Tarifications des mutuelles et des complémentaires santé : le racket permanent ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des gélules de médicaments et une carte vitale. Daniel Rosenweg a publié « Le Livre (très) noir des mutuelles » aux éditions Albin Michel.
Des gélules de médicaments et une carte vitale. Daniel Rosenweg a publié « Le Livre (très) noir des mutuelles » aux éditions Albin Michel.
©Philippe HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Daniel Rosenweg publie « Le Livre (très) noir des mutuelles » aux éditions Albin Michel. La pandémie a fait économiser 2,2 milliards d'euros aux mutuelles de santé. Pourtant, elles ont augmenté les cotisations. 45% de hausse des tarifs en dix ans et aucun avantage pour les patients. Extrait 2/2.

Daniel Rosenweg

Daniel Rosenweg

Daniel Rosenweg est grand reporter, spécialiste de l'économie de la santé, au Parisien-Aujourd'hui en France.

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Tous ces tarifs élevés, ces augmentations fortes et incessantes, toutes imposées et souvent impossible à refuser, sont-ils vraiment justifiés, comme le clament les fédérations de complémentaires santé ? Pour le savoir, jetons un œil sur les quinze dernières années. Entre 2006 et 2022, la facture de la complémentaire santé des Français s’est envolée de 72,5 %, si l’on extrapole le taux de 3,7 % avancé par la Mutualité française – juge et partie – et même de 85,4 % si l’on préfère retenir la moyenne de 4,2 % avancée par la très sérieuse Drees. Pendant ce temps, selon l’Insee, l’inflation s’est limitée à 16,6 %. La justification de la hausse ne se trouve donc pas de ce côté-là. L’évolution des tarifs est également déconnectée de la progression du revenu des ménages. Car sur la période considérée, le salarié au SMIC, lui, ne constatait sur sa fiche de paie que 22,7 % de pouvoir d’achat supplémentaire.

Le coût de la santé aurait-il flambé à ce point durant ces années ? Pour le savoir, prenons l’exemple de la Caisse nationale d’assurance maladie, qui couvre 95 % des Français et rembourse en moyenne 79,7 % de leurs dépenses de santé. Le budget de la CNAM est appelé dans le jargon législatif « Ondam » (Objectif national des dépenses d’assurance maladie), il est sous contrôle et voté chaque année par le Parlement. En 2006, cet Ondam s’est élevé à 141,8 milliards d’euros. En 2020, si l’on met à part les dépenses exceptionnelles liées à la pandémie, l’assurance maladie a déboursé pour notre santé 205,3 milliards d’euros. Les dépenses de l’assurance maladie ont donc progressé de 44,8 % en 15 ans. Augmentation forte et incontestable, à l’image de l’évolution des coûts et des besoins. Mais hausse bien inférieure à celle de nos amies les mutuelles. Même si on leur enlève les hausses liées aux taxes nouvelles, le compte n’y est pas.

Cette différence est d’autant plus surprenante que, sur cette période, le vieillissement continu de la population a fait gonfler les effectifs de patients souffrant d’affections longue durée, de maladies chroniques, coûteuses en soins et que l’assurance maladie prend seule en charge, à 100 %. Que dire aussi de l’explosion du prix des médicaments innovants, souvent destinés à ces patients en ALD, comme les anticancéreux, les anti-hépatite C… Des traitements facturés pour certains 20 000 et même 40 000 euros par an et par patient et qu’assume seule l’assurance maladie. Ça n’est donc pas une explosion des coûts de la santé qui justifie l’envolée des coûts des mutuelles. Au contraire : « Chaque année, l’assurance maladie intègre environ 250 000 nouveaux patients (en net des décès) dans le financement à 100 % des ALD, qui sont autant de dépenses en moins à rembourser par les OCAM », relève l’économiste, professeur et président de l’Institut Santé Frédéric Bizard dans son livre Complémentaires santé. Le scandale (Dunod, 2016). « L’économie est estimée à plus de 500 millions d’euros par an par les pouvoirs publics », ajoute-t-il.

L’envolée des tarifs n’est pas non plus liée à une augmentation de la part des dépenses de santé prise en charge par les mutuelles puisque cette part est stable depuis 2010. Sans compter les importantes économies réalisées grâce aux réseaux de soins qui ont permis aux mutuelles, assure la fondation Concorde, de faire baisser les prix, parfois « jusqu’à 60 % » sur certaines dépenses. Avec de telles baisses, on se demande bien quelle qualité de service on va trouver…

Pas l’inflation, pas le coût de la santé, pas vraiment le vieillissement de la population ni l’innovation… Mais qu’est-ce qui fait grimper les cotisations, alors ?

Des frais de gestion effrayants

Nous y voilà donc. Dernière piste d’investigations : les charges de fonctionnement. Ces « frais de gestion », nous dit l’ACPR, autorité régulatrice du secteur, « recouvrent l’ensemble des sommes engagées pour concevoir les contrats, les commercialiser (dont le réseau commercial, le marketing, les commissions aux intermédiaires), les souscrire (dont l’encaissement des cotisations, la gestion des résiliations, le suivi comptable et juridique) et les gérer (dont le remboursement, la gestion du tiers payant, l’information client, l’assistance, les services, les prestations complémentaires) ».

211 euros captés sur 1 000 euros cotisés (HT)

Ces charges, rappelons-le ici pour éviter toute méprise, ne prennent en compte ni les remboursements ni les prises en charge des soins et actes des assurés qui se rangent dans la catégorie « Prestations ». Elles correspondent, pour faire simple, à la différence entre ce qui est collecté par la mutuelle et ce qu’elle a versé comme prestation à ses assurés.

En France, le taux de ces « frais de gestion » s’est stabilisé depuis 2010 autour de 20 % du montant hors taxe des cotisations perçues – 21,1 % en 2019 – nous disent les études régulières du ministère de la Santé ainsi que les rapports de la Cour des comptes, qui les juge d’autant plus excessifs que ce taux moyen ne s’améliore pas et qu’il masque des écarts impressionnants. Le taux est stable donc. Mais pas le volume. L’enveloppe des cotisations n’ayant cessé d’augmenter, le montant des dépenses de fonctionnement, lui, a carrément dérapé. Ainsi, de 2008 à 2017, soit en dix ans, ces ponctions imposées aux cotisations sont passées de 5 à 7,3 milliards d’euros, selon l’Autorité de contrôle prudentiel. 46 % de hausse en dix ans !

En neuf ans, les complémentaires santé ont ainsi dépensé 12,2 milliards d’euros de plus. 12,2 milliards ! Non pas pour améliorer la santé des assurés, qui n’en ont pas vu la couleur, mais pour financer des dépenses parfois surprenantes, souvent contestables.

Ces montants sont-ils légitimes ? Beaucoup sont tentés de le faire, mais comparer les taux de frais de gestion des mutuelles (21 %) à ceux des régimes obligatoires (principalement la Caisse nationale d’assurance maladie, la Mutualité sociale agricole et l’ex-RSI) qui tournent autour de 4,5 % n’est pas pertinent. Ça ne l’est pas car ces deux familles d’acteurs ne font pas le travail de la même façon. Par exemple, l’Assurance maladie obligatoire s’appuie sur les Urssaf pour collecter les cotisations alors que les mutuelles s’en chargent elles-mêmes.

En revanche, comparer sur la même période 2008-2017, l’évolution des enveloppes consacrées aux frais de gestion a du sens. Côté Sécurité sociale, cette dépense est passée en dix ans de 7,4 milliards d’euros à 7,7 milliards, soit 4 % de hausse. C’est onze fois moins que les mutuelles, alors que toutes sont confrontées au même environnement, aux mêmes changements techniques et aux mêmes évolutions des comportements.

Jusqu’à 40 % de frais et taxe sur les contrats individuels !

Pour déterminer le montant de ces frais de gestion, les services du ministère font un calcul mathématique simple, une soustraction : cotisations hors taxe encaissées moins prestations versées aux assurés. Il ressort de cette opération, d’un côté un « taux de redistribution », de l’autre un « taux de frais de gestion ».

Selon le rapport annuel de la direction des statistiques du ministère de la Santé, le taux moyen de redistribution par les complémentaires s’est établi en 2019 à 78,9 %. Les frais de gestion des mutuelles s’établissant à 21,1 %. Mais dans son étude, la Drees fait un distinguo édifiant entre les frais des contrats collectifs et individuels. Si le taux de ces charges est de 13 % sur les contrats collectifs d’entreprise, plus faciles à gérer, dit-on, il est en revanche de… 28 % sur les contrats individuels ! Ce qui signifie pour ces assurés isolés que sur 100 euros cotisés leur mutuelle en a captés 28, juste pour gérer leur contrat. Une telle différence n’a pas de logique.

Si l’on se place maintenant du point de vue de l’assuré, de ce qu’il paie, le résultat est bien pire. L’assuré, en effet, s’acquitte de la taxe sur les contrats, soit 13,27 % que la mutuelle va aussitôt reverser à l’État. Sur 1 000 euros TTC de cotisation annuelle, par exemple, la mutuelle ne conserve donc pour son activité que 867,30 euros. Ses frais de gestion de 20 % soustraits, l’assuré ne percevra donc plus en retour que 693,84 euros sous forme de prises en charge ou remboursements. Pour l’assuré, le taux de redistribution n’est alors plus de 80 %, mais bien de 69,4 %. Voilà donc un service chèrement payé, en partie à cause de l’État taxeur, en partie à cause de mutuelles qui dépensent sans compter.

Dans la réalité, les choses peuvent se révéler pires encore. Ainsi, pour certains contrats individuels, a constaté l’UFC-Que Choisir dans son étude de janvier 2021 portant sur les frais de gestion affichés par les 29 organismes les plus importants du marché, neuf ont des taux supérieurs à 28 % et trois dépassent les 30 % : la MAAF (30,4 %), Smatis Mutuelle (30,7 %) et Intériale, la « mutuelle des agents du service public » (31 %) ! Un fonctionnaire qui choisirait Intériale et qui paierait 1 000 euros TTC de cotisation annuelle, ne bénéficierait donc en retour que de 598 euros de prestations… Mais comment est-ce possible ?

A lire aussi : Comment le marché français de l’assurance maladie complémentaire est devenu le premier d’Europe en volume d’affaires

Extrait du livre de Daniel Rosenweg, « Le Livre (très) noir des mutuelles », publié aux éditions Albin Michel

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