps sociaux.

Le type de discours est commode, il répond d’une certaine façon à l’inquiétude de tous ceux qui ont raté le train de la mondialisation, oubliés par les vents du digital. Et se veut explicatif de la montée du communautarisme, du populisme et du protectionnisme. Ces trois philosophes n'y vont pas de main morte, ils prétendent démontrer le risque de guerre civile dans les vieilles démocraties.

Ce discours anxiogène a du succès, il rejoint les partisans de la théorie du complot fomenté par les financiers juifs, les francs-maçons ou les spéculateurs de Wall-Street.

Rien n’est plus faux.

Il faut ne jamais avoir mis les pieds dans une grande entreprise internationale pour penser que l’objectif de ses dirigeants est d’ignorer les malentendus, les dysfonctionnements et les clivages sociaux ou culturels.

Les chefs d’entreprise modernes, et il y en a beaucoup, ont certes pour objectif d‘optimiser leurs résultats économiques et financiers, mais en même temps ils sont obligés de poursuivre des objectifs sociaux et environnementaux. Ils ne peuvent pas s’affranchir de ces objectifs. Autrefois, le climat social de l’entreprise, le niveau de salaire et d’emploi étaient des contraintes au capitalisme. Ce sont aujourd’hui des opportunités de travailler mieux.

La préoccupation des chefs d’entreprise intelligents est de participer à l’équilibre socio-politique de son écosystème, ainsi qu’à la préservation de son environnement.

Si le chef d’entreprise ne le fait pas par conviction, il le fera par intérêt. Ses actionnaires sont attentifs à son bilan social, ses consommateurs sont vigilants à la façon dont sont fabriqués les produits, à quelle condition. Les actionnaires comme les consommateurs n’accepteront plus de tricherie, de tromperie ou de fonction de production polluante.

Le résultat de cette évolution, que nos philosophes oublient superbement de rappeler dans leurs procès au système capitaliste, fait que Microsoft aujourd’hui est l’institution qui dans le monde consacre le plus d’argent dans la lutte contre les grandes épidémies, que Facebook avec Marc Zuckerberg participe le plus à la solidarité internationale. Quand plus de 2 milliards d’êtres humains communiquent chaque jour via Facebook, ça n’est pas forcément pour préparer la prochaine guerre mondiale.

Quand les entreprises de la Silicon Valley s’entendent pour aller à l’encontre des projets conservateurs de Donald Trump, c’est peut-être pour protéger leur business, mais c’est aussi pour afficher leurs convictions que la gestion intelligente d’une immigration choisie peut  être enrichissante pour tout le monde, et pour dire haut et fort que les recommandations de la COP21 ne sont pas forcément inutiles.

Les entreprises françaises ne sont pas les dernières à estimer que les entreprises ont des responsabilités sociétales à respecter. Le Groupe Danone en est le meilleur exemple. Tout son ADN est construit sur la nécessité d’un projet social et environnement. Ça n’est pas un complément au projet économique, c’est une composante incontournable du projet global.

Le résultat est que l’entreprise s’en porte beaucoup mieux que n’importe quelle autre du secteur agro-alimentaire.

Contrairement à ce qu’on croit souvent, l‘entreprise performante doit sa performance à la qualité de ses produits et services, mais aussi à la qualité de son climat social. Le monde économique ne peut pas se réjouir de la dégradation du fonctionnement démocratique. C’est impossible et suicidaire pour l’équipe de management. En revanche, l’entreprise doit lutter tous les jours contre les freins qui s’opposent au développement de son modèle.

Le premier de ces freins est contenu dans l’action politique, dans la pression administrative et fiscale. Les impôts, oui, à condition qu’il y ait un retour visible et tangible. Ce qui n’est pas toujours le cas et qui conduit les entreprises américaines à affecter de plus en plus une partie de leurs excédents bénéficiaires à des dépenses qu’on peut appeler caritatives ou sans but lucratif, via des fondations.

Le deuxième frein se cache dans le fonctionnement de l’industrie financière. Le monde économique a engendré des activités financières très « court-termistes ». Les fonds d’investissement n’ont pas, dans leur grande majorité, la préoccupation du long terme. Or, le succès d’une entreprise a besoin de temps. L’entreprise a besoin de financer sa recherche, ses risques, ses aléas, elle a besoin de faire des expériences. Bref, elle ne peut pas consacrer son énergie à nourrir des actionnaires dont le seul but est d’accumuler les profits.

Quand ils dénoncent le pouvoir économique capable de cannibaliser la démocratie, nos chers philosophes se trompent de cibles. Les cibles qu’ils devraient dénoncer ce sont les fonds spéculatifs qui ont envahi la planète depuis dix ans. Ils ont provoqué la grande crise de 2008, ils ont mis les structures économiques à genoux. Ils sont sortis de la crise très vite et sont prêts à recommencer.

Le pouvoir politique dans les grandes démocraties n’a rien vu venir. Ils ont laissé faire. Du même coup, il se suicide et laisse la place à l’extrémisme. 

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