Temps de parole à la télévision : quel impact électoral réel à l’heure des réseaux sociaux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les candidats à l'élection présidentielle de 2017 - Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, Jean Lassalle, Nathalie Arthaud, Marine Le Pen, Benoît Hamon et Emmanuel Macron - avant un débat télévisé.
Les candidats à l'élection présidentielle de 2017 - Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, Jean Lassalle, Nathalie Arthaud, Marine Le Pen, Benoît Hamon et Emmanuel Macron - avant un débat télévisé.
©LIONEL BONAVENTURE / PISCINE / AFP

CSA

Alors que le CSA a décidé, qu’à partir de ce jeudi, le temps de parole d’Éric Zemmour devait être décompté, que sait-on réellement de l’impact de la télévision sur les comportements électoraux à l’heure des réseaux sociaux ?

Thierry Vedel

Thierry Vedel

Thierry Vedel est chercheur CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po). Il enseigne la communication politique à HEP de Paris et à l'Institut français de presse (université Paris-ll).

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Atlantico : Le CSA a décidé qu’à partir de ce jeudi, le temps de parole d’Éric Zemmour devait être décompté. Que pensez-vous de cette décision ?

Thierry Vedel : Le CSA est chargé de veiller au pluralisme politique dans les médias audiovisuels (télévision et radio) qu’ils soient publics ou privés. En revanche, la presse écrite et l’internet échappent à son contrôle. Selon l’article 13 de la loi de 1986 sur la liberté de communication, les médias audiovisuels sont tenus de comptabiliser le temps d’intervention qu’ils accordent aux « personnalités politiques » (le terme a ici une grande importance dans la polémique autour des interventions d’Eric Zemmour). Depuis les règles adoptées fin 2017, 1/3 doit être réservé au Président de la République et au gouvernement, les 2/3 restant sont attribués aux partis et groupements politiques » selon un principe dit d’équité. En gros, le temps d’intervention accordé aux représentants d’un parti doit être proportionnel à son importance (telle que mesurée par les résultats des élections, le nombre d’élus, les indications des sondages ou son activité militante). S’agissant d’Eric Zemmour, toute la question est de savoir si on peut le considérer comme une personnalité politique qui incarne une force politique ou s’il est un journaliste ou chroniqueur politique. Dans sa récente décision, le CSA a estimé qu’il n’est plus seulement un observateur ou commentateur de la vie politique mais qu’il en est devenu un acteur.  De fait, même si le CSA ne les mentionne pas explicitement, un certain nombre de signes indiquent qu’Eric Zemmour pourrait s’engager dans la campagne électorale pour la présidentielle : ses déclarations (notamment sur la nécessité de passer à l’action), ses participations à des manifestations politiques , la création d’une association des amis d’Eric Zemmour qui a fait une campagne d’affichages, s’est faite agréer par à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et semble avoir commencé à collecter de potentiels parrainages.

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Si les médias audiovisuels appliquent la décision du CSA, cela va avoir des effets mécaniques sur les temps d’intervention d’autres personnalités ou forces politiques, principalement ceux appartenant aux courants voisins d’Eric Zemmour.  Pour CNews est confrontée à un difficile problème : si  la chaîne conserve les émissions d’Eric Zemmour elle devrait normalement attribuer davantage de temps d’interventions à des personnalités d’autres courants politiques.

Plus fondamentalement, cette polémique pose la question de savoir comment on peut assurer le pluralisme politique dans les médias audiovisuels. Une première approche consiste à faire confiance au travail des journalistes et à laisser les médias audiovisuels libres de leurs choix éditoriaux, comme c’est le cas pour la presse écrite.  Mais dans ce cas, on les accuserait probablement d’avoir une couverture biaisée de la vie politique, voire de manipuler l’opinion, en ne rendant pas compte de la diversité des courants politiques. On pourrait également voir apparaître des chaînes ouvertement engagées comme c’est le cas aux Etats-Unis avec Fox news.

Notre pays  a choisi une approche quantitative. Mais celle-ci soulève des difficultés pratiques d’application : déterminer qui représente quoi, tenir une comptabilité d’apothicaire, etc.. Elle a également des effets pervers : certains médias peuvent préférer réduire leur couverture de la vie politique compte tenu des difficultés à respecter la proportionnalité des temps de parole.  Les médias se plaignent particulièrement de la période de campagne électorale officielle (les quinze derniers jours avant l’élection) durant laquelle ils doivent respecter une égalité de temps d’antenne entre tous les  candidats, y compris les candidats marginaux.   

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Les critiques d’une réglementation quantitative du pluralisme politique soulignent également que celle-ci est anachronique à l’heure d’internet et des réseaux sociaux qui offrent une multitude de sources d’information alternatives.  C’est cependant oublier que les médias audiovisuels ont un rôle particulier en raison de leurs audiences considérables et de leur caractère « intrusif » : ils entrent dans nos foyers et  nous apportent des informations que nous n’avons pas forcément demandées alors que nous l’internet nous recherchons l’information.

Que sait-on actuellement de l’impact de la télévision sur les comportements électoraux à l’heure des réseaux sociaux ?

C’est une question que les sociologues se posent pratiquement depuis la naissance de la télévision. On a toujours attribué à la télévision un fort impact sur les élections mais les nombreux travaux scientifiques sur le sujet aboutissent à des conclusions très contrastées.  Cela tient pour une part à des difficultés méthodologiques : nos attitudes et comportements sont conditionnés par une multitude de facteurs (notre éducation, notre entourage, nos expériences personnelles, etc.) et il est difficile d’isoler l’influence d’un média en particulier. Les effets politiques des médias ne sont ni universels, ni uniformes. Ils dépendent beaucoup du rapport au politique et surtout des pratiques informationnelles. Une part de la population se désintéresse de la politique et ne suit que distraitement l’actualité politique. Par contraste, ceux qui s’intéressent à la politique ont souvent des opinions très structurées et sont assez peu influençables. On observe par ailleurs  un phénomène d’exposition et d’interprétation sélectives. Nous choisissons nos sources d’information et nous évaluons ce que nous recevons des médias en fonction de nos opinions politiques préalables.  En d’autres termes, nous ne croyons pas ce que nous voyons ; nous avons plutôt tendance à ne voir que ce que nous croyons déjà.

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En général, les médias ne modifient pas nos attitudes politiques sur le court terme. Cela ne signifie pas que les médias n’ont aucune influence politique comme on peut l’observer à la suite des débats télévisés entre les deux tours de l’élection présidentielle. Ceux-ci ne conduisent pas les électeurs à changer radicalement leur orientations politiques.  Néanmoins ils peuvent  inciter certains électeurs à s’abstenir ou au contraire à aller voter alors qu’ils n’avaient pas l’intention. Ainsi lors du débat télévisé de l’entre-deux tours de 2017 , 3% des téléspectateurs qui avaient initialement l’intention de voter Marine Le Pen se sont abstenus, et 4% des téléspectateurs qui voulaient initialement s’abstenir ont finalement décidé d’aller voter pour Emmanuel Macron.

Que représente encore la télévision en termes d’audience et d’influence par rapport aux réseaux sociaux ?

La télévision reste la principale source d’information politique des électeurs. De plus, elle sert de tribune principale à la campagne que ce soit directement (débats et émissions politiques consacrées à l’élection) ou indirectement (à travers la retransmission de meetings ou de conférences de presse). Enfin, c’est la télévision qui définit l’agenda politique, c’est-à-dire les grandes questions. Mais ce rôle décline régulièrement du fait du développement de l’internet. Lors de l’élection présidentielle de 2007, 56% des électeurs déclaraient que c’était leur première source d’information politique, mais seulement 44% en 2017. Par contraste, la part de l’internet comme source d’information politique principale est passée de 6% en 2007 à 31% en 2017.  

Toutefois, les pratiques informationnelles en matière politique sur l’internet et les réseaux sociaux sont particulières. Parmi les quelques 70% d’internautes qui ont un compte ou profil sur des réseaux sociaux, seulement 31% lisent ou postent des messages liés à l’actualité politique.  Et ceux-là sont sensiblement plus politisés, voire militants, que le reste de la population. D’autre part, les internautes tendent à se tourner principalement vers des sites qui correspondent à leurs opinions politiques préexistantes. Ceci est renforcé par les algorithmes des grandes plateformes comme Facebook  ou des moteurs de recherche. Ceux-ci créent ce qu’on appellent des bulles de filtre, en vous proposant prioritairement des informations liées à votre historique de recherche  ou les posts de vos amis. Sauf à être proactif, on reste enfermé dans le même univers informationnel sans s’exposer à des points de vue contraire.

Les chiffres cités sont issus de ces deux références.

Vedel Thierry et Cheurfa Madanai, « Liker, twiter, voter », in Cautrès B. et Muxel A. (dir.), Histoire d'une révolution électorale (2015-2018), Paris : Classiques Garnier, 2019 pp. 59-74.

Vedel Thierry, « La télévision, un vieux média qui ne meurt pas », in Perrineau Pascal (dir.), Le vote disruptif. Paris, Presses de Sciences Po, 2017. p. 101-114.

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