Mise à l'écart des Ménard, Guillon, Zemmour, Pulvar... Fin de la provoc' à la télévision ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Audrey Pulvar, Eric Zemmour, Stéphane Guillon et maintenant Robert Ménard... Sale temps pour les grandes gueules du petit écran ?
Audrey Pulvar, Eric Zemmour, Stéphane Guillon et maintenant Robert Ménard... Sale temps pour les grandes gueules du petit écran ?
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Bye-bye

La chaîne d'information iTélé a annoncé jeudi l'éviction de Robert Ménard de sa grille. Avant lui, Audrey Pulvar, Eric Zemmour et Stéphane Guillon ont subi le même sort. Tous connus pour leur franc-parler, les voilà désormais relégués au second plan, victimes peut-être de leur franchise, mais aussi de l'épuration du petit écran.

François Jost

François Jost

François Jost est professeur à l’université Paris III où il dirige le Centre d'Etudes sur l'Image et le Son Médiatiques (CEISME). Il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle.

Il est l’auteur, entre autres, de L’Empire du Loft, la suite  (La Dispute, 2007), De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions, 2011), Les Nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal (Bayard 2015), Breaking Bad. Le diable est dans les détails (Atlande 2016).

Il dirige également la collection A suivre sur les séries aux éditions Atlande.
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 Atlantico : Audrey Pulvar, Eric Zemmour, Stéphane Guillon et maintenant Robert Ménard... Sale temps pour les grandes gueules du petit écran ?

François Jost : Il me semble quand même important de dire que nous sommes devant quatre cas très différents. Stéphane Guillon est parti car ses propos ont choqué à plusieurs reprises son patron. Audrey Pulvar a dû s'en aller pour des raisons politiques, du fait que son compagnon soit ministre. Et d'un point de vue éthique, cela me paraît normal. La proximité entre quelqu'un du gouvernement et quelqu'un qui interviewe des hommes politiques est une position tout à fait critiquable. Zemmour, lui, est un vrai provocateur, mais avec des relents très racistes dans ses propos. Il peut heurter une grande partie du public. Ménard est un peu dans le même cas, avec son livre sur Jean-Marie Le Pen et sa connivence avec l'extrême droite qui n'est pas de bon ton. Vraiment, ce sont des cas de figures différents. A part Guillon qui se croit provocateur et qui a très peu de pensée politique, les autres ont dû partir à cause de leur connivence politique.

Mais malgré tout, dérangent-ils vraiment le pouvoir ou le public ?

Non je crois pas du tout que ce soit le cas. Là encore cela dépend de qui nous parlons. La pensée politique de Zemmour et Ménard peut déranger un certain nombre de personnes car elle ressemble à un discours qui peut choquer fortement. Par ailleurs, il faut le dire, il y a des périodes dans la télévision et ce média suit de très près les évolutions de la société. Au début de l'ère Mitterrand, on avait l'émission Droit de réponses, avec beaucoup de heurts, de provocations et d'engueulades et d'un coup, avec la cohabitation, on est tombé dans des images trop polies et on vivait dans une période où il était très mauvais de s'engueuler. La télévision suit ce qu'il se passe en politique.

Maintenant, il y a une concomitance à la télévision. Il faut qu'elle rassure. En plus, on a un président « gentil » qui, comme on sait, a plutôt essayé de ne pas répondre aux polémiques. Je sens que dans l'ensemble de la télé il y a moins de "foutage de gueule", moins de méchanceté. J'ai fait une étude sur le jeu de Nagui Que le meilleur gagne : il y a quinze ans, quand il animait cette émission, il se la jouait instituteur sévère qui se fichait des élèves mais maintenant, il est devenu gentil, un vrai plaisantin qui rit avec les candidats... On sent qu'il y a une lassitude de la pure méchanceté et d'une certaine façon, des gens comme Ménard et Zemmour étaient des "méchants", si on peut dire.

Peut-on parler d'un retour du politiquement correct ?

On ne peut pas dire ça. C'est vrai qu’on sort de l’ère Sarkozy, où on lui a reproché son arrogance, son agressivité, etc. Avec Hollande, on a vu le besoin d’arrêter de boire de cette arrogance. Je ne sais pas si ça va jusqu'au politiquement correct. C'est juste la manière qui change. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de débats mais juste que l'agressivité gratuite a perdu de son attrait. Aujourd'hui, c'est vrai, il y a des choses qu'on ne peut plus dire par rapport à avant : on ne peut pas blesser telle ou telle minorité, les plaisanteries sur le handicap, il faut s’en méfier, idem sur la religion. C'est dangereux à l'heure actuelle. Il ne faut pas trop blaguer avec l'argent et la misère…De nos jours, un clone de Coluche ne peut pas réussir !

Que vous inspire ce constat ?

Deux choses différentes :  les gens ont compris qu’au fond ils regardaient la télévision pour des pulsions qui n'illustrent pas ce qu’il y a de plus beau en eux. Toutes ces émissions où on se fout des gens, où on les ridiculise, ils en ont assez. Cette idée a été un peu dure à admettre. Ce n'est pas facile de se regarder en face et dire : « oui je regarde ça car j'aime que d’autres que moi soient tournés en ridicule ». Il y a une vraie prise de conscience et donc un besoin de moins de cynisme…Par ailleurs, je pense que l’humour a tous les droit et il ne faudrait pas qu’on ne puisse plus plaisanter… Je dis juste que Guillon confond la provocation et l'humour : s’il a été viré, c'est qu'il a tenu des propos très peu drôle. Payé 40.000 euros par mois sur Canal Plus pour dire que Mimie Mathy est petite et que DSK est un coureur... L'humour même corrosif n'est pas interdit mais il faut que ça soit drôle.

Qui sont les nouvelles grandes gueules de la télévision ?

Je n'en trouve pas. Aujourd'hui, on a l'impression qu'on peut fabriquer une chronique humoristique facilement. A la première blague de cul, on ramène DSK : quelle pauvreté d’imagination ! Ceux qui savent sortir de ça en allant a contre-courant, ce serait eux les nouveaux provocateurs et je n'en vois pas tellement. Enfin si, il y a Mélenchon. En fait, les vrais provocateurs de la télévisions ce sont les politiques. Souvenez-vous de George Marchais ! La provoc' n’est pas morte, loin de là, puisque la politique est là maisàpart ça, les diffuseurs craignent juste de choquer le public et l'évitent pour de simples raisons de marketing.

Propos recueillis par Valérie Meret

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