(Super) Mario Draghi va-t-il faire du 22 janvier 2015 le jour le plus important pour l’Europe depuis la faillite de Lehman Brothers (et comment ça marche exactement un QE) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mario Draghi, le président de la BCE
Mario Draghi, le président de la BCE
©REUTERS/Kai Pfaffenbach

l'heure des solutions

Depuis sa prise de fonction le 1er novembre 2011, Mario Draghi a été l’acteur le plus convaincant pour un changement de politique au sein de la zone euro. Après le "whatever it takes" qui a sauvé l’euro à l’été 2012, le Président de la BCE pourrait enfin proposer un plan cohérent de sortie de crise pour le continent.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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  • La BCE devrait mettre en place un plan de relance monétaire à partir du jeudi 22 janvier.
  • L’efficacité d‘une telle stratégie a déjà été démontrée dans le temps, en théorie comme en pratique.
  • La zone euro est cependant soumise à une situation particulière qui menace les effets bénéfiques du plan
  • Malgré tout, les craintes relatives à la relance monétaire paraissent surévaluées

C’est l’ensemble de la planète économique qui se tourne aujourd’hui vers la Banque centrale européenne. La probable mise en place d’un plan de relance monétaire par Mario Draghi pourrait en effet marquer une première étape dans la prise de conscience européenne sur la véritable nature de la crise. Car c’est bien par ce biais de la politique monétaire que les Etats Unis, ou le Royaume Uni, s’en sont sortis. Après 6 années de politiques d’austérité et une absence totale de résultats, le 22 janvier 2015 pourrait être la date du changement pour l’Europe. Un véritable désaveu pour ce qui a été fait jusqu’à présent. Ou pas.

Si la question du jour est "QE" (assouplissement quantitatif) ou pas "QE", il reste à détailler ce qu’est véritablement un plan de relance monétaire. Vaste fumisterie pour certains, remède indispensable pour d’autres, le débat existe depuis les années 30.

Le QE c’est quoi ?

Une politique économique se scinde en deux volets. Le volet budgétaire et le volet monétaire. D’un côté le volet budgétaire traite de la structure de l’économie, c’est-à-dire du potentiel d’un pays à générer de la croissance. Et de l’autre côté le volet monétaire prend en charge la conjoncture économique, c’est-à-dire le niveau d’activité au sein de la zone considérée. Pour schématiser, le budgétaire est la voilure et le monétaire est le vent. Et le vent doit s’adapter à la voilure. Dans la zone euro, le pouvoir budgétaire appartient principalement aux Etats eux-mêmes, et le pouvoir monétaire revient à la Banque centrale européenne.

Le QE, ou assouplissement quantitatif, n’est qu’un outil à la disposition de la Banque centrale afin que celle-ci puisse remplir son rôle. C’est-à-dire le contrôle de l’offre de monnaie, qu’elle peut réduire ou augmenter à sa guise. Rien de plus. Traditionnellement, une banque centrale utilise les taux d’intérêts pour remplir cette mission, mais étant donné que les taux sont aujourd’hui à zéro, il n’existe plus de marge de manœuvre permettant de soutenir l’activité avec ce seul outil. Il faut donc trouver autre chose, et cette autre chose est l’assouplissement quantitatif.

Techniquement, la Banque centrale va créer de la monnaie de façon électronique et l’injecter dans l’économie en rachetant de la dette d’état. Le résultat de l’opération est que la dette achetée va être portée au bilan de la BCE et l’argent créé va se retrouver en circulation au sein de l’économie. L’offre de monnaie est ainsi augmentée. Cela ne change rien pour le pays dont la dette a été rachetée, car ce n’est pas parce que sa dette est détenue par la BCE qu’il va être exempté de la rembourser. Il est nécessaire de rappeler que la Banque centrale choisit la dette d’état parce qu’il s’agit d’un marché très important, qui se chiffre en milliers de milliards d’euros. Il s’agit donc du marché le moins susceptible d’être "faussé" par les achats de la banque centrale. Le QE n’est donc qu’un outil au service de la Banque centrale pour que celle-ci puisse remplir son objectif.

Et en Europe, cet objectif est de maintenir l’inflation à un niveau proche mais inférieur à 2%. C’est-à-dire que le niveau d’activité économique au sein de la zone euro doit être en adéquation avec une inflation proche de 2%. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui puisque l’inflation en zone euro est de -0.2%, il est donc urgent que la BCE réagisse afin que son mandat soit respecté.

Le QE, comment ça marche ?

La question de base est la suivante ; comment la croissance et l’inflation peuvent-elles être relancées par de la création de monnaie ? C’est cette question qui représente la plus forte gêne dans le débat public, car le bon sens s’oppose totalement à l’idée que de la création monétaire pourrait générer de la croissance.

Lorsque l’on parle de croissance, c’est l’évolution du PIB qui est désignée. C’est-à-dire la somme totale des dépenses au sein d’une économie pendant une année. Et ces dépenses se font en euros. Etant donné que la Banque centrale dispose de la maîtrise de la quantité d’euros en circulation, elle est donc tout naturellement maîtresse du niveau du PIB. A une seule distinction près : c’est que le PIB est entendu généralement dans son sens "réel", c’est-à-dire après en avoir retranché l’inflation alors qu’ici, le PIB est entendu dans son sens brut, c’est-à-dire avant d’en avoir retranché l’inflation.

Si la banque centrale veut réduire la croissance du PIB, elle baisse son offre de monnaie et le PIB ne pourra que se contracter. Ceci tout simplement parce qu’il est mesuré en euros. Inversement, si elle augmente son offre de monnaie, la croissance du PIB va augmenter.

L’objection habituelle est de dire qu’il ne s’agit que de tentatives dangereuses de manipulation autour de la valeur de la monnaie, celles-ci n’auraient aucun effet sur "l’économie réelle". Et c’est là que la théorie prend place.

Car il existe un principe économique fondamental qui est la rigidité des salaires et des prix. C’est-à-dire que les prix et les salaires ne s’adaptent que très lentement aux développements économiques. Il existe donc un décalage entre le moment ou la banque va créer de la monnaie et le moment où les prix et les salaires vont augmenter, et inversement.

Le meilleur exemple ici, pour montrer qu’un choc "nominal" (croissance + inflation) peut avoir des effets sur la réalité est la grande récession. Lorsque le PIB s’est effondré à la fin 2008, les entreprises n’ont pas baissé les salaires pour s’adapter à la situation, elles ont licencié, tout simplement. Elles auraient pu baisser leurs prix, les salaires des employés etc…mais elles ne l’ont pas fait. Car la réalité est différente, cette rigidité existe et le nombre de licenciements ne fait que le refléter. Si une entreprise vend 20% de moins, elle va licencier, elle ne va pas baisser les salaires de 20%. Et c’est ce qui peut s’appeler un choc "nominal".

Mais c’est en s’appuyant sur cette réalité que la Banque centrale va disposer de moyens d’agir. Si elle indique qu’elle va augmenter l’offre de monnaie, les entreprises en prennent note, et vont donc logiquement anticiper une hausse du PIB. Pour pouvoir profiter de cette hausse, les entreprises vont embaucher pour produire plus, investir etc….La machine se met en branle. Et l’ensemble du dispositif va reposer sur ces anticipations des agents économiques.

Ce n’est que dans un second temps, lorsque les ventes seront effectivement à la hausse, lorsque les anciens chômeurs auront retrouvé un emploi, que la hausse du niveau de dépenses va effectivement se matérialiser (le PIB). Et notamment se traduire par une hausse des prix. Au final, l’effet est donc neutre sur le long terme.

Sauf qu’entretemps, l’économie dans son ensemble est remise sur les rails. Le résultat est une hausse de la croissance avant tout, puis l’inflation arrive dans un second temps. Mais cette inflation ne sera que résiduelle aussi longtemps que la capacité de production de l’ensemble de l’économie n’est pas à son maximum. Et nous en sommes loin ; très loin.

L’ensemble de la théorie repose sur ce décalage de temps qui existe entre le moment ou la monnaie est créée et le moment où les prix et les salaires vont augmenter. Voilà pour la théorie.

Est-ce que cela marche dans la réalité ? Il suffit de regarder ce qui passe aux Etats Unis avec leur 5.6% de chômage et leur 5% de croissance au dernier trimestre 2014 pour s’en rendre compte. Ou au Royaume Uni qui est également parvenu à faire baisser son taux de chômage à 6%. Mais il est toujours possible de considérer que cela ne "marche pas", comme il est possible de considérer que la terre est plate.

Pendant la crise des années 30, cette vision était d’ailleurs perçue comme grotesque par l’ensemble du continent européen. Au contraire, les Etats Unis et le Royaume uni l’ont appliqué strictement. Le résultat est que le Royaume Uni est sorti de la crise en 1931 et les Etats Unis en 1933. On connait la suite pour la France et l’Allemagne.

Le pouvoir monétaire dispose d’un pouvoir immense ; celui de permettre à une économie de se développer à son plein potentiel sur le long terme.

Pourquoi en Europe c’est différent ?

Les difficultés pour la mise en place d’un assouplissement quantitatif en Europe existent. Elles sont mêmes très lourdes. Car selon la théorie, pour que la hausse de l’offre de monnaie puisse provoquer une hausse des anticipations de croissance et d’inflation, elle se doit être annoncée comme étant "permanente". Si les agents économiques savent par avance que l’aide va être retirée dans un proche avenir, il n’y a aucune raison valable d’investir ou d’embaucher. Le court terme ne suffit pas, il est nécessaire d’indiquer que le programme est permanent.

Mais ce n’est pas tout. Malheureusement. Car pour être pleinement efficace, la communication doit également être très soignée. Pour qu’un assouplissement quantitatif délivre tous ses effets, la banque centrale doit préciser clairement son objectif. Par exemple, à la fin 2012, la FED avait indiqué qu’elle augmenterait l’offre de monnaie jusqu’à ce que le chômage atteigne 6.5%. Les agents économiques savent à quoi s’en tenir et vont pouvoir agir en toute tranquillité jusqu’à ce que l’objectif indiqué soit atteint.

La difficulté, En Europe, est que l’objectif de la banque centrale est indiqué dans les traités. Le conseil des gouverneurs de la BCE n’a donc pas le pouvoir de le modifier. C’est aux dirigeants européens de le faire. Il s’agit donc d’une réelle difficulté qui permet déjà de considérer qu’un assouplissement quantitatif européen ne pourra avoir les mêmes effets qu’aux Etats-Unis. A moins d’une prise de conscience des dirigeants européens.

La meilleure option pour Mario Draghi, en l’état actuel de la législation, serait d’indiquer que le plan d’assouplissement quantitatif est illimité, aussi bien dans son montant que dans sa durée, et ce jusqu’à ce que l’inflation atteigne à nouveau et durablement 2%. De cette manière, rien ne permettrait de douter que les moyens mis en place sont insuffisants. Ce qui permettrait de "ré-ancrer" durablement cet objectif de 2% d’inflation. Il y a encore mieux à faire, mais en prenant les traités en compte, c’est un maximum.

Les craintes relatives à la relance monétaire

Les bulles

La création de monnaie serait responsable de la formation de bulles spéculatives dont le destin serait nécessairement d’exploser. Mais une politique d’assouplissement monétaire n’a d’autre but que de restaurer la croissance, ce qui revient à considérer que la croissance peut provoquer des bulles. Sans doute, mais aussi longtemps que les chiffres de l’inflation ne progressent pas de façon trop importante, il est tout à fait impossible d’incriminer la banque centrale. Car celle-ci maitrise l’économie dans son ensemble et non pas un secteur particulier. Si les pouvoirs publics veulent "calmer" un secteur donné, il est nécessaire de passer par le pouvoir législatif pour mettre en place des barrières. Car si c’est le pouvoir monétaire qui intervient, il va agir sur l’ensemble de l’économie. Pour punir un secteur, il va punir tous les autres. Ce qui n’a aucun sens. La banque centrale ne peut être accusée directement que dans deux cas : une trop forte croissance nominale (croissance +inflation) ou un effondrement de la croissance nominale.

L’inflation

L’Europe est  actuellement en situation de déflation. Le risque est donc inexistant. Pour que ce risque se matérialise, il faudrait que les capacités de production du continent soient arrivées à leur potentiel maximal et que le plein emploi soit atteint. Dans un tel cas, l’augmentation de l’offre de monnaie pourrait conduire à de l’inflation. Mais l’Europe est justement dans une situation inverse de déflation et de chômage de masse.

La déresponsabilisation des états

Selon un discours en vogue, le soutien monétaire serait une aide indue, donnée à ceux qui ne veulent pas réformer par le biais de réformes structurelles. C’est sans doute le cas si l’on considère normal de voir la zone euro essayer de s’en sortir avec un sac de pierre sur le dos. Ce qui est le cas avec la déflation, qui représente ce sac de pierres. Les réformes structurelles seront bien plus faciles à mettre en place une fois la croissance retrouvée. Lorsque l’Allemagne s’est réformée entre 2000 et 2005, les conditions monétaires étaient bien plus souples qu’elles ne le sont aujourd’hui. Si aucun traitement de faveur ne doit être toléré dans la zone euro, il faut se rendre compte que ce traitement de faveur a été accordé à l’Allemagne. Pas à la Grèce, pas à l’Espagne, pas à la France.

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