Suicide démographique : la baisse de la natalité est telle en Asie que le Japon est désormais l’un des pays où elle est la plus « forte »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des enfants et leurs parents lors de la Journée internationale de l'enfance à Pékin, un jour après que la Chine a annoncé qu'elle autoriserait les couples à avoir trois enfants. 1er juin 2021
Des enfants et leurs parents lors de la Journée internationale de l'enfance à Pékin, un jour après que la Chine a annoncé qu'elle autoriserait les couples à avoir trois enfants. 1er juin 2021
©NOEL CELIS / AFP

Diminution des naissances

Chine, Corée du Sud, Taïwan ... Les indices de fécondité les plus bas de la planète se trouvent aujourd'hui en Asie, ce qui peut à terme poser de nombreux problèmes économiques

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »

Atlantico : Qu’en est-il de la du taux de natalité et de l’indice de fécondité concernant tous les pays de l’Est de l’Asie ?

Laurent Chalard : Dans l’ensemble de la planète, les indices de fécondité les plus bas ne se retrouvent désormais plus en Europe Occidentale, comme auparavant, mais en Asie orientale. La Corée du Sud est particulièrement concernée avec un indice de fécondité de 0,8 enfant par femme en 2021. Ce chiffre est très largement en-dessous du seuil de remplacement des générations qui est de 2,1 enfants par femme.

Chaque année, les générations d’enfants qui naissent sont près de moitié inférieure à la génération de leurs parents avec un indice de fécondité de 0,8 enfant par femme. Cela implique à terme une population divisée par deux. Ces taux sont extrêmement bas et sont inédits en période de prospérité pour la Corée du Sud.

Pour Taïwan, le constat est le même. Pour 2021, l’indice de fécondité est estimé à 0,9 enfant par femme.

Au Japon, la fécondité s’établit à 1,3 enfant par femme. Ce chiffre est un peu plus important mais cela reste tout de même très bas.

Si l’on étudie le cas de la Chine, le « monstre » démographique de la région, des incertitudes demeurent sur les chiffres. Les données chinoises sont réputées moins fiables que celles des précédents pays cités comme la Corée du Sud ou le Japon. Pour 2021, l’indice de fécondité serait autour de 1,15 enfant par femme. Ce taux est là encore extrêmement faible, parmi les plus bas au monde. Ces données sont même inférieures aux chiffres d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie qui pendant longtemps étaient des nations réputées pour leur très basse fécondité.

Cette fécondité assez faible a un impact sur l’évolution démographique des pays en question. La majorité d’entre eux connaissent un déficit naturel, il y a plus de décès que de naissances.

Ce déficit commence à être ancien au Japon. Il remonte au milieu des années 2000. Le Japon est le pays de la région où la fécondité a baissé le plus tôt. Pour les autres pays, ce phénomène est beaucoup plus récent. Pour la Corée du Sud et pour Taïwan, ce déficit naturel émerge en 2020.

La Chine, elle, n’est pas officiellement en déficit naturel même s’il peut y avoir des interrogations sur les données.

Il s’agit donc d’une singularité mondiale. La dénatalité n’est plus uniquement européenne. Elle est de plus en plus asiatique, d’Asie orientale, et plus précisément du monde de la civilisation chinoise.

La rédaction de The Economist a comparé la période de 1990 à 2020. Le Japon et Hong Kong dans les années 1990 étaient les deux cas à part. Maintenant, tous les pays de la région ont rejoint le Japon. Quels sont les facteurs ayant entraîné cette évolution ?

Le premier facteur est le développement économique qui a contribué à l’émergence d’une classe moyenne dans les pays concernés. Au fil du temps, cela a entraîné un alignement du modèle de fécondité sur le modèle japonais.

Sur la période concernée, la Corée du Sud et Taïwan sont devenus des pays développés. La Chine a également connu un taux de progression considérable du niveau de vie d’une large partie de ses habitants.        

Le développement économique entraîne une baisse mécanique de la fécondité.

Cette baisse de la fécondité est aussi liée à des politiques de limitation des naissances qui ont été prises par l’ensemble des pays concernés. Ces mesures ont contribué au développement économique qui a ensuite renforcé la baisse des naissances.

Le Japon a été précurseur dans les politiques de limitation des naissances après la Seconde Guerre mondiale. Un rebond démographique lié à la fin de la guerre a été constaté après 1945. Les autorités japonaises, tout comme les Américains qui occupaient le pays, ont réalisé que la croissance démographique était trop importante et qu’elle était la cause de l’expansionnisme japonais. Le Japon n’était plus en capacité d’accueillir ces nouveaux habitants. Des politiques de conquêtes territoriales et de colonisation ont alors été suivies en Corée par exemple.  

Après la Seconde Guerre mondiale, comme il n’y avait plus de perspectives de migrations des Japonais vers des territoires des colonies, la seule solution était une politique de limitation des naissances. L’Etat central a lancé cette politique dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle a porté ses fruits au long cours.

Au Japon, la fécondité est sous le seuil des remplacements des générations depuis 1973. Cela a donc rapidement été assez efficace. En 1947, il y avait 4,5 enfants par femme au Japon. Ce chiffre était descendu à 2 enfants par femme dès 1957.

Ces politiques malthusiennes se sont ensuite appliquées en Corée du Sud à partir des années 1960 -1970. Ce pays était aussi indirectement sous influence américaine suite à la guerre de Corée. Des bases militaires américaines étaient implantées en Corée du Sud.

En 1955, la fécondité était de 6 enfants par femme en Corée du Sud. En 1976, ce chiffre est descendu à 3.

La même politique est arrivée quelques années après en Chine avec la politique de l’enfant unique qui fait passer la fécondité de 6 enfants par femme en 1965, à 3,5 en 1975 et à 2,3 en 1980.

Taïwan a connu aussi le même mécanisme.

Tous les pays de l’Est de l’Asie sont donc passés par cette politique ?

Ils sont effectivement tous passés par cette politique de limitation des naissances. Les dirigeants des différents Etats ont considéré que leurs pays étaient surpeuplés, à juste raison car il s’agissait des pays avec la plus forte densité au monde à travers des villes titanesques comme Tokyo qui a été pendant très longtemps la plus grande ville du monde. Cette surpopulation entraîne des conditions de logement extrêmement exiguës. Les Japonais ne pouvaient pas avoir de maisons individuelles comme les Américains. Tout cela a contribué à l’essor des politiques malthusiennes. Elles ont été le moteur du développement économique.

Les dirigeants de ces pays ont considéré qu’il ne pouvait pas y avoir de développement économique tant que la croissance démographique était trop importante. C’est pour cela que ces politiques ont été déployées. Elles ont été un succès. Ces pays ont connu la croissance économique la plus importante au monde. La limitation des naissances a bien eu un effet extrêmement positif en termes économiques. Leurs politiques malthusiennes sont un succès. Le problème aujourd’hui est qu’elles ont tellement bien marché, d’une certaine manière, que le taux de fécondité est à des niveaux qui peuvent être considérés comme trop bas pour assurer une pyramide des âges équilibrée.   

Comment l’augmentation du prix de l’immobilier a fait baisser l’indice de fécondité ?

Lorsque le développement économique est engagé, le modèle change. Dans une société agricole, le but est d’avoir le plus de bras possibles pour cultiver les champs. Faire des enfants est utile dans ce cadre. D’autant plus si vous n’êtes pas dans une société avec un système de retraite ou de sécurité sociale. Ce sont les enfants qui s’occupent des parents. Plus il y a d’enfants, mieux cela fonctionne.

Mais à partir du moment où le développement économique s’enclenche, vous avez un processus d’urbanisation. L’évolution passe alors du modèle du paysan au modèle de l’ouvrier dans l’industrie, à l’employé dans le secteur tertiaire qui travaille en ville et qui habite dans un petit appartement. Pour lui, l’enfant n’est plus du tout une ressource mais une charge. Cela coûte cher, les logements sont exigus.

A terme, est-ce que cela peut poser des problèmes économiques à ces pays ?

Oui car ce sont des pays très peu peuplés. Ils ont eu un développement économique qui reposait sur une main d’œuvre nombreuse et abondante. Le coût du travail était peu élevé.

Mais au fur et à mesure du développement économique, de la baisse de la fécondité, la main-d'œuvre devient plus rare. Le coût du travail augmente donc fortement.

Cela commence à poser des problèmes pour les métiers les plus en bas de l’échelle. Cette situation conduit à s’interroger sur la question de l’immigration.  Le Japon devient aujourd’hui un pays d’immigration. Il y a des besoins de main d’œuvre peu qualifiée et peu rémunérée qui ne sont pas remplis, en particulier dans le domaine de l’industrie.

La main-d'œuvre abondante et pas chère a tendance à se raréfier avec le temps. Il faut néanmoins bien faire la différence entre le Japon, la Corée du Sud et Taïwan par rapport à la Chine.

Même s’il y a aujourd’hui une forte baisse de la fécondité, la main-d'œuvre bon marché en Chine n’est pas prête de disparaître, étant donné sa masse démographique (1,4 milliard d’habitants). Pour la Chine, ce n’est donc pas encore un problème. Par contre pour la Corée du Sud, Taïwan et le Japon, ce problème commence à émerger actuellement.

A l’heure actuelle, les générations actives sont encore très nombreuses. Les générations creuses sont encore en âge scolaire.  Cela ne se traduit pas encore en termes de masse de travailleurs. Cela va se traduire dans les dix à quinze prochaines années.

La Corée du Sud a donc fait venir des Chinois d'origine coréenne. En Chine, il existe des minorités coréennes de plusieurs millions de personnes. Il est possible de penser aussi à terme que la Corée du Sud aimerait une réunification avec la Corée du Nord ce qui lui permettrait de compenser son manque de main d’œuvre par celle de la Corée du Nord. Cela s’est déjà produit avec l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est.

Pour Taïwan, la situation est plus compliquée avec les tensions géopolitiques avec la Chine. Taïwan n’aura pas envie de faire émigrer de la main-d'œuvre de Chine continentale.

Le Japon souhaite essentiellement recourir à des populations asiatiques. Les Philippins émigrent ainsi au Japon.

La question sur la main-d'œuvre ne se pose pas encore en Chine. Pour les dirigeants de ces pays, pendant longtemps, cette baisse de la fécondité n’a pas été perçue comme un problème. Cela était considéré comme quelque chose de positif. La perception a évolué très récemment car la fécondité a trop diminué. Elle a atteint des niveaux trop bas.

Le fait que la population baisse n’est pas un problème en soi. Les Japonais souhaiteraient que leur population se stabilise autour de 100 millions d’habitants. A l’heure actuelle, vous en avez 125 millions. Aujourd’hui, avec leur niveau de fécondité, les Japonais pourraient descendre en dessous de 100 millions. C’est pour cela qu’ils ont décidé d’engager des politiques natalistes.

Pour la Chine, à une époque, les dirigeants chinois considéraient que l’idéal démographique était de 600 millions d’habitants. Ils sont actuellement 1,4 milliard. Il faut garder à l’esprit que certaines régions du littoral ont une densité de population énorme, parfois supérieure à 600 habitants par kilomètre carré.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !