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Téléthon ou Sidaction : les causes médiatiques sont-elles vraiment les enjeux de santé publique ayant le plus besoin de fonds ?
©Gonzalo Fuentes / Reuters

Opération générosité

Depuis 1987, le rendez-vous télévisuel annuel du Téléthon donne à la cause de la myopathie une visibilité extraordinaire et attire à elle des dizaines de milliers d'euros de dons. Un succès qui fait grincer des dents certains qui jugent que celui-ci occulte d'autres grandes causes de santé publique.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Ce week-end se déroule comme depuis plusieurs années le téléthon dont l'objectif est de récolter des fonds pour la recherche contre les myopathies et les maladies rares et ainsi aider les malades. Chaque année cette opération rapporte plusieurs dizaines de millions d'euros (plus de 80 millions en 2012). Le téléthon comme le sidaction sont des événements très médiatisés mais ne laissent-ils pas dans l'ombre d'autres questions de santé publique ? Lesquelles ?

Antoine Flahault : Ces modes de financement qui font appel à la générosité publique ne doivent pas être considérés comme des gâteaux que l’on se partage. Lorsque vous prenez une part de tarte plus grande que les autres, les autres, de facto sont lésés. La générosité publique n’a virtuellement pas de limite, mais il faut retrousser ses manches pour y accéder. Certains ont des talents exceptionnels qui permettent aux recherches dans les domaines correspondants de progresser plus rapidement qu’elles ne l’auraient fait sans ces dons, mais en rien (ou presque) ces dons n’obèrent les financements reçus pour les autres causes. Je dis « ou presque » par ce que s'ils avaient un impact sur les autres parts du gâteau, ce serait plutôt dans l’autre sens. Ainsi, j’ai déjà entendu des commentaires dans les jurys d’attribution de financement de projets de recherche du genre : « cette équipe reçoit déjà beaucoup d’argent de sidaction, redistribuons nos fonds à d’autres équipes cherchant dans d’autres domaines moins financés », ou « cette équipe aurait pu solliciter les fonds de sidaction, pourquoi s’adressent-ils à nous ? ». Des sommes parfois très élevées sont récoltées pour certaines causes, parce que le public est généreux, y compris en période de crise, y compris dans des pays comme le nôtre où la ponction publique des taxes et des impôts est particulièrement élevée, y compris dans des pays en développement. Il est certain que cela crée des jalousies, notamment auprès des chercheurs des domaines moins financés. Ce qu’il faut juste souhaiter, c’est que ces jalousies soient stimulantes, et qu’elles conduisent de nouveaux talents à communiquer vers le grand public pour des causes moins servies et qui en ont aussi grand besoin.

Comment expliquer que certaines causes bénéficient de davantage d'attention que d'autres ? Le public est-il plus sensible à certaines causes ou sont-elles plus facilement "médiatisables" que d'autres ?

Le public a bien sûr ses propres rationalités. Ce ne sont pas tant les chiffres qui nous émeuvent que les récits si possible authentiques. Les catastrophes naturelles parviennent à susciter des élans de générosité insoupçonnés, et difficiles à expliquer ou à prédire. Il y a donc une alchimie qui se crée de la rencontre entre des chercheurs, des médecins (le plus souvent) et dans un premier temps les responsables de chaînes de télévision et de radio, des grands médias nationaux qu’il faut savoir convaincre, puis vers le grand public. Cette médiatisation très poussée de certaines causes ne va pas de soi de la part des chercheurs ou des médecins. Certains ont un caractère plutôt réservé, timide et beaucoup sont peu désireux de s’exposer sur les plateaux de TV. D’autres au contraire ont de vrais talents de communication et savent les exploiter pour « leur » cause en la transformant en « notre » cause à tous. C’est donc davantage autour de cette intuition (de la rencontre d’une équipe de médecins et chercheurs avec le public) que sur des critères très précis, même si des études plus systématiques (que je ne connais pas) ont peut-être proposé des éléments plus quantifiables que ceux que je vous énonce. Je ne crois pas par exemple que l’on sache expliquer ce qui fait le succès d’un nouveau livre, ou d’un nouveau spectacle auprès du public. Il me semble que pour une grande cause, on est un peu dans une logique similaire. Il faut un scénario, il faut des acteurs, il faut une production. Mais en bout de chaîne, il faut un public qui « achète » le ticket (ou la cause).

(Cliquer sur le graphique pour agrandir)

Quel est l'ordre de grandeur des fonds récoltés pour chacune de ces grandes causes de santé ?

Je ne sais pas bien vous répondre, ils sont éminemment variables, je ne souhaite pas vous donner des indications imprécises ici ; ces chiffres sont publics et même délivrés en temps-réel au moment des opérations. Il y a de nouveaux moyens de financement dont nous ne parlerons pas ici, sauf pour les citer, que l’on appelle en anglais « crowdsourcing » que l’on rencontre en particulier sur Internet, et qui permettent à certains chercheurs d’appeler des fonds de la part d’autres internautes pour financer leur propre projet. Ces modalités obéissent à d’autres logiques et d’autres éthiques (le chercheur s’engage souvent à mener une recherche ouverte, transparente, collaborative par exemple), et ces modalités plus adaptées à des chercheurs plus « timides », sans grande exposition médiatique, permet souvent de recueillir des financements substantiels pour la recherche. Il est possible que ce soit une voie d’avenir dans le domaine de l’appel à la générosité publique, notamment auprès des générations plus jeunes.

Myopathies, cancers, Alzheimer : combien ces grandes causes touchent-elles de malades dans notre pays ?

Myopathies (et maladies orphelines) :

Il y a entre 3 et 4 millions de personnes atteinte de maladies orphelines (toutes confondues) en France (définies comme maladies dont la prévalence est inférieure à 50 cas pour 100 000 habitants). Le site Orphanet qui publie un document sur la prévalence des maladies rares en France, par ordre décroissant.

Il y a plus de 3000 maladies orphelines recensées en France. Il m’est difficile de répondre à la question sur la prévalence de la myopathie, car c’est un ensemble de maladies distinctes et qu’il faudrait faire la somme de toutes ces entités nosologiques, somme que je n’ai pas à portée de main (je ne l’ai pas trouvé sur le site de l’AFM en particulier). La mucoviscidose apparaît assez bas dans la liste, avec 12,6 cas pour 100 000 alors qu’Orphanet précise : «La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies génétiques dès l'âge pédiatrique dans les populations occidentales. »

Cancers :

: Institut national du cancer

A partir du tableau ci-dessus issu du site de l’Inca, vous constaterez que la première cause de mortalité par cancer est la localisation pulmonaire, alors que la prostate est la première cause de cancers (incidence).

Alzheimer :

Selon la Fondation Alzheimer : «En France en 2010 le nombre de cas de démence est, évalué entre 750 000 et 850 000 cas selon les études,, soit plus de 1,2% de la population totale. D’ici 2050 ce chiffre devrait être multiplié par 2,4 soit plus de 1 800 000 cas, représentant près de 3% de la population. » 

Quel est le rôle des associations et des pouvoirs publics dans "la consécration" de certaines causes ?

Après avoir fortement insisté sur le rôle des médecins et des chercheurs, il convient de pointer celui des associations. Leur rôle est en effet crucial. , mais il y a des associations d’utilisateurs de la cigarette électronique qui s’organisent en France et en Europe, ces mouvements sont actifs, parfois activistes, à l’instar de ce que furent des associations de patients comme Act-Up dès les débuts de la pandémie du sida. On peut dire aujourd’hui, avec le recul que l’on a sur l’histoire du sida (qui a commencé dès le milieu des années 1980), que sans les associations de patients, jamais la recherche n’aurait avancé aussi rapidement pour prévenir et traiter la maladie, et pour rendre l’accès aux traitements disponibles à tous de par le monde. Jamais de tels fonds auraient été mobilisés de toute part : de la générosité publique, mais aussi des financements publics nationaux, internationaux, et des grandes fondations souvent soutenues par des milliardaires ou des grandes compagnies multinationales. On peut dire que sans les associations, il n’y a pas de possibilité de consacrer une « grande cause nationale ».

Quelles sont les grandes causes de santé publique en France qui ne sont pas - ou presque pas - représentées ?

Il s'agit là de la grande question ! Mais je la comprends mal. Que veut dire « être représentée » pour une grande cause de santé publique ? Les principales causes de mortalité ou de morbidité font l’objet de plan (cancer, Alzheimer, obésité), ou sont déclarées causes nationales. Elles ne font pas l’objet pour la plupart d’appel à la générosité publique comme le téléthon ou le sidaction (à part pour le cancer). Les causes peut-être les plus délaissées et qui devraient être davantage considérées comme des priorités sont les maladies liées à l’alcool, au tabac, les maladies mentales. Il me semble aussi que l’ostéoporose est une maladie qui défraie peu la chronique, elle est pourtant, en raison du vieillissement de la population une grande cause de handicap, de fractures, et de mortalité.

Cette question fait écho à la précédente. On a toute les difficultés à mobiliser le public autour des maladies mentales par exemple. Alors que la France est très mal classée en Europe en termes de mortalité par suicide, il n’y a pas d’associations de dépressifs très influentes sur le territoire. Si des groupes qui militent contre la stigmatisation des maladies mentales commence à s’organiser, on est encore loin du téléthon ou de sidaction. L’explication n’est pas que la cause serait plus « triste » que les autres, il n’y a aucune corrélation avec la sévérité, ni même la fréquence des grandes causes dont on vient de parler. Les maladies rares « parviennent » même à faire entendre leur voix plus largement auprès du public. Mais les maladies mentales ne « font pas recettes » auprès du public, l’alchimie n’a pas eu lieu et la recherche progresse peut-être plus lentement de ce fait. Il y a aussi d’autres grandes causes de santé publique, comme les infections acquises à l’hôpital. Mais vous n’imaginez pas les médecins des hôpitaux faire la quête à la sortie de leurs établissements pour aider à lutter contre les infections qu’on y acquiert ! Donc probablement, si l’on recherchait des critères, certaines causes se prêteraient-elles moins bien que d’autres à l’appel à la générosité publique. Il en va de même pour de nombreuses maladies qui voient leur origine dans des comportements que l’on sait néfastes pour la santé, comme l’alcoolisme, j’ai déjà parlé du tabagisme, ou l’obésité. Peut-être le public se dit-il à leur propos, et à tort à mon sens, que la solution n’est pas dans le financement de davantage de recherche mais plutôt dans le changement de leurs comportements (ou de ceux de leurs voisins). Cependant, le sida qui pouvait apparaître comme une maladie liée à des comportements à risque (rapports non protégés, toxicomanie intraveineuse) a fait largement exception à la règle (qui n’en est donc pas une).

En fin de compte, le public n’est probablement pas si moraliste qu’on peut le croire, ni totalement irrationnel, mais il est certainement sensible à des discours honnêtes et vrais, à des histoires personnelles, à des drames en particulier, que vivent certains personnes particulièrement vulnérables de notre société. Le public est certainement beaucoup moins réactif aux flots de statistiques « nues » (sans récits), furent-elles catastrophistes, voire de grande précision.

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