Tensions grandissantes sur le duo Hollande-Valls : les leçons du précédent Mitterrand-Rocard<!-- --> | Atlantico.fr
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Les tensions grandissent entre Manuel Valls et François Hollande.
Les tensions grandissent entre Manuel Valls et François Hollande.
©Reuters

Je t'aime, moi non plus

Selon le Canard enchaîné paru mercredi 29 octobre, les tensions entre le président et le Premier ministre sont de plus en plus fortes. Le chef de l'Etat serait courroucé de l'attitude de Manuel Valls, qui ferait "provoc sur provoc". Une situation qui rappelle celle vécue au sommet de l'exécutif entre François Mitterrand et Michel Rocard entre 1988 et 1991.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Alors que le Canard Enchaîné rapporte mercredi des rapports tendus entre François Hollande et Manuel Valls, en quoi peut-on dire que les relations particulièrement conflictuelles entre le président socialiste François Mitterrand et le Premier ministre lui aussi socialiste Michel Rocard entre 1988 et 1991 avaient déjà marqué les esprits à l’époque lorsque la gauche gouvernait ?

Maxime Tandonnet : En effet, leurs relations étaient particulièrement conflictuelles, pour des raisons personnelles. Les deux hommes ne s'aimaient pas. François Mitterrand, quand il avait nommé Michel Rocard premier ministre, expliquait à ses amis proches qu'il n'avait pas d'autre choix compte tenu de la popularité de son adversaire au parti socialiste. Leurs mauvaises relations avaient des origines diverses. Outre l'antipathie personnelle et la méfiance réciproque, ils n'appartenaient pas à la même tradition de gauche ni à la même génération. François Mitterrand était l'homme du "programme commun de la gauche" avec le parti communiste, de nature étatiste, alors que Michel Rocard incarnait la "gauche moderne", ou "deuxième gauche", davantage tournée vers le marché et la libre entreprise.

Déjà, lors du premier mandat présidentiel de François Mitterrand, en 1982, alors que Michel Rocard était membre du gouvernement les deux hommes s'étaient vivement opposés. Sur les nationalisations, le second plaidait pour une solution "douce" avec simple prise de participation majoritaire de l'Etat. François Mitterrand lui avait donné tort, se ralliant à la position du parti communiste d'une nationalisation à 100 %. Puis ils s'étaient de nouveau affrontés en 1984 sur le mode électoral, François Mitterrand voulant imposer la proportionnelle de manière à éviter une trop lourde défaite des socialistes en 1986. Ce désaccord avait conduit Michel Rocard à la démission.

Jean Garrigues : Je note aux moins trois différences majeures entre les deux situations. La première concerne les conditions de la première élection de François Mitterrand en 1981 qui s’est faite en éliminant la candidature de Michel Rocard au préalable. Il y a bien sûr eu une compétition entre Manuel Valls et François Hollande en 2011 mais ce n’était pas un duel. Deuxièmement, le duel entre François Mitterrand et Michel Rocard était le fruit d’un combat et d’une concurrence qui étaient plus de nature politique entre deux courants, le courant mitterrandiste et ce qu’on appelait la deuxième gauche. Leur duel et inimité personnelle étaient le reflet d’une concurrence entre deux formes de socialisme. François Hollande et Manuel Valls ont quant à eux une approche relativement commune et proche, celle d’une gauche pragmatique et adaptée au social-libéralisme. Ils ont une histoire commune n’a pas été conflictuelle. Cela peut les rapprocher. Troisièmement, à l’époque de la cohabitation entre Michel Rocard et François Mitterrand il n’y avait pas de perspective d’une réélection pour le second tandis que c’est possible pour François Hollande et que Manuel Valls pourrait aussi se présenter. Le conflit peut venir de la perspective de la présidentielle et c’est d'ailleurs ce qui se profile.

Alors que les deux hommes entretenaient des relations déjà tendues depuis la fin des années comment s’est cristallisé le conflit entre l’Elysée et Matignon entre 1988 et 1991 ? Sur quels sujets portaient l’affrontement au sommet du pouvoir ?

Jean Garrigues : Il s’agissait d’une cohabitation entre deux hommes qui se détestaient et entre deux conceptions différentes du socialisme. Je n’ai pas l’impression que cette conflictualité se soit exprimée sur des choix politiques. Il y avait des combats feutrés que menait le président de la République vis-à-vis de son Premier ministre et des critiques émises sur la manière dont Michel Rocard gérait sa fonction sans que cela débouche sur des désaccords politiques clairement exprimés. Je n’ai pas le souvenir de clash ou de désaccord en public entre les deux hommes. C’était plus dans la façon de gérer les rapports entre le Président et le Premier ministre et entre les deux entourages.

Pour court-circuiter le Premier ministre, François Mitterrand s’appuyait sur le Parti socialiste et sur un certain nombre de ministres au gouvernement comme les mitterrandistes Roland Dumas, Pierre Joxe, Michel Charasse, Pierre Bérégovoy… François Mitterrand faisait des réflexions très sévères sur Michel Rocard en privé ou dans les dîners en ville ce que Jacques Attali a relevé dans "Verbatim". Michel Rocard a été marginalisé par François Mitterrand lors de la guerre du Golfe. Lors du mouvement lycéen de novembre 1990 on avait vu François Mitterrand prendre une attitude beaucoup plus conciliante et bienveillante. Il avait pris ses distances vis-à-vis de Michel Rocard mais cela restait feutré.

Maxime Tandonnet : Pour l'essentiel, François Mitterrand reprochait à Michel Rocard de trop soigner sa popularité au détriment de l'intérêt général à long terme. Dès le début, le président se montrait réservé face à la politique d'ouverture du Premier ministre qui avait nommé des centristes dans son gouvernement. Puis il lui a voulu de se protéger et de ne pas s'attaquer aux sujets les plus difficiles. Il lui reprochait par exemple de ne pas prendre les mesures impopulaires nécessaires pour régler le déficit de la sécurité sociale. Il l'accusait de se dérober dans l'affaire du "voile" à l'école, très médiatisée, et de ne pas soutenir le ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin, confronté à ce dossier complexe. Il s'était montré furieux contre Michel Rocard à la suite du vote d'une loi d'amnistie pour les politiques accusés d'irrégularité alors que le Premier ministre n'y était pour rien. Autre sujet de tension: le vote des étrangers aux élections locales, auquel le président était favorable tandis que son Premier ministre n'en voulait pas. Sur le fond, il semble que François Mitterrand en voulait à Michel Rocard pour la réussite de sa politique sociale - création du revenu minimum d'insertion - et sa réelle popularité à l'époque.

Quelles leçons de ce grand duel pourraient aujourd’hui s’inspirer François Hollande et Manuel Valls afin d’éviter un conflit qui pourrait s’avérer destructeur alors que l’exécutif connaît une période difficile ?

Jean Garrigues : De manière presque naturel le positionnement d’un président de la République doit être celui de l’arbitrage et du surplomb tandis que le positionnement du Premier ministre doit plus être dans l’engagement et celui de la dynamique de la réforme. C’est un jeu subtil de rapport de force entre les deux mais il s’est déjà manifesté lors du projet sur la réforme des allocations chômage.

Le président qui se distancie de son Premier ministre, c’est logique du point de vue institutionnel. Le jeu du Premier ministre est de son coté de se positionner en fer de lance de la réforme et de l’incarnation du mouvement par rapport à un Président considéré comme inerte. Les Français sont très attachés au respect de ce jeu institutionnel et tout le monde peut gagner dans cette perspective, à la fois François Hollande en confortant son image d’arbitre et Manuel Valls en confortant son image de réformiste. C’est pour ça que tout en détestant Michel Rocard, François Mitterrand manifestait peu ces désaccords avec lui car il restait dans son image de président rassembleur. 

Martine Aubry se positionne au contraire de Manuel Valls comme la gardienne du temple pour prendre le contre-pied de Manuel Valls ce qui tend à construire l’opposition entre une gauche et une droite du PS. Dans cette perspective, la stratégie de François Hollande est de se positionner comme l’arbitre, celui qui incarne la synthèse comme quand il était à la tête du PS.

Maxime Tandonnet :La première leçon, évidente, c'est qu'un président de la République a tout à perdre à se séparer d'un Premier ministre populaire... Je crois en revanche que la vie politique française et les dirigeants eux-mêmes auraient tout à gagner à appliquer les principes de la Vème République. Le président préside, fixe un cap, des grandes orientations, dirige la politique étrangère et de défense, et le Premier ministre gouverne, assumant la responsabilité de la politique économique et sociale.

Je pense que c'est à Manuel Valls de communiquer, de se mettre en avant, de faire des choix et de les assumer, sur la base des objectifs généraux assignés par le chef de l'Etat. Rien n'est pire que la confusion des rôles qui remonte principalement au début des années 2000 et l'adoption du quinquennat. Je pense que le chef de l'Etat aurait tout intérêt à prendre du recul, de la hauteur, et à laisser le Premier ministre en première ligne, comme le prévoit l'article 20 de la Constitution.

Les ambitions présidentielles de Michel Rocard ont été anéanties lors des élections européennes de 1994 après la claque subie par les listes PS conduites par Michel Rocard, qui avaient tout juste devancées celles du MRG (devenu PRG) menées par Bernard Tapie et soutenues par François Mitterrand.  François Hollande pourrait-il être tenté de "tuer" politiquement Manuel Valls ces deux prochaines années ? Si le PS était battu aux prochaines élections départementales et régionales, ces nouveaux revers électoraux pourraient-ils sonner le glas du rêve élyséen de Manuel Valls en 2017 ?

Jean Garrigues : Si François Mitterrand s’arrange pour casser l’ambition présidentielle de Michel Rocard c’est qu’il ne croit pas en lui pour être président, le jugeant brouillé et manquant d’un grand dessin. Il ne croit pas non plus à la deuxième gauche. Le problème n’est pas le même pour François Hollande. Il n’a a priori aucun intérêt à briser la carrière de Manuel Valls car c’est plutôt la même voie de transformation du socialisme. Il a toutefois intérêt à l’affaiblir dans la perspective de 2017. Le jeu de François Hollande pourrait consister à faire endosser à Manuel Valls la responsabilité de la défaite aux élections départementales et régionales.

C’est toutefois quelque chose de moins en moins possible depuis le quinquennat car l’usage du couple exécutif a changé. Le Premier ministre est de moins en moins le fusible du président de la République qui se retrouve comme un roi nu directement responsable des échecs politiques. Ce que François Mitterrand pouvait donc encore faire à l ‘époque est beaucoup plus difficile aujourd’hui. François Hollande pourrait cependant affaiblir Manuel Valls en prenant ostensiblement ses distances vis-à-vis des saillies réformatrices qui seront faites par Manuel Valls en se positionnant  vis-à-vis des militants socialistes dans une situation de synthèse.

Maxime Tandonnet : Franchement, je ne sens pas du tout les choses ainsi. La situation n'est pas la même. Le gouvernement est dans une situation extrêmement difficile à tous égards, avec un chômage qui pulvérise tous les records historiques, entre 3,4 et 5 millions de demandeurs d'emploi selon le mode de calcul, un déficit des comptes publics dont on ne voit pas l'issue, une crise de confiance d'une gravité exceptionnelle qui se traduit notamment par des taux d'abstention phénoménaux et une poussée du vote protestataire. Il me semble que tous deux sont embarqués dans le même navire. Ils s'en sortiront ensemble ou échoueront ensemble. D'ailleurs, François Hollande a déjà changé une fois de Premier ministre. Un second changement, sur un quinquennat, marquerait un échec politique. C'est pourquoi je ne pense pas que les éventuels revers électoraux entraîneront un changement à Matignon. Et d'ailleurs, pour remplacer Manuel Valls par qui? Un tournant à gauche me semble des plus improbables car il signerait un reniement suicidaire de la politique suivie avec le pacte de responsabilité. Il me semble que si le chef de l'Etat était tenté par un coup politique afin de sortir de l'impasse, ce serait beaucoup plus radical: une dissolution ou un référendum engageant sa responsabilité.

Alors que Michel Rocard et François Mitterrand, sur la période comprise entre 1988 et début 1991 ont bénéficié d’une cote de popularité élevée, celle de François Hollande qui n’a jamais été aussi basse dans l’histoire change-t-elle la donne dans le rapport de force entre le président et son Premier ministre ?

Jean Garrigues : Cela change la donne car la crédibilité et la légitimité de François Mitterrand lui permettraient cette distance vis-à-vis de Michel Rocard. Là c’est beaucoup plus fragile pour François Hollande. Il a beaucoup plus besoin de Manuel Valls que François Mitterrand n’avait besoin de Michel Rocard. François Mitterrand pouvait se permettre cette impopularité car il n’allait pas se représenter. Manuel Valls incarne une conversion des socialistes aux lois du marché et cela devient un courant majoritaire chez les socialistes. C’est dangereux pour François Hollande car non seulement il est de plus en plus impopulaire mais en plus les idées de Manuel Valls deviennent de plus en plus populaires.

Maxime Tandonnet : Une partie de leur conflit et le limogeage de Michel Rocard s'expliquaient sans doute de la cote de popularité élevée de ce dernier qui faisait ombrage au chef de l'Etat. Mais c'était un mauvais calcul de sa part. On note que 1991 est l'année où s'effondre la cote de popularité de François Mitterrand. En février, d'après la SOFRES, le chef de l'Etat bénéficiait d'une image favorable chez 61 % des Français. En décembre, il ne bénéficiait plus que de la confiance de 31 %! Entre-temps, au mois de mai, le chef de l'Etat avait renvoyé le populaire Michel Rocard de Matignon et l'avait remplacé par Edith Cresson qui multipliait les faux-pas.  Il est probable que le départ de Michel Rocard est pour une part dans la chute vertigineuse de la confiance en François Mitterrand.

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