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Thierry Mariani : "En matière de politique étrangère, il n'est pas possible de poursuivre tous les objectifs à la fois"
©Reuters

Retour de Syrie

A l'occasion du week-end de Pâques, Thierry Mariani et quelques autres députés de droite se sont déplacés jusqu'en Syrie où ils ont de nouveau rencontré Bachar el-Assad... comme en témoigne un selfie qui fait polémique. L'occasion, néanmoins, de réaffirmer qui sont les ennemis de la France, entre le Président Syrien et l'EI.

Thierry Mariani

Thierry Mariani

Thierry Mariani a créé, en 2010, avec notamment les parlementaires Christian Vanneste et Lionnel Luca, le collectif de la Droite Populaire.

Il a été ministre chargé des transports dans le dernier gouvernement de Nicolas Sarkozy. 

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Atlantico : Pourquoi être allé voir Assad ?

Thierry Mariani : Je me suis rendu en Syrie les 11, 12, 13 et 14 novembre 2015. Le 13 au soir, les attentats de Paris étaient perpétrés. Nous avons, d'autres parlementaires et moi-même, rencontré Bachar el-Assad, mais aussi un certain nombre de représentants des communautés. Le régime, à ce moment-là, était encore très fragile, militairement parlant. Il perdait du terrain sur tous les fronts. A Damas, les bombardements avaient lieu toute la journée : les insurgés, depuis le quartier qu'ils tenaient, s'en prenaient essentiellement au quartier chrétien.

Quand nous avons rencontré Bachar el-Assad, dans ce contexte précis, il nous a proposé de revenir pour Pâques. C'est ce que nous avons fait. Entre novembre et fin mars la situation avait complètement changé, dans le bon sens des choses pour le gouvernement syrien. En trois jours passés à Damas, nous n'avons pas entendu le moindre obus. Tout cela est désormais terminé, "grâce aux Russes", comme le Président Assad l'a souligné dans notre entretien. C'est un élément qu'il a répété à cinq reprises. Désormais ce n'est plus l'armée syrienne régulière qui recule, ce sont bel et bien les troupes de l'Etat Islamique, ainsi que celles de Jabhat al-Nosra. Il me semble important de ne pas oublier Jabhat al-Nosra, qui apparaît fréquentable aux yeux des américains mais qui incarne tout de même la branche d'Al Qaeda au Moyen-Orient.

Ma démarche, n'est pas un soutien à l'égard de Bachar el-Assad. Soyons honnêtes et posons les choses au clair : je suis un député français. Ce qui me motive, c'est donc la situation de la France, les intérêts de mes concitoyens. Or, l'intérêt des Français aujourd'hui, c'est la liquidation du terrorisme à sa source. Je ne me sens pas menacé par Bachar el-Assad, en revanche je me sens menacé tant par l'Etat Islamique que par ses alliés. Cela ne signifie évidemment pas que le régime d'Assad est merveilleux : j'ai tout à fait conscience qu'il doit évoluer. Cela étant, l'urgence c'est – à mes yeux – de s'attaquer au terrorisme. Pour s'y attaquer, pour gagner la guerre, il faudra nécessairement des troupes au sol. Je sais qu'un certain nombre de politiques français souhaiteraient que nous envoyions des troupes en Syrie. Cela me semble être une erreur, d'abord parce qu'il s'agirait d'un piège dont on ignore quand on s'en sortira. Ensuite, nous aurions probablement essuyé de nombreuses pertes et enfin parce qu'il s'agit évidemment du meilleur moyen de transformer le conflit en une guerre de religions. Schématiquement, cela se traduirait par "les croisés sont de retour". La seule solution, si on ne peut pas envoyer de troupes au sol mais qu'on souhaite néanmoins gagner le conflit et diminuer les flux de terroristes, c'est donc de s'appuyer sur les hommes déjà sur place ! Il n'y en a que deux : les kurdes, et l'armée syrienne régulière. Je connais le romantisme français qui s'est construit autour de l'armée syrienne libre, mais il faut reconnaître que militairement elle ne constitue pas une force sérieuse.

Que vous a-t-il demandé ?

Nous ne sommes pas chargés de jouer le rôle de messager du gouvernement syrien. Mais il faut souligner qu'aujourd'hui, tout se négocie entre les russes et les américains. Les américains tiennent compte de leur intérêt et des intérêts de leurs alliés principaux dans la région – l'Arabie Saoudite et la Turquie. L'Europe est complètement à l'écart. Soit l'Europe décide de se joindre aux négociations, soit elle sera contrainte de rester à l'écart… et donc d'arriver dernière, comme c'est désormais la coutume.

La France a pourtant toute sa place dans la mesure où nous entretenons traditionnellement des relations fortes avec la Syrie, du fait de son histoire, notamment ce qu'il est advenu durant l'entre-deux guerres. Bachar el-Assad nous a rappelé à plusieurs reprises que la plupart des élites syriennes parlaient français, qu'il ne comprenait pas l'absence de la France dans ces négociations, qu'elle se calque uniquement sur la position américaine, consistant finalement à attendre le choix des autres Etats. Cette fois Assad ne s'en est absolument pas pris à la politique de la France. A l'inverse, ses propos visaient avant tout à rappeler à quel point la Syrie aime la France, combien son pays attend le nôtre et quel pourrait être notre rôle, pourquoi nous devions revenir dans les négociations. Ce n'était pas le même ton, en novembre, où l'entretien avait commencé par ses condoléances. Juste après cela, il nous avait remerciés de "venir voir quelqu'un qui ne mérite pas d'être né sur Terre", comme l'avait déclaré Laurent Fabius. Aujourd'hui il nous a dit clairement son espoir de voir les positions françaises changer, à la suite du changement de ministre des Affaires Etrangères. Dans tous les cas, il veut que nous réalisions que les russes travaillent avec lui, que les américains négocient avec lui, que nous sommes, finalement, les seuls à rester sur des positions dépassés. Cela fait 4 ans que sa chute est mondialement annoncée, et il l'a dit en sous-texte : s'il a tenu si longtemps, c'est vraisemblablement parce qu'il a encore le soutien de l'armée et du peuple. Le message est clair : il nous faudra bien faire avec lui.

Peut-on discuter avec un homme qui gaze sa propre population? C'est aussi Assad que fuient les réfugiés.

En matière de politique étrangère, je crois qu'on ne peut pas poursuivre tous les objectifs à la fois. Je sais très bien qu'il faudrait éliminer Bachar el-Assad, venir à bout des terroristes, mettre en place un Etat démocratique… et je ne sais quoi encore.

Cependant, encore une fois, je crois que les choses ne se font pas autrement qu'une à la fois. Il s'avère que, dans notre intérêt et pour le long-terme, la priorité est de se tourner vers ceux qui nous menacent. A ce propos je constate que depuis le 13 novembre et les attentats qui ont notamment frappé le Bataclan, le discours tenu par le gouvernement français a évolué. D'autre part, je constate également que – comme d'habitude – nous sommes les derniers à évoluer !

A votre retour avez-vous été reçu par les autorités françaises ou par des cadres de l'opposition ?

Non, pas encore. Il faut dire que je suis reparti presque immédiatement pour la Russie dans le cadre d'une mission officielle de la Commission des Affaires Etrangères. Cela sera probablement le cas la semaine prochaine dans la mesure où j'ai reçu certaines demandes.

Avez-vous déjà prévu de retrouner en Syrie?

Nous y retournerons mais il n'y a pas encore de date prévue à ce jour.

Vous vous êtes rendu en Syrie pour soutenir les Chrétien d'Orient à l'occasion de Pâques. Pourquoi concentrer l'aide sur les Chrétiens ? N'est-ce pas le risque de transformer la lutte contre l'EI en guerre de religion ?

Nous venions avant tout en pensant à l'ensemble de la population Syrienne. Cependant, la population qui a été la plus ciblée, dans les régions reprises par l'Etat Islamique et Jabhat al-Nosra ont toujours été – en priorité – les populations chrétiennes. Je dis bien "en priorité", dans la mesure où j'ai conscience que les premières victimes, en terme de nombre, de ces mouvances terroristes sont les musulmans eux-mêmes. C'est aussi, il me semble, un besoin que peuvent avoir ces communautés de chrétiens d'Orient et de Syrie. Il est important de montrer qu'on s'occupe d'eux, qu'on ne les oublie pas. Mais nous avons rencontré la totalité des représentants de communautés, qu'il s'agisse des chrétiens ; des orthodoxes, du grand Mufti… Cela s'est fait dans un lieu hautement symbolique, puisqu'il s'agit de la Grande Mosquée des Omeyyades, plus grand lieu de culte de Damas, où se réunissent aussi bien catholiques et musulmans pour prier. Elle accueille les reliques de Saint Jean-Baptiste. 

Julien Rochedy vous accompagnait lors dans cette expédition, pourquoi ? Il s'est pris en photo avec Assad comme on se photographie avec une star. Ce dérapage n'entache-t-il pas gravement votre démarche ?

La délégation a été composée par l'association. J'avoue que je ne savais pas que Julien Rochedy avait été responsable des jeunes du Front National, de la même façon que je doute que le nom du responsable des jeunes du Parti socialiste actuel soit particulièrement connu. Je le dis, bien que rien n'oblige à me croire : j'ignorais qui était Julien Rochedy ! Il ne m'a été présenté que comme un chef d'entreprise et je concède ne pas être allé creuser. Son tweet était bien évidemment déplacé, cependant rappelons que dans une délégation de trente personnes, chacun est libre de faire ce qu'il souhaite sur les réseaux sociaux et qu'il en est le seul responsable.

Cette démarche a effectivement totalement dénaturé notre travail. J'en suis furieux : ne serait-ce que parce que les gens n'ont retenu que ce dérapage. Le tweet est, à mon sens, réservé aux vedettes et aux amis, mais pas aux chefs d'Etat.

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