Suppression du corps diplomatique : l’équilibre rompu entre politiques et haute fonction publique française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Jean Castex prononce un discours lors de l'inauguration de l'Institut national de la fonction publique (INSP), anciennement l'École nationale d'administration (ENA), le 28 janvier 2022.
Jean Castex prononce un discours lors de l'inauguration de l'Institut national de la fonction publique (INSP), anciennement l'École nationale d'administration (ENA), le 28 janvier 2022.
©Frederick FLORIN / AFP

Déconstruction d’Etat

Derrière la suppression du corps des diplomates de carrière se joue une bataille entre différentes visions de ce que serait un État (redevenu) efficace. Mais la méthode suivie est-elle la bonne ?

Eric Anceau

Eric Anceau

Enseignant à Sorbonne Université, Eric Anceau est spécialiste d’histoire politique et sociale de la France et de l’Europe contemporaine. Il a publié vingt-cinq ouvrages dont plusieurs ont été couronnés par l’Académie française, l’Académie des sciences morales et politiques et la Fondation Napoléon.

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron a décidé de supprimer les grands corps par décret, hier les corps d’inspection, ce dimanche de Pâques celui des diplomates, bientôt celui des préfets. Il semble vouloir rendre l'État plus efficace, fait-il le bon diagnostic (sclérose, perte de compétence, etc.) mais avec les mauvaises solutions (leur suppression) ? 

Eric Anceau : En fait, la mesure a été prise en arguant des corporatismes, des cloisonnements et des déterminismes de carrières et pour satisfaire l’opinion publique remontée contre ses élites au sens large lors du mouvement des « Gilets jaunes », mais pas vraiment pour rendre l’État plus efficace. J’aurais plutôt tendance à croire qu’elle aboutira à l’effet inverse. Qui veut faire l’ange fait la bête ! Nos grands corps ont fait l’admiration de l’étranger qui les a copiés et nous les supprimons alors que nous en avons vraiment besoin. C’est le corps préfectoral qui, avec les maires, a tenu le pays à bout de bras au début de la pandémie de Covid-19, il y a deux ans. Quant à la suppression du corps diplomatique, elle fait que la France sera désormais le seul grand pays occidental sans diplomates professionnels à l’heure de la guerre en Ukraine et des pires dangers qui nous guettent.

Quelle est la nature profonde du problème de la haute fonction publique ? qu’est ce qui cause réellement les blocages constatés ?

Je pense que le principal problème que j’ai d’ailleurs pointé dans mon livre est d’ordre politique. La haute fonction publique est faite pour servir l’État et les Français sous la direction du politique. Aujourd’hui, le politique n’assume plus son rôle. La saine autorité a laissé place à la démission ou, à l’inverse, à l’autoritarisme. Ajoutez-y le fait que les deux élites s’interpénètrent. On l’a bien vu avec l’ENA et avec l’arrivée massive d’énarques en politique à partir des années 70, puis dans l’économie une décennie plus tard. Ces collusions ne sont pas saines. Plutôt que de réformer la grande école et de revenir à son esprit d’origine, voulu par le général de Gaulle et Michel Debré, elle a, elle aussi, été supprimée par Emmanuel Macron.

À Lire Aussi

Vraie-fausse suppression de l’ENA : le coup d’épée dans l’eau

Justement, en supprimant ainsi les grands corps ne reviendra-t-on pas à de plus saines pratiques entre politique et haute fonction publique ?

Je ne crois pas. Il faut bien comprendre qu’on ne supprime par l’idée même de corps. Nous passons de seize grands corps à un seul, le corps des administrateurs d’État. Dans ce « stock » unique, les nominations risquent d’être encore plus le « fait du prince ». Des amis politiques et des collaborateurs ont d’ailleurs été nommés à la hâte dans les corps appelés à disparaître pour pouvoir bénéficier des avantages avant d’être recasés automatiquement dans le corps unique où ils seront au moins aussi bien rétribués et possiblement même mieux. Il y avait des places à prendre.

Cette réforme n’est donc pas une bonne réforme selon vous ? Comment alors remédier aux vrais problèmes de fonctionnement au sein de l’État en évitant les solutions qui pourraient s’avérer contre-productives ?

Avec le corps unique, nous aurons sans doute plus de fluidité dans les carrières et une ouverture d’esprit plus grande, mais nous aurons aussi et surtout des généralistes qui passeront d’une fonction qui exige une haute technicité à une autre ce qui est extrêmement périlleux. Pour bien faire comprendre les choses, j’aime donner à nos concitoyens cette image parlante : aimeriez-vous que votre médecin généraliste qui est sans doute excellent, là n’est pas le problème, devienne le spécialiste qui vous opérera de votre cancer du pancréas ou à cœur ouvert ? Plutôt que de détruire nos grands corps, il eût sans nul doute été préférable de le réformer en développant le fast track à l’anglaise ou en musclant le tour extérieur.

Spécialiste de l’histoire politique et sociale de la France et de l’Europe contemporaines, Éric Anceau vient de publier ce mois-ci l’édition de poche de ses Élites françaises des Lumières au grand confinement, ouvrage sorti voilà un an et demi et salué par la critique (Passés Composés, Alpha)

À Lire Aussi

Supprimer l’ENA mais chérir l’idéologie qui l’a asphyxiée, quel intérêt ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !