Syrie : pourquoi le mois à venir pourrait bien être le plus sanglant depuis le début de la guerre civile<!-- --> | Atlantico.fr
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Les combats s'intensifient en Syrie.
Les combats s'intensifient en Syrie.
©Reuters

Horrible équation

La Syrie, déchirée depuis plus de deux ans par la guerre, vit un paradoxe au travers de l'intensification des combats, à l'approche pourtant de la conférence Genève II pour la paix en Syrie, à la fin du mois de janvier prochain. Un phénomène qui, s'il est courant dans les conflits, a des conséquences terribles.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Alors que la conférence Genève II pour la paix en Syrie est fixée au 22 janvier, les combats s'intensifient d'une manière quelque peu paradoxale à son approche. Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce courant dans les conflits ?

François Géré : Bien sur cela apparaît comme paradoxal puisque cette conférence est supposée apporter une solution à un conflit qui dure depuis deux ans et demi. Dans la réalité, cela se passe presque toujours, parce dans une situation de guerre, les parties en présence cherchent soit à "gagner le plus" soit à "perdre le moins". Ainsi, les combats s'intensifient pour que le poids des armes et des positions militaires acquises pèsent dans les négociations. Bien sûr, selon les conflits cela agit de manière différente sur les négociations. Dans les guerres israélo-arabe de 1949 à 1973 par exemple, chaque fois qu'ont été annoncés des cessez-le-feu ou des négociations, les combats se sont intensifiés afin de gagner des territoires qui pourront ensuite être rétrocédés dans les négociations en apportant ainsi la preuve d'un effort qui est en fait un gain.

Dans le cas syrien, la configuration est différente, il s'agit de gagner en légitimité représentative. De pouvoir arriver dans la négociation au motif que l'on est un acteur qui compte sur le terrain. On comprend donc aujourd'hui cette intensification des combats puisque les forces loyalistes sont à l'heure actuelle sur l'offensive alors que l'opposition est déchirée. Il y a donc là pour Assad une opportunité extraordinaire de se présenter comme l'homme sans lequel on ne peut rien faire.

Au-delà de Bachar el-Assad, qui sont ceux qui ont intérêt à se faire entendre par les armes et par la conquête de territoires dans cette conférence ?

Du côté des laïques, ils espèrent probablement que cette négociation puisse leur donner la légitimité politique et diplomatique qu'ils sont en train de perdre sur le terrain. Cela apparaît toutefois difficile au vu des récentes positions prises par l'Arabie saoudite qui visiblement n'attend elle rien de la conférence de Genève. Elle joue là son jeu pour renforcer ceux qu'elle considère de "son clan" tout en rejetant la branche la plus radicale d'Al-Qaïda. On peut ainsi penser que l'Arabie saoudite attend que les groupes qu'elle soutient reprennent de la force sur le terrain pour rentrer vraiment dans une négociation qui sera à leur avantage, et dans cette logique la date du 22 janvier est bien trop proche de nous.

Les djihadistes sont loin d'être unifiés et même s'entredéchirent ; certains n'étant pas directement dans la mouvance d'Al-Qaïda au Moyen-Orient et particulièrement la branche mésopotamienne, certains revendiquant même une certaine "modération", qui toutefoiss ne ressemble en rien à l'Armée de libération syrienne qui a volé en éclat. Dans la situation actuelle, lorsque l'on voit le comportement de ces différentes composantes djihadistes dans le conflit, il ne me semble pas qu'elles attendent quoi que ce soit de la date du 22 janvier…

Russie, Etats-Unis, Arabie saoudite ou autres : à qui ces différents groupes s'adressent-ils vraiment ? De qui ont-ils besoin de se faire entendre ?

Ils s'adressent effectivement à la Russie mais également à l'Iran qui souhaite le maintien de Bachar el-Assad mais en élargissant le spectre politique syrien. Ainsi, s'il y a des composantes d'opposition, y compris radicales, et qu'elles acceptent certains conditions - dont une Syrie toujours contrôlée par Assad mais assouplie politiquement -, elles pourraient y trouver une oreille iranienne.

En plus des acteurs régionaux, parmi lesquels on peut aussi évoquer le Hezbollah, ces actions et ces négociations peuvent aller rebondir jusqu'à la Chine, et en fin de parcours aux Etats-Unis. A ces derniers, il s'agit de dire : nous sommes prêts à arrêter les violences et à nous asseoir autour d'une table. Cela afin de marginaliser complètement les factions djihadistes liées à Al-Qaïda et celles qui sont trop proches des positions de l'Arabie saoudite ou du Qatar qui n'envisagent même pas le dialogue avec Assad.

De quoi cette logique témoigne-t-elle malgré tout ? Ne s'agit-il pas d'un signal négatif quant à la réussite de la mise en place d'un processus de paix ?

Il faut s'en désoler mais j'ai tendance à penser que la situation n'est pas "mûre" pour un processus de paix et que de nombreux acteurs considèrent que l'on ne s'est pas assez battu. Beaucoup, à l'intérieur et à l'extérieur du conflit, pensent par ailleurs que la solution devra venir du terrain et que la diplomatie devra entériner cette dernière. C’est-à-dire un rapport de force bien établi en faveur des uns ou des autres, mais clairement acté par une réédition ou l'abandon de positions. Or, pour cela le 22 janvier est une échéance trop courte, tant les acteurs en présence ne sont pas fatigués de se battre.  

Quelles sont les conséquences pour les populations, et plus globalement pour le pays ?

La population syrienne est aujourd'hui une population martyre qui compte des centaines de milliers de personnes tuées ou blessées. En plus de la souffrance atroce de ces gens, ce sont des conséquences terribles pour un pays que de mutiler ainsi son peuple. Sur un plan plus matériel, il est clair que le patrimoine syrien est en grande partie détruit et ne se restaurera bien sûr pas. Quant à la construction, quand elle viendra, s'il y a des soutiens internationaux et des fonds, elle pourra être mise en place dynamiquement. Mais les populations décimées ou déplacées, elles, ne reviendront pas et cela ne sera pas sans conséquences sur le développement. Il est probable que le pays connaisse ainsi une régression de dix à quinze ans pour retrouver son niveau de 2010…

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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