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Tensions grandissantes entre l'Iran et l'Arabie saoudite : jusqu'où pourraient aller les jeunes gardes émergentes des deux pays ?
©Pixabay

Ceux qui n'avaient pas peur de l'escalade

Les deux puissances du Moyen-Orient sont désormais ouvertement en conflit diplomatique. Au point que l'Arabie Saoudite a annoncé la rupture des relations avec l'Iran et "le départ des membres de la représentation diplomatique iranienne."

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Les tensions entre Iraniens et Saoudiens ont été réactivées en ce début d'année 2016. Samedi 2 janvier, Riyad a procédé à l’exécution de 47 détenus parmi lesquels se trouvait l'emblématique cheikh chiite Al-Nimr, ce qui a provoqué un tollé parmi les communautés chiites de la région. Dans la soirée de samedi, l'ambassade du Royaume à Téhéran a d'ailleurs été attaqué par des manifestants. La classe politique saoudienne a vécu un profond rajeunissement cette année... Dans quelle mesure cette jeune garde est-elle plus véhémente que l'ancienne contre l'Iran ?

Alexandre Del Valle : La jeune garde que vous évoquez s'avère effectivement plus fougueuse. Cela s'explique notamment par le fait que le printemps arabe et ses conséquences ont exacerbé le conflit entre sunnites et chiite, voire l'ont fait naître là où il n'existait pas.  parmi la jeune garde, on doit bien sûr citer l’actuel "homme fort » d’Arabie saoudite, le prince Mohammad ben Salmane, fils du roi Salmane et ministre de la Défense, puis vice Prince héritier, qui est réputé agressif et qui a embarqué le royaume dans une guerre aux conséquences encore insoupçonnables au Yémen voisin contre les rebelles chiites houtistes et, indirectement contre l’axe chiite pro-iranien.

Auparavant, le roi Abdallah œuvrait beaucoup dans le sens de l'apaisement des tensions entre sunnites et chiites. Aujourd'hui, on voit bien que le roi Salman n'a pas pu enrayer toutes ces tensions, et il est à craindre que parmi la troisième génération des Saoud, dont le prince Mohammed Salmane, si certains s'avèrent paisibles et modérés, d'autres ont le sang beaucoup plus chaud. On ne peut pas exclure une aggravation des tensions. 

En 2003 les Américains renversent un pouvoir sunnite en Irak au bénéfice des chiites pro-iraniens, ce qui ne peut que susciter des remous chez les Saoudiens et les arabes sunnites en général. Deuxièmement le printemps arabe, et notamment sa dérive en guerre civile en Syrie, et ses effets géopolitiques ont amené les Saoudiens à vouloir remplacer le régime des Alaouites, assimilés au camp chiite, par des sunnites. Et comme les alaouites de Syrie et leur régime baathiste contrôlé par Bachar al Assad sont accusés de persécuter leurs minorités sunnites, l'Arabie saoudite soutient les groupes sunnites combattants susceptibles de prendre un jour le pouvoir en Syrie et de mettre fin au pouvoir alaouite. Dans ce contexte de « persécution des sunnites » en Syrie, on a pu effectivement voir croître une nouvelle haine anti-iranienne. D'autant que les Iraniens aident non seulement les Alaouites syriens et les Chiites d’Irak dans cette oppression contre les sunnites, mais aussi le Hezbollah au Liban et les rebelles chiites zaïdites-boutistes au Yémen.

Jadis, avant les révolutions arabes, pour séduire les sunnites, les chiites iranien s'étaient positionnés comme les défenseurs suprêmes de la cause palestinienne (cause arabe par excellence), ceci afin de faire oublier que les Iraniens étaient les ennemis traditionnels des Arabes et que le projet de bombe atomique de Téhéran et l’’extension de la révolution islamique chiite étaient tournés contre les principales puissances sunnites. Beaucoup de gens considéraient alors que l'Iran était le "grand ami des arabes », certains allant jusqu'à se convertir au chiisme par fascination du Hezbollah et de l’Iran champions de la lutte contre le diable israélien. Or ce pouvoir de séduction s’est énormément détérioré depuis 2003 et surtout les révolutions arabes. La fitna, la guerre totale entre chiites et sunnites, est presque partout réactivée.

Côté iranien, Ali Khamenei étant très malade, que dire de la position des jeunes générations au pouvoir à l'égard du royaume sunnite ? 

Le renouvellement de la classe politique iranienne répond à une dynamique similaire : Ali Khamenei est âgé et atteint d’un cancer, et deux possibilités doivent être envisagées. Soit nous verrons dans les prochaines années une relève gouvernante modérée, dans la lignée d'Hassan Rohani ; soit les successeurs seront ceux du guide ou d’autres encore plus durs que lui, notamment envers les sunnites: on peut citer l’ayatollah Mohammad Yazdi, l’ayatollah radical Ahmad Khatami, qui n’a rien à voir avec l’ancien président modéré Khatami, mais qui prononce le prêche du vendredi à la grande mosquée de Téhéran – ce qui le rend très médiatique, ou encore l’ayatollah Ahmad Jannati, ultra-radical, qui préside le Conseil des gardiens de la Constitution.

Quel est selon vous le potentiel d'escalade des tensions entre ces deux puissances ? Quelles formes ce conflit, pour le moment larvé, pourrait-il prendre ?

Contrairement à ce que l'on croit, ces tensions entre Arabie saoudite et Iran se concrétisent d'ores et déjà, et intensément : en Irak, depuis 2003, de façon très radicale avec des heurts et attentats terroristes anti-chiites journaliers puis des persécutions constantes des Sunnites par le pouvoir chiite pro-iranien ; en Syrie, où des milliers de conseillers et combattants iraniens épaulent le régime de Bachar face aux rebelles sunnites aux côtés des de volontaires chiites irakiens, libanais (Hezbollah) et mêmes afghans, face à Daech et aux autres milices sunnites djihadistes et islamistes. Au Yémen, aussi il y a une véritable guerre entre les deux les camps sunnites et chiites, à la fois locale et régionale. Au Liban, de même, la fitna chiites/sunnites s'opère au quotidien et pourrait être intensifiée.

L'augmentation de ces tensions pourrait être une accentuation des conflits par milices interposées, c'est-à-dire la continuité de ce qui existe mais avec un degré supplémentaire. Par exemple, l'Iran pourrait se venger en armant plus les milices chiites radicalisées, en intervenant davantage auprès des rebelles houthis au Yémen  ou en renforçant également leur présence combattante en Syrie. Et ils ne se gêneront pas pour utiliser le Hezbollah pour attaquer les forces sunnites au Liban. 

Du côté sunnite, on pourrait très bien voir l'Arabie saoudite combattre Daech dans certains endroits, notamment sur son territoire et à la frontière jordano-irakienne, tout en appuyant d’autres djihadistes ou même Daech en d'autres endroits là où le combat avec l'Iran ou les forces chiites est le plus primordial. Chacun pourrait donc radicaliser et activer des éléments extrémistes pour lutter contre l'autre.

Lutte contre l'Etat islamique, exacerbation des tensions communautaires... Quelles conséquences cette radicalisation pourrait-elle avoir ?

Il est clair que les Russes misent à fond sur leurs interlocuteurs chiites, même si Moscou n’a jamais cessé de dialoguer avec les Saoudiens et est même très proche de l’Egypte depuis 2013. L'Iran pourrait se rapprocher encore plus de l'OCS, rivale de l'Otan créée par le tandem russo-chinois, ce qui a par ailleurs déjà commencé. L'Iran pourrait aussi être tenté de s'inscrire dans une stratégie de radicalisation, en se rapprochant de la Corée du Nord pour développer un programme nucléaire secret, surtout s'ils voient un front sunnite s'organiser et durer. Car le vrai but de la bombe atomique iranienne était de faire contrepoids aux sunnites plus que contre Israël. Ce scénario est peu probable, car le régime des Mollahs a accepté des accords de renonciation au nucléaire militaire, mais on ne peut l’exclure surtout dans un contexte non improbable de radicalisation extrême entre les axes chiites et sunnites. 

Dans ce cadre de radicalisation, et si c ‘est la tendance la plus anti-occidentale et la plus extrémiste qui prend la succession de Khamenei après la mort de ce dernier, on pourrait assister à un retour du programme nucléaire iranien de manière secrète donc, puis une déstabilisation plus intense des pays sunnites où vivent d’importantes minorités chiites : dans certaines régions en Arabie Saoudite, à Bahreïn, au Qatar, au Koweït, pour tenter d’en faire des Yémen bis. Certes, l'Iran n'est aujourd'hui pas aussi déraisonnable, mais elle pourrait avoir l'intention de faire valoir des revendications territoriales et actionner des minorités rebelles radicales si la fitna chiites/sunnites atteint un point de non-retour. Il n’en demeure pas moins que dans l’état actuel des choses, personne n'a intérêt à pareille radicalisation extrême. Enfin, selon que la guerre Iran/Saoud et Chiites/sunnites s’intensifie ou diminue, la négociation sur la Syrie actuellement en cours en subira les conséquences, car l'Iran demeure un élément indispensable dans toute négociation au sujet de la sortie de crise en Syrie et pour lutter contre l'Etat islamique. Téhéran pourrait faire preuve de bonne ou de mauvaise volonté selon que l’Arabie saoudite et sa coalition de puissances sunnites ait de la retenue ou pas face à l’axe chiite qui est autant visé sinon plus que Daech.

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