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Syndrome de Stockholm ou œillères idéologiques ? Le curieux journalisme de Roméo Langlois, ex-otage des Farc
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Déontologie

Roméo Langlois, le journaliste français libéré mercredi dernier par la guérilla des Farc en Colombie, est désormais sain et sauf en France. L'extrait d'un de ces reportages fait curieusement penser au syndrome de Stockholm qui lie étroitement les otages à leurs ravisseurs...

Eduardo Mackenzie

Eduardo Mackenzie

Eduardo Mackenzie est journaliste et écrivain. Il est notamment l’auteur de Les Farc ou l’échec d’un communisme de combat (Publibook, Paris, 2005).

 

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France 24 m'a invité jeudi dernier à participer à une discussion en direct avec trois autres spécialistes sur les Farc et la Colombie (1).  Roméo Langlois, le journaliste enlevé il y a 32 jours par les Farc et relâché hier dans le département du Caquetá, a été le fil conducteur de la discussion. Langlois a été le correspondant en Colombie de France 24, une télévision publique, l'équivalent français de CNN.

J'ai eu le plaisir de constater que, cette fois-ci, parmi les invités, il n'y avait pas un seul partisan des Farc. Tous reconnaissent le caractère terroriste et narcotrafiquant de cette organisation armée, ses origines communistes, ses récentes défaites politiques et militaires et le soutien permanent qu’elle reçoit de la dictature vénézuélienne. Certains mêmes ont fait l’éloge du gouvernement de l'ancien Président Álvaro Uribe, qui a combattu les Farc avec détermination et succès jusqu'à les faire reculer à l’intérieur des jungles et des régions frontalières.

Au cours du débat, Vanessa Burgrave, la journaliste-présentatrice, a inséré une brève entrevue en direct de Bogotá avec Roméo Langlois et l'extrait d'un reportage de Langlois et Chris Moore, d’octobre 2010, intitulé « La marche sans fin de la guérilla des Farc ».

Ce reportage, que je voyais pour la première fois, a bien montré le type de travail journalistique que Langlois faisait en Colombie. Les images ont duré moins de deux minutes. Cependant, c'était suffisant pour que nous découvrions les méthodes employées par Langlois.

La caméra montre une colonne des Farc en train de marcher sur une montagne du département du Cauca. Le groupe arrive dans un hameau indigène. Les guérilleros prennent le contrôle et s’installent. Langlois, en voix-off, fait cette remarque: « Malgré la modernisation de l'armée, dans les montagnes du Cauca la guérilla est encore chez elle. Voilà des décennies que les rebelles arpentent ces campagnes misérables. Pour les indiens qui vivent dans la région, ils font partie du paysage. Souvent, les Farc s’installent autour des maisons pour plus de commodité. Les paysans n’ont pas le choix. Et c'est toujours l’occasion de rafler un repas gratuit.» Langlois montre alors une guérillera en train de donner une assiette de nourriture à un paysan. Langlois poursuit: « Bien sûr, les exactions des Farc sont fréquentes mais ici c'est l'armée qui passe pour une véritable force d'occupation ». Pour confirmer ce qu’il dit, Langlois passe le micro à un homme habillé en civil. On ne sait pas qui il est, s’il est quelqu’un du hameau ou s’il est un milicien.

Il récite : « Sous le gouvernement d’Uribe, l'armée nous a vraiment agressé, nous les indigènes. Ils envoient des soldats drogués qui volent dans les maisons. Si une fille passe par là, ils la violent. Ils disent que les guérilleros sont mauvais, mais pour moi ce n'est pas vraiment vrai. Bon, ce qui est sûr c’est que si on n’obéit pas aux  guérilleros ils nous punissent. Mais ici la loi c’est eux.  Alors il faut faire avec ».  Ensuite, Langlois, encore en voix off, termine avec cette phrase non moins surprenante: « La plupart des guérilleros sont des jeunes indiens qui parlent encore leur langue. Entrer dans les Farc, ici, c’est d’abord une manière d'améliorer son quotidien ».

Après cela, la caméra donne la parole à Marcela, une jeune guérillera en uniforme. Comme récitant un script préparé, elle lance: « A la maison on n’a pas tous les avantages qu’on a ici; ici on nous donne  la santé, l'éducation, c'est comme un collège, on apprend beaucoup de choses ».

Langlois conclut avec cette affirmation: « Malgré les risques, de nombreux jeunes sans avenir continuent d’entrer dans les Farc. Ces deux jeunes ont 14 ans dans un an ils deviendront des guérilleros à leur tour. Pour l'instant, ils ne sont qu’en phase probatoire ».

Un journaliste peut-il interroger des civils devant des hommes armés menaçants ? Non. La déontologie du journalisme condamne l'utilisation de méthodes déloyales pour obtenir des informations (2). Le respect de la vérité est compromise quand une source, un civil, en l'espèce, est interrogé en présence de guérilleros. Parce que le civil - ou même un guérillero - ne peuvent dire que ce que veulent entendre les chefs guérilleros. Sinon, le civil, ou le guérillero, vont subir les conséquences de leur « indiscipline ».

Le reportage de Langlois/Moore devient ainsi une pièce de propagande favorable aux Farc. Qu’est ce qu’on peut espérer d'un «entretien » dans de telles conditions ? Le civil interrogé  probablement aurait dit le contraire s’il était entouré par des militaires. Ni ce civil, ni ce guérillero, ne peuvent être considérés comme des sources fiables ou dignes de foi.

Voici le message subliminal qui se dégage de cette habile combinaison d'images et de phrases calibrées : l'armée colombienne est une force d'occupation dans son propre pays ; la guérilla des Farc, en revanche, bénéficie de l’appui des paysans, car elle nourrit la population, lui donne éducation et santé et offre aux jeunes un avenir. Les jeunes guérilleros sont volontaires, ils n’ont pas été enrôlés de force et ils doivent passer une «phase probatoire» d'un an avant d'être finalement admis. Pour les jeunes il vaut mieux vivre dans les Farc qu’en liberté.

Pour le gouvernement de la Colombie, pour le gouvernement des États-Unis et pour l'Union européenne, les Farc sont une force terroriste et prédatrice. Depuis 50 ans, les Farc ont commis des centaines de milliers d'atrocités à l’encontre des Colombiens de toutes les classes sociales, de tous les âges et conditions. Les Farc n’améliorent pas, mais elles détraquent la vie des paysans. Langlois est-il le seul qui doute de cela ?

Langlois tente de faire passer en Europe une vision idyllique et obsolète des Farc, un mouvement armé subversif qui, en outre, a tenté, pendant plus de 40 ans, de mater les communautés indigènes du Cauca, en utilisant des menaces, des assassinats, des enlèvements, des incendies et de la torture, ce qui est dénoncé même par les chefs indigènes colombiens. Ces communautés sont pour les Farc uniquement un réservoir humain pour fournir leurs rangs. (3)

Après avoir été relâché, Roméo Langlois a déclaré que le « conflit en Colombie » n'est pas couvert par la presse. Absurde. Avec cette phrase il dénigre injustement les journalistes colombiens qui, depuis 50 ans, avec abnégation, audace et avec pas mal de sacrifices en vies humaines ont fait bien leur travail. Langlois pointe peut-être quelque chose d'autre. Sa colère est contre la probité des journalistes. Il espère probablement que la  « couverture »  de la guerre soit faite sous l'angle que lui-même a choisi pour son reportage et avec ses méthodes contestées. Dans ce cas, que faire de la règle consistant à défendre toujours la «liberté, la vérité, la justice et le pluralisme » ?

Franchement, je ne pense pas que les journalistes travaillant en Colombie voient chez Langlois l'exemple à suivre.

Notes

(1) Il s’agit de Michel Gandilhon, chercheur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies ; Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques et Jean-Pierre Ferro, membre d'Inter Lira Risque Consultancy. Eduardo  Mackenzie est un journaliste et écrivain. Il est l'auteur de Les Farc où l’échec d’un communisme de combat (Publibook, Paris, 2006).

(2). Voir la Charte des devoirs professionnels des journalistes français de 1918, de l'Union nationale des journalistes, révisée et complétée en 1938. Voir également la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée à Munich en novembre 1971 et adopté par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), l'Organisation internationale des journalistes (OIJ) et par la plupart des syndicats de journalistes d’Europe.

(3). Voir la discussion en France 24 en :

(partie: 1): http://www.france24.com/fr/20120601-debat-partie-1

(partie 2): http://www.france24.com/fr/20120601-debat-partie-2

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