Subventions aux véhicules électriques : un pur effet d’aubaine pour les constructeurs automobiles ? Petits éléments de réponse venus d’Allemagne<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Si les constructeurs baissent leurs prix en Allemagne, peut-on s'attendre à la même chose en France ?
Si les constructeurs baissent leurs prix en Allemagne, peut-on s'attendre à la même chose en France ?
©DENIS CHARLET / AFP

Bonus écologiques

Face à l'arrêt des bonus écologiques et des subventions en Allemagne, les constructeurs automobiles de véhicules électriques réduisent leurs prix.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

Voir la bio »
Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Face à l’arrêt des bonus écologiques et des subventions en Allemagne, les constructeurs automobiles de véhicules électriques réduisent leurs prix. Le chinois BYD réduit ses prix de 7 000 €. Volkswagen accorde une réduction de 7 700 € sur les nouvelles commandes. Renault suit le mouvement. Ceci veut-il dire que les prix étaient trop hauts ? Que les aides ont permis aux constructeurs de gonfler artificiellement les prix ? Ces rabais soudains signifient-ils que les prix étaient trop élevés, les aides encourageant les constructeurs à gonfler artificiellement les prix ? Ces primes éco ou autres subventions dérèglent-elle le marché en créant des effets de seuil ?

Philippe Charlez : Le coût de la transition énergétique se chiffrera en dizaines de terra (milliers de milliards) de dollars. Ainsi selon le I4CE (Institut d’Economie pour le Climat), satisfaire le green deal européen réclamerait d’ici 2030 plus de cent mille euros par ménage français soient deux ans et demi de salaire du 9ème décile. Une voiture électrique coûte à l’achat 30% de plus qu’une voiture thermique équivalente et une Pompe à Chaleur deux à trois fois une chaudière au fioul ou au gaz de même puissance. Des chiffres insoutenables pour le citoyen mais aussi pour les entreprises obligées de se restructurer et d’adapter en profondeur leurs chaînes de production. Sans aides massives des Etats, la transition ne pourrait avoir lieu. Mais de leur côté, les Etats sont aussi très endettés. On fait donc face à une véritable quadrature du cercle avec des stop & go risquant de gonfler encore un peu plus la facture. Enfin, les subventions représentent toujours pour les entreprises un effet d’aubaine pour accroitre les prix sans que le consommateur le ressente. C’est un peu sur ce terrain explosif que repose l’Energiewende allemand. Une transition menée en apparence tambour battant mais assise sur des bases et un agenda plus que discutables.

Ainsi, la sortie purement « idéologique » du nucléaire associée à une montée en puissance des renouvelables n’a pas permis de suffisamment décarboner l’électricité allemande. En conséquence, rouler en voiture électrique en Allemagne émet aujourd’hui davantage de CO2 que de rouler en voiture thermique. Remettant en question les bienfaits la voiture électrique, les autorités allemandes ont ainsi décidé d’arrêter le bonus écologique. Une décision aussi motivée en filigrane de dépenses devenues stratosphériques.

Face à cette situation inattendue et sous peine de voir leurs ventes s’effondrer, les constructeurs n'ont eu d’autre choix que de réduire leur prix et donc leurs marges. Toutefois vu la rapidité des annonces on peut effectivement se poser la question de prix artificiellement gonflés en filigrane des subventions. On imagine en effet mal des constructeurs acceptant de produire à perte ce qui par ailleurs est interdit par la Commission Européenne.

L’arrêt de ce bonus risque toutefois de mettre à mal l’industrie automobile européenne face aux constructeurs chinois s’alignant plus facilement car bénéficiant d’une main d’œuvre à bien meilleur marché. Il démontre aussi le manque de préparation des agendas politiques européens. Comment, après de tels messages, croire à la pertinence de l’arrêt de la production de voitures thermiques neuves en 2035 ?

Michel Ruimy : Le prix des modèles disponibles sur le marché a fortement augmenté depuis 2020. La crise du covid-19 puis celle des énergies ont certes fait flamber les coûts des matières premières et de la fabrication des voitures, mais les constructeurs automobiles en ont aussi largement profité pour augmenter leurs marges (« greedflation »). Des petites citadines jusqu’aux modèles de luxe, la hausse des tarifs sur ces trois dernières années atteint, parfois, un quart de la valeur totale de la voiture. Le prix moyen d’achat d’une voiture neuve, tout type de motorisation confondus, en France est, désormais, de plus de 35 000 EUR avant options et négociations. La croissance du coût moyen d’achat des voitures neuves s’explique aussi, en partie, par la progression des ventes de voitures électriques, souvent plus chères que leurs homologues thermiques. On ne peut pas exclure qu’avec les aides de l’Etat, les constructeurs automobiles aient pu saisir l’occasion d’élever le prix de leurs véhicules (effet d’aubaine).

Cependant, face à l’évolution de la politique des boni écologiques, des marques, même prestigieuses, se retrouvent désormais exclues de cette aide gouvernementale, notamment celles dont les modèles sont fabriqués hors d’Europe. Dans un environnement réglementaire changeant, le marché automobile, très concurrentiel, s’est adapté rapidement et les constructeurs automobiles ont, plus vraisemblablement, exploré diverses voies, en particulier la réinvention de leurs stratégies commerciales, pour contrer la perte de ce bonus et pour maintenir l’attractivité de leurs modèles. Parmi elles, la baisse des tarifs et / ou des alternatives plus flexibles en matière de financement (baisse des prix catalogue, application de ristournes significatives, Location avec Option d’Achat…) sont, sans doute, les plus répandues. Mais, ces ajustements tarifaires ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il convient aussi d’inclure de nouveaux modèles ayant des prix de base réduits et des caractéristiques améliorées.

Finalement, en cette période de transition, les entreprises ont revu leur modèle commercial, tout en encourageant une production plus locale et respectueuse de l’environnement.

L’objectif de ces mesures est notamment de recentrer l’aide à l’achat des voitures électriques sur des catégories moins luxueuses, plus susceptibles d’intéresser des ménages ayant des revenus limités. Mais, en même temps, ces initiatives pourraient engendrer, de manière implicite, un « effet de seuil » dans la mesure où elles pourraient orienter les choix des clients les plus modestes vers un modèle plutôt qu’un autre du fait de leur volonté de ne pas dépasser le montant de l’aide. Le choix serait ainsi plus limité pour ces ménages (accès aux modèles d’« entrée de gamme » c’est à dire des voitures moins volumineuses et/ou proposant un niveau d’équipement - confort, aides à la conduite - moins élevé que celui prévalant sur le reste du parc neuf).

Par ailleurs, la liberté du consommateur peut être appréhendée par deux conditions : la première est la capacité d’un individu à choisir une option parmi un éventail d’alternatives, la seconde suppose que l’individu doit être la source ultime de son choix et de sa volonté. Elle est donc essentiellement centrée sur l’autonomie de l’individu, ce qui n’est pas le cas dans les conditions actuelles, ce qui illustre un certain dérèglement du Marché.

Si les constructeurs baissent leurs prix en Allemagne, peut-on s'attendre à la même chose en France ? 

Philippe Charlez : La France n’a pas pour l’instant décidé de modifier son système de subvention bien au contraire. Le Président de la République a même annoncé dans sa dernière allocution vouloir accentuer son soutien à la mobilité propre avec la mise en place d’un dispositif de leasing (location avec option d’achat) de voitures électriques à 100 euros par mois à compter du 1er janvier 2024 sous conditions de ressources. Les constructeurs devraient donc cibler leur rabais dans les pays supprimant les subventions ce qui risque de créer de fortes distorsions au sein du marché Européen. Le grand gagnant sera une fois encore l’industrie automobile chinoise capable de consentir des rabais supérieurs.

Michel Ruimy : Acheter une auto « zéro émission » coûte, en France, coûte, en moyenne, plus de 40 00 EUR. Il n’est pas surprenant qu’à ce prix, nous observons une baisse significative de la demande. Dans ce contexte, les nouvelles mesures gouvernementales ont surpris les constructeurs automobiles. Ceux-ci craignent désormais que leurs chaînes de production ne soient pas pleinement utilisées et que les stocks de leurs concessions soient élevés.

Afin de contrecarrer cette tendance, certaines firmes, outre les marques allemandes comme Mercedes et VW, ont annoncé de généreuses réductions tarifaires comme Renault qui a réagi à la fin des subventions en Allemagne en suivant une démarche similaire à celle de Volkswagen. Par exemple, la marque française a récemment ajusté à la baisse les prix catalogue de la Mégane E-Tech après avoir proposé une remise de prix. Le résultat est, au final, le même pour le consommateur : une économie substantielle lors de l’achat.

En dehors des véhicules électriques, quels sont les autres secteurs / produits concernés par ces effets de seuil ? 

Philippe Charlez : Eoliennes, panneaux solaires, isolation de l’habitat, pompes à chaleur, nombre de secteurs de la transition énergétique ne sont viables que grâce à la perfusion des subventions. Certains en usent honnêtement tandis que d’autres en abusent de façon éhontée. Ainsi, alors qu’ils sont subventionnés, les producteurs d’électricité renouvelable ont engrangé en 2023 d’énormes superprofits dont ils n’ont rétrocédé qu’une petite partie à l’Etat.Certains de ces producteurs peuvent être surprenants comme le vendeur de meubles suédois propriétaire de plusieurs dizaines d’éoliennes en France et en Allemagne. Le bâtiment n’est pas en reste. Les subventions ont fait bondir le prix des travaux de rénovation avec de nombreuses arnaques à la clé de même que les pompes à chaleur pour lesquelles les installateurs pratiquent parfois des prix délirants au mépris des consommateurs.

Ce monde de subventions souvent incontrôlé dérègle clairement un énorme marché au sein duquel il y beaucoup d’argent parfois facile à gagner. Son extension aux pays émergents notamment africains dans le cadre d’une redistribution massive nord/sud voulue par les Nations Unies (décision majeure de la dernière COP28) pourrait accélérer cette dérégulation artificielle des marchés avec à la clé fraude et corruption.

Michel Ruimy : Un effet de seuil conduit à une modification (subie ou voulue) du comportement du consommateur. Loin d’une liste exhaustive, prenons deux exemples.

Dans le domaine des transports, après une croissance moyenne d’environ 5% en 2023, une hausse des prix des péages autoroutiers est prévue au 1er février 2024 (proche de 3%). Or, si cette augmentation pourrait être relativement bien « perçue » par les automobilistes, elle ne plaît guère aux sociétés concessionnaires d’autoroutes car celles-ci souhaitent répercuter sur les tarifs des péages, la future taxe sur le transport de longue distance prévue par le PLF 2024. Les plus fortes hausses concerneront les réseaux de concessions dont l’État est actionnaire majoritaire. Les tarifs des péages devraient donc grimper en 2025. Les consommateurs devront donc vraisemblablement réduire leurs déplacements, acheter un véhicule plus économe en carburant…

En matière immobilière, si les aides qui financent l’offre, l’investissement et la demande, coûtent extrêmement cher aux finances publiques, le secteur est une « vache à lait » pour l’Etat, notamment grâce à la hausse des prix du mètre carré et des taux des taxes et des divers impôts. Malgré tout, elles restent inefficaces dans l’ensemble. Avec la crise que connaît le marché ces derniers mois, il y a moins de constructions et moins de transactions (La manne devrait donc « mécaniquement » un peu se tarir pour les finances publiques). Ces conditions peuvent conduire à une modification du comportement des consommateurs, qui peuvent réduire leur surface habitable, acheter une habitation moins chère, rester plus longtemps dans leur logement actuel, vivre plus longtemps avec leurs parents ou leurs enfants…

Malgré tout, les effets de seuil sont difficiles à prévoir et peuvent varier en fonction de la situation économique et des politiques gouvernementales. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !