Thorium : mais pourquoi personne ne s’intéresse-t-il aux recherches du prix Nobel de physique français qui pourraient régler définitivement nos problèmes énergétiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo montre un symbole d'avertissement de radioactivité sur un conteneur transportant des déchets nucléaires hautement radioactif.
Une photo montre un symbole d'avertissement de radioactivité sur un conteneur transportant des déchets nucléaires hautement radioactif.
©Kenzo TRIBOUILLARD / AFP

Solution miracle ?

Le professeur Gérard Albert Mourou, lauréat du prix Nobel de physique en 2018, a déclaré qu'il effectuait des recherches sur le thorium. Cette ressource sera-t-elle la solution miracle pour résoudre les difficultés en matière d'énergie ?

Eric Van Vaerenbergh

Eric Van Vaerenbergh

Eric Van Vaerenbergh est chef d'entreprises et chargé de cours à l'ECAM.

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Atlantico : Dans le cadre du VinFuture Prize Council, au Vietnam, le professeur Gérard Albert Mourou, prix Nobel de physique en 2018 a expliqué travailler sur le thorium, une ressource abondante qui pourrait régler les problèmes énergétiques sur le long terme. De quoi s’agit-il exactement ? 

Eric Van Vaerenbergh : Concernant le thorium, on entend beaucoup de choses en effet. Plusieurs pays développent des prototypes et font de la R&D activement avec le thorium, dont l’Europe. De mon côté, j’observe beaucoup l’Asie. Un continent démarrant pour certaines régions de zéro, ces zones du monde n’ont aucun intérêt de partir sur la filière uranium aujourd’hui, les ressources mondiales actuelles étant, selon les spécialistes, beaucoup plus limitées que celles du thorium.

Le thorium n’est pas lui-même fissile, mais dans le cœur d’un réacteur il peut se transformer, par capture d’un neutron, en uranium 233 fissile. Quelques pays réfléchissent à l’utilisation de ce combustible, dont l’Inde qui en possède des réserves très importantes. Une caractéristique intéressante des réacteurs au thorium est que les résidus produits contiennent une quantité plus faible d’actinides mineurs et ne produisent pas de plutonium, ce qui est un avantage dans la gestion à long terme des déchets radioactifs.

Certains estiment que remplacer l’uranium par le thorium serait illusoire, une récente tribune sur le monde de l’énergie l’évoquait. Que faut-il en penser ? Est-on en effet loin de toute avancée concrète sur le sujet ? 

Eric Van Vaerenbergh : L’industrie de l’uranium en France et dans les pays nucléarisés, voyant le thorium comme un concurrent voir inutile, trouvera tous les arguments pour dénigrer le thorium. Mais c’est vrai que toute la filière doit être créée. Mais avec une vision à long terme, où est le problème ? Concernant la filière de l’uranium actuelle et des surgénérateurs qui consommeraient les déchets actuels, la France et les Etats-Unis disposent principalement de leurs parcs historiques nucléaires. N’oublions pas les autres pays dont certains démarrent de zéro, auraient du combustible émettant zéro CO2 pour des siècles.

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Mais il faudra rester réaliste et ne pas opposer les différents combustibles nucléaires en ayant une volonté d’anticiper le futur. Sachant que l’humanité, la Chine et l'Inde principalement… (2,8 milliards de personnes en 2022), auront besoin d’une quantité colossale d’énergie pour son futur et assurer sa pérennité. Toutes sources d’énergies nucléaires respectueuses de l’environnement ne peuvent être écartées. On parle sans arrêt de mix énergétique, un mix de combustibles nucléaires planétaires respectueux de l’environnement et complémentaires ne pourra être que positif pour l’avenir de l’humanité.

Il faut bien faire attention dans ce débat à ceux qui défendent une vision nationale, européenne ou mondiale. L’approche n’est pas du tout la même. La France n’a par exemple aucun intérêt à développer une filière thorium étant donné ses stocks millénaires de combustible actuel.

Personnellement, je me positionne plus fréquemment sur une position globalement mondiale. Cette distinction est importante dans la compréhension de ce sujet et de certaines conclusions de certains influenceurs.

Si le thorium pourrait être une solution miracle pour régler les questions énergétiques, comment expliquer que le sujet soit si peu évoqué ? Comment expliquer en particulier que les propos d’un prix Nobel de physique français ne nous reviennent pas plus aux oreilles ? 

Eric Van Vaerenbergh : Le thorium ne sera pas une solution miracle au niveau planétaire pour les problèmes actuels face au timing nécessaire pour le développement de cette nouvelle filière. La filière devant être entièrement mise en œuvre, elle prendra beaucoup de temps par rapport au timing qu’il nous reste.

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Mais elle pourrait limiter les conséquences si les pays non nucléarisés se lancent à créer cette filière et SURTOUT si les pays actuellement nucléarisés ne leur viennent pas en aide RAPIDEMENT.

C’est certainement une raison pour laquelle on en parle peu dans les pays déjà nucléarisés qui n’ont aucun intérêt à développer le thorium avec une vision égoïste.

Sauf avancée majeure, l’urgence CO2 qui nous occupe au XXIe siècle ne pourra pas être résolue avec le thorium.

Le thorium est une vision plus planétaire et à plus long terme.

Étant donné l’urgence, les problèmes actuels doivent être résolus avec les technologies et les savoirs maîtrisés à ce jour.

Pour les pays déjà nucléarisés, les surgénérateurs nucléaires pouvant exploiter leurs déchets actuels, déchets qu’ils pourraient mettre à disposition des pays dans le besoin pour les aider à se développer étant donné les siècles de stock disponibles, représentent une solution plus réaliste, plus humaniste et moins égoïste face à l’urgence.

Mais n’oublions pas, les pays qui pourront faire cela sont ceux qui sont déjà nucléarisés et qui ont des « combustibles usés » exploitables représentant un stock pour des siècles d’énergies ~zéro CO2. Ces pays se comptent presque sur les doigts de la main.

Beaucoup d’autres pays n’étant pas encore nucléarisés pourront avec la filière thorium se nucléariser avec des réacteurs de génération IV moins dangereux que nos REP et avec beaucoup moins de risques industriels, géopolitiques et de prolifération s’ils n’ont aucune aide.

Il faut bien comprendre qu’un pays comme la France n’a aucun intérêt à développer une filière thorium étant donné qu’elle a déjà du combustible appauvri qui pourrait l’alimenter pour des siècles. Il ne faut pas que le débat planétaire soit centré sur la France. Il faut une vision globale et humaniste.

Donc des pays comme la France, en s'y mettant maintenant, face à l’avancée que des pays comme la Chine et l’Inde ont déjà, n'auraient probablement rien à vendre à des pays qui sont déjà plus avancés sur le développement de la filière thorium. Et vu que des pays comme la France n'ont pas eux-mêmes intérêt à développer une telle filière sur leurs territoires, cela se conclurait par une impasse industrielle.

La Chine et l’Inde auront besoin d’une énergie colossale pour se développer avec une énergie ~zéro CO2. Pour ces pays, aucune alternative ne peut être écartée s’ils n’ont aucune aide extérieure.

La France, possédant des stocks de combustibles d’uranium appauvri pouvant l’alimenter pendant des siècles à ~zéro CO2, dans le besoin de solidarité planétaire que les enjeux écologiques exigent face à l’urgence, et les autres pays dans le même cas devraient penser à partager leurs stocks pour décarboner au plus vite les pays qui en ont besoin en urgence. Des millénaires de stock pour la France, cela lui laisse largement le temps de rebondir sur une autre filière si les ressources s’amoindrissent. Ce temps serait largement suffisant pour développer une filière thorium voir la fusion annoncée pour 2100.

Il faut absolument anticiper l’hypothèse potentielle qu’on ne maîtriserait pas la fusion en 2100 et avoir une solution alternative de secours si c’est le cas. Le partage des millénaires de stocks de combustibles que des pays comme la France possèdent avec le développement de filières alternatives restera la meilleure approche préventive si jamais la fusion aboutit très tardivement.

L’écologie demandera de la solidarité, le partage de ressources et de solutions pouvant décarboner notre monde aujourd’hui et au plus vite. Cela doit être une priorité absolue.

SOURCES : 

Le projet chinois et le thorium: https://www.europeanscientist.com/en/features/china-shows-us-the-path-to-the-nuclear-future/

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