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Terrorisme, la facture : 80 % des Français seraient prêts à accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de leurs libertés et 75% anticipent des opérations de représailles incontrôlées envers la population musulmane en cas d'attentats
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IFOP

C'est l'effet d'une succession quasiment ininterrompue d'incidents et attentats terroriste depuis plus de deux ans : les Français sont aujourd'hui 63% à souhaiter que les fichés S soient envoyés d'office en prison.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements de cette enquête

Jérôme Fourquet : Il y a plusieurs enseignements. Le plus important est que la perception de la menace terroriste est remontée d'un cran des dernières semaines alors qu'il y a quelques mois, les attaques répétées n'avaient pas forcément d'impact spectaculaire ou marqué dans l'opinion. On pouvait voir dans nos précédentes publications un phénomène d'accoutumance, l'opinion publique s'était habituée à vivre avec cette menace. Les attaques étant souvent avortées, le grand public n'était pas aussi réactif qu'il l'avait pu l'être. En février 2017, 35% des personnes interrogées estimaient que cette menace était très élevée. Cela a repris de la vigueur après l'assassinat du policier sur les Champs-Elysées. Le total était remonté à 51% en avril dernier. Ces derniers jours, on est repassé à 59%, mais cela correspond avec les attaques en Europe qui ont marqué les esprits, notamment celles de Londres et Manchester. On a eu de nouveau une attaque avortée sur les Champs-Elysées, l'attaque au marteau d'un policier en patrouille devant Notre-Dame. Tout ça fait remonter la pression et l'inquiétude. On a des cycles qui se suivent. On est dans une phase élevée. Avec 59%, on revient aux niveaux de juillet 2016, au lendemain de l'attentat de Nice. Ce n'est pas anecdotique. La pression particulièrement forte au cours de l'été 2016 était retombée à l'automne et a repris un peu de vigueur dans la dernière période de la présidentielle avec l'attaque sur les Champs. Le contexte est différent aujourd'hui de celui qui prévalait l'été dernier mais nous sommes de nouveau sur une opinion publique qui est très réactive et qui sent cette menace comme particulièrement élevée alors que le bilan humain est très faible. Tous ces éléments ont conditionné les réponses et les attentes de la population sur les politiques à mener pour contrer cette menace.

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La côte de confiance des forces de sécurité demeure extrêmement élevée. 87% des personnes interrogées font confiance aux forces de l'ordre. 38% des gens leur font tout à fait confiance, soit 4 Français sur 10.

87%, c'est un niveau qui nous ramène à celui que l'on avait en janvier 2015, au tout début de cette séquence, au lendemain de Charlie Hebdo. L'intensité de la confiance a diminué par la suite. On était tombé à 22% après Nice.

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Les forces de sécurité reprennent des couleurs. Donc on a le sentiment qu'ils font tout ce qu'ils peuvent, qu'ils sont vraiment mobilisés et on démantèle des cellules, etc. Et puis le deuxième point c'est qu'il y aussi quelque part, sans doute, les interviewés répondent aussi en termes d'empathie et rendent hommage aussi au travail de ces forces de sécurité, donc on n'est pas uniquement sur de la confiance, on est également sur de la sympathie et une forme d'hommage qui leur est rendu, notamment quand on sait que ces forces de sécurité sont aujourd'hui en première ligne et sont d'abord visés par ces terroristes.

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L'attaque des Champs Élysées, d'avant la présidentielle, ce qu'il s'est passé sur le parvis Notre-Dame et ce qui a failli arriver il y a encore quelques jours de nouveau sur les Champs Élysées, vient aussi symboliquement montrer aux Français que les forces de sécurité sont engagées dans un corps à corps, c'est le cas de le dire, avec le terrorisme .Il y a un hommage, sans doute, qui est rendu et une reconnaissance qui s'exprime de la part de nos concitoyens.

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-Au contraire, par contre, concernant le gouvernement, on voit une baisse beaucoup plus significative. 58%.

Il y a plusieurs choses. D'abord, on l'avait vu à l'époque déjà, on le revoit aujourd'hui, c'est assez classique et traditionnel d'avoir un degré de confiance qui est bien plus élevé dans les opérationnels de contrairement aux responsables politiques.

Ensuite, ce qui est intéressant, si on fait un peu d'histoire récente, c'est qu'alors même qu'en janvier 2015, Hollande était dans les baromètres de l'IFOP et de nos confrères au plus bas, avant Charlie, il avait repris des couleurs un peu, mais il les avait vite perdues. Il y a un domaine où une majorité de Français, lui faisaient confiance, c'était la question de la lutte contre le terrorisme. Donc bien évidemment il n'y avait pas d'union sacrée et il ne pouvait pas se targuer d'une côte de confiance identique à celle des forces de l'ordre mais le simple fait qu'il soit à 50% était déjà un vrai tour de force le concernant vu que sa côte moyenne était plutôt aux alentours de 20%.

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Puis, il y a un décrochage tout à fait violent et manifeste, en juillet, où le matin-même de l'attentat de Nice, Hollande annonce qu'il n'y a plus lieu de maintenir l'état d'urgence. Et il est démenti de manière cinglante et dramatique dans la demi-journée qui suit. La côte s'effritera encore un peu après Saint-Étienne-du-Rouvray.

Depuis nous n'avions plus fait de mesure et nous avons reposé la même question aux Français pour ce nouveau gouvernement. D'emblée il y a 58% de confiance, donc on est au double par rapport au lendemain de Magnanville et on est nettement plus haut que ce que Hollande n'a jamais eu. 58% c'est satisfaisant pour Emmanuel Macron, d'autant plus que pendant la campagne, il avait été question de sa crédibilité sur les sujets régaliens. Là, manifestement, il y a une confiance en lui et dans le gouvernement qui est nettement majoritaire, 58%, même si 42% qui n'ont pas confiance (on retrouve là le clivage partisan). Dès lors, on peut se dire qu'il a sans doute très bien fait de conserver dans son dispositif gouvernemental quelqu'un comme Le Drian qui vient le crédibiliser sur ces sujets.

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Enfin concernant le risque de représailles, cette question on l'avait déjà posée en juillet 2016 au moment où il était question de dérapage dans la guerre civile comme le disait Calvar. On constate ici qu'il n'y a pas d'évolution avec les ¾ des Français qui pensent que c'est possible. Heureusement il n'y a aucun cas concret en France avéré si ce n'est des incidents mineurs et le nombre d'actes antimusulmans tel qu'il est recensé par les services de l'Etat augmente sensiblement après un attentat n'est pas bien élevé. Cependant la peur de représailles hante quand même beaucoup les esprits. D'autant plus depuis qu'un homme à Londres a fauché une file de musulmans à la sortie d'une mosquée.

Il y a une double inquiétude, la peur du terrorisme mais aussi de ses conséquences. Cela plaide pour qu'on sorte le plus vite possible de cette menace ce qui explique que l'on accepte que l'état de droit soit un peu rogné. 

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Vincent Tournier : On peut retenir deux grands enseignements de ce sondage. Le premier est que la crainte d’une attaque terroriste se maintient à un niveau élevée. En soi, ce n’est pas nouveau puisque, depuis janvier 2015, ce sont près de 9 Français sur 10 qui estiment que la menace terroriste est élevée. Toutefois, ce chiffre n’est pas significatif car il additionne les personnes qui pensent que la menace est « très élevée » et celles qui pensent qu’elle est seulement « plutôt élevée ». Or, si on regarde dans le détail, on voit que c’est la réponse « très élevée » qui a fortement augmenté tout au long de l’année 2017 : en février dernier, 35% des Français pensaient que la menace était « très élevée », contre 59% aujourd’hui. C’est pratiquement le niveau qui avait été atteint après le Bataclan ou après Nice. L’angoisse est donc très forte, alors même qu’il n’y a pas eu d’attaques aussi dévastatrices. Cela montre que les Français ont bien compris que le terrorisme, loin d’être un problème ponctuel, est devenu un problème endémique.

Le second enseignement est qu’il y a une assez forte confiance dans le président actuel et dans son gouvernement pour lutter contre le terrorisme. Aujourd’hui, 58% des Français disent avoir confiance dans Emmanuel Macron et son gouvernement. Ce chiffre est certes moins élevé que la confiance dans les forces de sécurité, mais il est tout de même assez fort. En tout cas, il n’a jamais été atteint par François Hollande et son gouvernement. On peut donc parler d’une sorte d’état de grâce pour Emmanuel Macron, au moins sur ce thème. Bien sûr, rien ne dit que cette situation est appelée à durer, mais pour l’instant, il faut admettre qu’il a su trouver les mots ou les attitudes qui ont touché juste, bien mieux que François Hollande, ce qui n’était sans doute pas difficile. Et puis les Français ont certainement envie que le nouveau gouvernement réussisse. Un autre résultat du sondage indique que 75% des Français pensent qu’un nouvel attentat peut engendrer des représailles. La situation est donc tendue, ce qui explique pourquoi tout le monde espère que quelque chose de positif va sortir de ce nouvel exécutif.

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La demande d'arrestation et d'emprisonnement des fichés S sans qu'ils aient commis d'actes répréhensibles par mesure préventive trouve un écho favorable auprès de 63% de la population. Comment expliquer une si forte adhésion à cette idée ? 

Jérôme Fourquet :Plus l'intensité de la menace est perçue comme importante, plus l'adhésion ou la propension à accepter des mesures draconiennes va augmenter. Comme nous sommes dans une période où un sentiment collectif d'une menace qui plane, il y a une propension à accepter des mesures qui contreviennent à certaines règles de notre État de droit, en se disant qu'à situation exceptionnelle moyens exceptionnels, l'enfermement préventif en est une illustration.

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63%, deux tiers des Français seraient donc favorables à ce que les personnes fichées S soient arrêtées, emprisonnées.

On a commencé à poser cette question au lendemain du Bataclan, quand ce sujet a été mis sur la place publique, notamment par l'opposition qui accusait le gouvernement d'incompétence ou d'insuffisance en disant que maintenant, il faut prendre de "vraies mesures. À l'époque, sous le coup de l'émotion et de l'immense effroi qui avait saisi le pays, 75% des Français étaient pour ce genre de mesures. En période un peu plus apaisée, on va redescendre à 62%. On remonte en puissance à l'été 2016: 68% après Nice, 74% après Saint-Étienne-du-Rouvray. Dans les périodes les plus tendues, on monte jusqu'à trois quarts des Français qui seraient favorables à ces mesures exceptionnelles et dans tous les cas cette mesure est structurellement majoritaire, voire extrêmement majoritaire au lendemain d'attentats particulièrement marquants.

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L'auteur de la dernière attaque était fiché S. Donc là aussi, cette polémique remonte rapidement à la surface.

Comment cela se décline politiquement? On voit qu'on a quasiment 100% de sondés proche du FN qui y sont favorables. Ultra-majoritaire aussi chez Les Républicains (77%). Et minoritaire à gauche. Donc on voit bien que le clivage gauche-droite là-dessus continue de fonctionner puissamment. A l'heure du macronisme triomphant, on a quand même un clivage gauche-droite sur ce type de questions. Mais, à gauche, on a quand même des minorités à 42% à la France insoumise et 46% au PS qui sont favorables; c'est-à-dire que quasiment un électeur socialiste sur deux, et chez Mélenchon, 42%, c'est quand même beaucoup.

Pour ce qui est de La République En Marche, ils sont à égale distance du PS et des Républicains; c'est intéressant de voir qu'à droite comme à gauche, cela marche aussi sur les questions sécuritaires et que, l'on a quand même une majorité nette, quasiment six sympathisants En Marche sur dix qui seraient favorables à cette internement préventif. Et donc là aussi, cela nous dit des choses sur l'attitude du gouvernement qui s'apprête à transcrire dans le droit commun, un certain nombre de dispositions (pas celle-là, bien sûr) issues de l'état d'urgence.

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Vincent Tournier : L’arrestation des fichés S correspond à une demande très majoritaire dans l’opinion publique, même si on observe une baisse sensible puisqu’on est passé de 74% en juillet 2016 à 63% aujourd’hui. Mais ce tassement n’inverse pas la tendance. Cette demande répressive peut se comprendre. L’expression « fiche S », inconnue voici peu, s’est banalisée. Elle est devenue une étiquette. Pour les gens ordinaires, un « fiché S » est synonyme de terrorisme potentiel, ce qui est à la fois vrai et faux. C’est faux parce que toutes les personnes identifiées par les services ne basculent pas dans l’action violente, mais c’est vrai parce que la quasi-totalité des auteurs ont été repérés à un moment ou à un autre. Du coup, cela débouche sur un dialogue de sourds : d’un côté, les experts ont tendance à dédramatiser en expliquant que la fiche S relève d’une simple démarche administrative ; de l’autre, les citoyens ne comprennent pas pourquoi des gens qui ont été repérés ne sont pas mis hors d’état de nuire. C’est tout le problème de la dangerorité, face à laquelle les démocraties contemporaines s’avèrent très mal armées. Dans un régime démocratique, le principe est que la répression doit suivre l’infraction, et non l’inverse. Or, autant cette logique se justifie aisément dans le cas de la petite délinquance, autant elle devient beaucoup plus problématique face à des individus qui veulent commettre des pogroms.

Cela étant, avant d’envisager des solutions radicales, on peut sans doute commencer par trouver des compromis, ce qui suppose d’écouter ceux qui suggèrent des propositions pragmatiques. Par exemple, l’ancien préfet Hughes Mouthouh propose de créer un fichier spécial pour les individus radicalisés, et de prévoir pour eux des mesures administratives destinées à limiter leurs possibilités de nuisance, notamment en leur interdisant d’accéder à certains métiers ou à certaines activités. Une proposition de ce type provoquera certainement des grincements de dents, mais elle a le mérite de poser franchement certaines questions et de chercher des moyens pour éviter les risques de surenchère.

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80% des Français seraient prêts à accepter davantage de contrôles et une limitation des libertés pour lutter contre la menace terrorisme. Peut-on considérer alors que la population donne un chèque en blanc au gouvernement pour introduire l'Etat d'urgence dans le droit commun ? 

Jérôme Fourquet : D'une certaine manière oui. Tout dépend de ce qu'on met dans les mesures qui sont transposées dans le droit commun. Jusqu'où va-t-on aller? Parce que les Français ne sont pas des spécialistes de la politique pénale et de la matière juridique, néanmoins ils vivent dans un contexte de menace terroriste. Là pour l'instant, ce qu'il se passe, c'est que pour les Français il y a des centaines voire des milliers d'individus qui peuvent passer à l'acte à tout moment, en lien ou pas avec l'étranger; c'est très difficile à prévoir et donc il faut prendre les moyens de se protéger. L'état d'urgence peut être un des moyens envisagés, et du coup, les Français, de manière presque empirique font leur balance entre le prix à payer en termes de restrictions ou d'encadrement des libertés collectives et individuelles et de sécurité. Certes le risque zéro n'existe pas, mais on revient sur ce qu'on disait tout à l'heure, les 87% qui font confiance aux forces de sécurité; on a le sentiment que notre État fait tout ce qu'il peut pour nous protéger et que dans les circonstances très graves qui sont les nôtres, cela se passe quand même plutôt bien et qu'ils arrivent à avoir des résultats concluants. Et donc, cette partie du contrat est globalement respectée, même si, encore une fois, on sait que le risque zéro n'existe pas. Et en face, le prix à payer individuellement et collectivement en termes de liberté, semble minime aujourd'hui, et donc c'est pour ça qu'il y a ou une disponibilité à ce que les gouvernants prennent davantage de mesures. Les perquisitions administratives, les assignations à résidence, cela concerne un nombre très restreint deFrançais, que les manifestations politiques et syndicales sont autorisées, que les manifestations sportives et culturelles ne sont pas interdites, qu'il n'y a pas de chape de plomb qui s'est abattue sur les médias... Donc, pour les Français, hormis le fait qu'il y ait cette inquiétude palpable, qu'un certain nombre d'entre eux hésitent à aller dans des lieux où il y a beaucoup de foule, hormis le fait qu'on voit beaucoup plus de policiers et de militaires dans la rue qu'il y a trois, quatre ans, l'état d'urgence n'a rien changé à la vie concrète et quotidienne des Français. Donc si, il faut donner plus de moyens pour épier les communications sur les réseaux sociaux ou autres, pour débusquer des individus qui pourraient passer à l'acte, cela se fera avec l'accord des Français et je pense que les opposants à ces mesures auront toutes les peines du monde à lever un mouvement de contestation dans l'opinion.

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Vincent Tournier : Les mesures qui ont été prises pour lutter contre le terrorisme ont toujours été plébiscitées par les Français. Même l’extension de la déchéance de nationalité, proposée par François Hollande avant d’être abandonnée, était largement approuvée. C’est assez logique : les gens de bonne foi ne voient pas en quoi les mesures anti-terroristes constituent des menaces pour  leurs libertés. Prenons par exemple la consultation de sites djihadites, que le précédent gouvernement voulait pénaliser, mais qui a été censurée par le Conseil constitutionnel : combien de citoyens ordinaires éprouvent l’envie d’aller consulter ces sites, et combien ont le sentiment que l’Etat menace leur vie privée s’il leur interdit d’aller sur ces sites de manière répétée et habituelle ?

On retrouve ici un débat assez semblable à celui qui entoure le voile islamique : cela fait très longtemps que la grande majorité des Français demandent des mesures restrictives à ce sujet, que ce soit à l’école, à l’université ou dans les entreprises. Mais les élites sont beaucoup plus partagées parce que de telles restrictions leur paraissent contradictoires avec certains dogmes. Ce décalage a d’ailleurs été récemment confirmé par une grande étude réalisée par des Britanniques dans dix pays européens, qui a consisté à comparer les opinions des élites et celle des citoyens. On y apprend par exemple que 56% des gens ordinaires souhaitent arrêter l’immigration musulmane contre seulement 32% des élites, ou encore que 55% des gens ordinaires pensent que les modes de vie musulman et européens ont incompatibles, contre 35% des élites.

C’est ce décalage que l’on retrouve avec la question de l’état d’urgence. Aujourd’hui, le gouvernement est face à un dilemme : d’un côté il lui est impossible de sortir de l’état d’urgence parce qu’il sait que d’autres attentats vont avoir lieu et que les dispositions juridiques qu’il contient sont nécessaires pour être efficace ; mais de l’autre il ne peut pas continuer à faire adopter tous les six mois une reconduction de l’état d’urgence, ce qui n’a guère de sens. La solution consistant à intégrer les mesures de l’état d’urgence dans le droit commun est la seule qui permette de sortir de cette impasse. Bien sûr, cela va horrifier ceux qui pensent que la menace terroriste est passagère, et qui restent convaincus que la principale menace vient de l’Etat. Mais dans le contexte actuel, cet argument a peu de poids, surtout lorsqu’on constate qu’il existe d’importantes lacunes dans la surveillance et le repérage. Le fait qu’une personne fichée S ait pu avoir un permis de port d’armes, et que ce permis lui ait même été renouvelé, montre que le problème n’est pas aujourd’hui dans l’excès de contrôle, mais au contraire dans le manque de contrôle.

Cela dit, il ne faut pas se leurrer : ce ne sont pas les mesures prévues par l’état d’urgence, ni par les lois anti-terroristes, qui vont régler les problèmes de fond. La question de la radicalisation religieuse va bien au-delà, comme le rappelait récemment Boualem Sansal.

Emmanuel Macron semble en avoir pris conscience. C’est du moins ce que laisse entendre son récent discours devant le Conseil français du culte musulman (CFCM) . Ce discours est très intéressant dans la mesure où le président a invité les autorités musulmanes à s’impliquer davantage dans la lutte contre la radicalisation, ce qui revient à infléchir sensiblement le discours que tenait le gouvernement précédent. Emmanuel Macron semble donc avoir pris acte que la radicalisation est un problème qui concerne les musulmans, et pas seulement des marginaux ou des brebis égarées. Toutefois, ce discours a aussi une sérieuse limite : il laisse entendre que le président entend se défausser sur les musulmans, donc que l’Etat n’a aucun rôle à jouer. C’est toute la question de savoir si l’islam, comme d’autres religions d’ailleurs, est en mesure d’évoluer de lui-même. On peut faire un parallèle avec le passé : comment s’est faite l’entrée du catholicisme dans la modernité républicaine ? S’agissait-il d’un processus spontané ou bien l’Etat a-t-il dû intervenir, parfois de façon ferme, pour l’y aider ?

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