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Suivi individualisé des élèves : la Cour des comptes en pointe les dérives financières mais qui s’alarme de l’erreur idéologique à l’origine de ce choix de l’Education nationale ?
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Education

Un rapport de la Cour des comptes sur le suivi individualisé des élèves en France et publié mercredi 4 mars estime que la "conception classique du métier d'enseignant doit évoluer pour englober la démarche d'accompagnement individualisé des élèves", dénonçant la "tradition disciplinaire dans le second degré et la faiblesse du travail en équipe" comme des obstacles.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Atlantico : Un rapport de la Cour des comptes sur le suivi individualisé des élèves en France estime que la "conception classique du métier d'enseignant doit évoluer pour englober la démarche d'accompagnement individualisé des élèves", dénonçant la "tradition disciplinaire dans le second degré et la faiblesse du travail en équipe" comme des obstacles. Si un suivi individualisé peut être utile dans des cas précis, est-ce vraiment à ce niveau que le bât blesse dans l'école d'aujourd'hui ?

Jean-Paul Brighelli : Non, bien sûr. Mais la Cour des Comptes insidieusement, alors même qu’elle a l’air de se préoccuper de questions en dehors de sa compétence, reste fidèle à sa finalité et se soucie… des comptes. Toutes ses suggestions, qui s’accordent d’ailleurs fort bien avec les soucis de la FCPE, ceux des syndicats-godillots que sont le SE-UNSA et le SGEN, et in fine ceux du ministère, n’ont pour finalité que le souci de faire des économies. La primarisation de la Sixième, la fin du disciplinaire au sens strict, l’exemple finlandais ressorti opportunément — les enseignants de collèges y enseignent deux ou trois matières —, tout concourt à économiser des milliers de postes, en supprimant des milliers d’heures de cours. Et le plus beau, c’est que c’est sous prétexte d’aider les élèves en difficulté. Ce n’est pas d’allégé que doit se nourrir un corps en dénutrition grave. La Cour des Comptes ressemble aux médecins de Molière, fort capables d’infliger une saignée à un homme en proie à une hémorragie.

Cette volonté de suivi individualisé traduit-elle une intention de pousser à long terme le plus grand nombre à faire des études supérieures ?

C’est juste de la démagogie pour satisfaire les syndicats de parents. Cela renvoie aussi à des sous-entendus idéologiques, selon lesquels c’est à l’école, non aux parents, de suivre les élèves, afin d’atténuer les différences sociales entre ceux qui peuvent aider leurs enfants et ceux qui ne le peuvent pas. Toute l’histoire, fort ancienne, des devoirs à la maison, interdits, autorisés, tolérés, vilipendés, tient à cela. Quant au rapport avec des études supérieures… C’est en maîtrisant justement toutes les disciplines que les élèves se hissent au niveau supérieur. Pas en organisant un pseudo-tutorat. Croyez-vous vraiment qu’un pédagogue compétent ne s’occupe pas déjà individuellement de ses élèves ? Pensez à ce que le Supérieur attend de ses étudiants : de vrais savoirs maîtrisés par le haut, et pas de vagues compétences définies par le bas. Dans les classes prépas, on recrute sur examen des dossiers scolaires, et on prend les meilleurs — pas ceux qui maîtrisent le socle. C'est pareil en BTS ou en IUT, ou en médecine à Bac + 1, et dans nombre de facs, surtout après le niveau Licence. Le Supérieur veut les meilleurs, pas le ventre mou des incompétences de base. 

A l'heure où l'école peine à remplir ses missions, qui se pose encore la question du principal rôle de cette dernière ? Et justement quel est-il ?

L’Ecole n’a qu’un but : transmettre les savoirs les plus diversifiés et les plus précis au plus grand nombre d’élèves — en s’efforçant de pousser chacun au plus haut de ses capacités. Or, les ambitions actuelles (au moins depuis la réforme Fillon et l’abominable "socle de compétences" — et malgré un bref intermède sous Darcos) visent à assurer un minimum sous-vital. On n’enseigne pas en fonction d’un minimum, mais d’un maximum. Si l’Ecole n’affiche pas d’ambitions, pourquoi les élèves en auraient-ils ?

Finalement quel compromis s'agit-il de trouver à l'heure où de plus en plus d'élèves ont un niveau hétérogène ?  

Il n’est justement pas question de compromis. Il faut se donner les moyens d’avoir et de donner des ambitions. Cela passe par une augmentation des heures de cours, qui ont fondu de façon inquiétante depuis trente ans dans nombre de matières essentielles, une revalorisation notable des salaires (vous connaissez l’adage américain : If you pay peanuts, you get monkeys), une refonte totale des programmes sur la base d’une ambition, et non d’une reddition, et une redéfinition des objectifs à partir du Supérieur, justement, et non au degré zéro comme aujourd’hui. Les enseignants se battent comme ils peuvent pour feinter avec des programmes maigrichons et des exigences sans cesse rabattues. Mais le système s’écroule de toutes parts. Il n’y a pas de compromis à passer avec l’ignorance. L’heure de la tolérance zéro a sonné.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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