Stéphane Le Rudulier : "La droite sénatoriale avance sur les retraites mais n'entend pas mettre en sourdine ses revendications"<!-- --> | Atlantico.fr
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Stéphane Le Rudulier, Sénateur Les Républicains, lors d'une séance photo pour l'AFP, le 14 septembre 2022.
Stéphane Le Rudulier, Sénateur Les Républicains, lors d'une séance photo pour l'AFP, le 14 septembre 2022.
©JOEL SAGET / AFP

Travail des sénateurs

Alors que le projet de réforme des retraites du gouvernement a été approuvé en commission au Sénat ce mardi dans une version amendée, le sénateur Stéphane Le Rudulier dévoile la stratégie des Républicains et revient sur les enjeux de cette réforme. Stéphane Le Rudulier a déposé un amendement visant à lancer une « étude de l’introduction d’une dose de capitalisation collective dans le système de retraite par la création d’un fonds public d’épargne retraite souverain et obligatoire pour tous les assurés, du secteur privé comme du secteur public ».

Stéphane Le Rudulier

Stéphane Le Rudulier

Stéphane Le Rudulier est sénateur Les Républicains des Bouches-du-Rhône (Provence-Alpes-Côte d'Azur).

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Atlantico : Le projet de réforme des retraites du gouvernement a été approuvé en commission au Sénat ce mardi. Qu’est-ce que vous pensez du texte à l’heure actuelle ?

Stéphane Le Rudulier : La procédure choisie, via le 47-1, fait que le texte approuvé en commission est celui du gouvernement. Contrairement à l’Assemblée, nous n’amendons pas en commission mais seulement en séance. C’est une particularité du Sénat sur ces textes de nature financière. Cela fait que nous n’aurons « qu’un essai », en séance publique, à partir de jeudi pour défendre nos positions. Cette procédure nous prive hélas du filtre de la commission précieux pour « épurer » le texte et de démarrer les débats. Ce mercredi sera néanmoins examinée l’irrecevabilité au nom des articles 40 et 45. 

Vous avez déposé un amendement visant à lancer une « étude de l’introduction d’une dose de capitalisation collective dans le système de retraite par la création d’un fonds public d’épargne retraite souverain et obligatoire pour tous les assurés, du secteur privé comme du secteur public. » Pourquoi ? 

Parce qu’il faut dire la vérité aux Français. Nous sommes face à une redoutable réalité démographique. Et je crains fort que le décalage de l’âge de la retraite, de 62 à 64 ans, ne suffise pas à pérenniser notre système par répartition. Et si nous ne changeons pas de paradigme, si nous ne proposons pas un nouveau contrat social avec les Français, nous reviendrons devant eux dans quelques années pour leur expliquer qu’il faut aller jusqu’à 67 ou 68 ans. En 1945, nous avions six actifs pour un retraité. Aujourd’hui c’est 1,7. Dans 15 ans, ce sera 1,2. Nous nous dirigeons vers un pic démographique en 2040 couplé à une perte d’actifs. Donc le seul moyen de sauver notre système de retraite par répartition c’est d’adosser à une part de répartition, collective et obligatoire, pour que tout un chacun vienne cotiser pour soi-même. Les rendements sont très satisfaisants dans les pays qui l’ont mis en place. Ce qu’il faut absolument, c’est que la capitalisation soit accessible à tous, y compris les plus modestes. Il y a une forme d’hypocrisie en France puisque 8 millions de français actifs bénéficient d’une retraite par capitalisation, dont 3,5 millions dans le public. Généralement, ce sont, dans le privé, les personnes les plus aisées qui peuvent accéder à la capitalisation. Cela permettrait de réfléchir à la philosophie du départ à la retraite : on pourrait rendre la liberté de choisir, selon le taux de cotisation choisi qui pourrait varier pendant la carrière, du moment du départ. Il faut préserver le système par répartition et sa solidarité intergénérationnelle, qui pourra nous garantir un minimum retraite acceptable, puis ajouter la capitalisation pour gonfler la retraite. 

La France est-elle prête à envisager cette possibilité ?

Je pense qu’il y aura beaucoup d’accompagnement et de pédagogie à faire. C’est un sujet très technique mais aussi très politique. Les retraites, c’est un sujet sensible puisqu’il touche à la seconde partie de vie de nos concitoyens. Mais je crois profondément en l’intelligence des Français. Notamment, si on leur explique que sans changement de philosophie, nous serons contraint de repousser sans fin l’âge de départ légal, ils peuvent parfaitement appréhender le sujet. Si on leur dit que la capitalisation est le moyen d’éviter une nouvelle crise sociale, plus profonde, dans cinq ou dix ans, en changeant de paradigme. J’aime à rappeler que le premier système de retraites adopté en France, en 1909- 1910, était un système par capitalisation ciblé sur les ouvriers et les paysans. Même Jean Jaurès, à l’époque, avait soutenu ce système en y voyant une avancée sociale sans précédent. Par ailleurs, nous ne demandons pas sa mise en place aujourd’hui mais une réflexion sur le sujet. 

La capitalisation fait-elle consensus chez votre famille politique ?

Dans notre famille politique, c’est une idée qui est majoritaire. Nous en avons parlé en réunion de groupe mardi matin et personne ne s’y oppose. Mais ce qui est primordial, c’est qu’elle soit accessible à tous et obligatoire. 

Philippe Juvin avait déposé un amendement similaire à l’Assemblée nationale, sans succès. Pensez-vous qu’il puisse en être différemment au Sénat ? 

Oui, je pense que nous aurons gain de cause. La procédure du 47-1 nous laisse très peu de marges de manœuvre, c’est pourquoi nous ne pouvons demander qu’un rapport. Il serait impensable de faire la révolution sociale et de changer de paradigme à travers un Projet de Loi de Financement de Sécurité Sociale. Mais ce qu’on peut reprocher au gouvernement, c’est qu’il aurait proposer un nouveau contrat social, avec un texte beaucoup plus large. On aurait dû évoquer des thèmes chers aux yeux des Français : la politique familiale, de transmission du patrimoine de son vivant, de fiscalité, de la pénibilité, etc. En résumé, tous les sujets annexes mais essentiels à cette réforme qui n’est que purement comptable. C’est la raison pour laquelle il faut pousser l'exécutif à réfléchir différemment sur le système des retraites. 

Que peut votre groupe, dans les circonstances actuelles, sur cette réforme ? 

La droite sénatoriale peut faire des choses et doit faire bouger les lignes pour rendre ce texte plus acceptable. Il est pour l’heure relativement injuste que ce soit sur les questions de pénibilité, de carrière longues, de pensions de réversion pour les adultes handicapés, sur la carrière hachée des femmes, etc. Nous ferons valoir nos idées avec force tout en tenant bon sur l'objectif initial de la réforme : équilibrer le régime à objectif 2030. Chaque mesure sociale, chaque avancée sociale qui va peser sur le budget de la sécurité sociale devra être compensée par des recettes nouvelles. Et nous le ferons notamment grâce à un focus sur la fraude sociale. Nous allons aussi proposer de faire sauter la clause du grand père et d’accélérer l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général. 

Le Sénat est-il plus propice que l’Assemblée nationale pour faire voter ce texte ? 

Bien sûr, car nous aurons des débats plus apaisés. C’est ce qui fait l’ADN du Sénat, seul pôle institutionnel qui demeure stable ! Et les différents groupes ont tout intérêt à ce qu’il y ait un vote global et définitif sur ce texte pour évoquer l’ensemble des volets puisque c’est celui-ci qui pourrait servir de référence pour la Commission Mixte Paritaire qui aura lieu après le 12 mars. Sans cela, nous aurions un débat inachevé dans les 2 chambres non validés. Ce ne serait pas entendable et totalement inédit sous la cinquième République ! Cette situation remettrait en cause le fondement même de la démocratie parlementaire car le gouvernement pourrait malgré tout faire un passage en force à travers le 49-3 ou encore par les ordonnances. Au vu du climat social, ce serait un mauvais message envoyé aux Français et un risque beaucoup trop important. 

Où sont les responsabilités de ce qui s’est passé à l’Assemblée ? Qu’est-ce qui permettra une situation différente au Sénat ? 

La première responsabilité est celle de l’extrême gauche, qui n’a pas pleinement compris ce qu’était le rôle d’un parlementaire. La principale mission d’un parlementaire est de concevoir la loi et in fine de se prononcer pour ou contre ce qui a été élaboré par l’assemblée. Et non pas de pratiquer l’obstruction à outrance pour éviter le débat de fond! La seconde responsabilité, c’est celle du gouvernement qui a choisi le temps programmé sur une réforme des retraites demandant un échange approfondi et apaisé. C’est une erreur d’appréciation du gouvernement qui a confondu vitesse et précipitation ! Le conseil constitutionnel s’étant même interrogé sur la véhicule législatif choisi ! Au sénat, fort heureusement nous n’aurons pas à faire face à la radicalité de certains groupes comme ça a pu être le cas à l’Assemblée.

A l’Assemblée nationale, il y a eu des tensions autour d’Aurélien Pradié et de certains députés hostiles à la réforme. Le premier s’est vu retirer sa vice-présidence du parti. Risque-t-on les mêmes tensions au Sénat ?

Non, absolument pas. Aurélien Pradié a brouillé notre ligne politique ! Mais cela demeurera un épiphénomène. Car, quel est son squelette idéologique sur la réforme des retraites ? J’aurais pu comprendre sa position si les critiques exprimées portait sur la philosophie globale de la réforme, sur le logiciel choisi. S’il avait refusé de voter le texte en mettant en avant qu’il était impérieux d’introduire une dose capitalisation pour pérenniser notre système de répartition, par exemple, cela aurait pu s’entendre. Mais ce n’est pas ce qu’il mettait en avant. il s’est contenté d’être en désaccord sur les carrières longues pour mettre en péril notre stratégie. Il s’est progressivement isolé au sein de notre famille politique. 

Au Sénat, le groupe fait bloc. Nous restons bien ancrés sur nos fondamentaux en mettant en avant la cohérence des idées, la constante des convictions sans oublier la force du collectif et ce, qu’elles que soient les nuances que chacun d’entre nous peut avoir sur certains de sujets. Il n’y aura donc pas de surprises. La séquence a aussi, je pense, rapproché Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau. Une coordination est en train de s’installer durablement entre le Sénat, l’Assemblée et le parti. Au final, c’est un mal pour un bien. Il y a une clarification de la ligne politique. Désormais, nous reconstruisons notre mouvement avec beaucoup plus de clarté. 

La réforme des retraites a longtemps été portée par la droite, c’est finalement Emmanuel Macron qui la met en place, vous laissant dans une position inconfortable. Pensez-vous pouvoir réussir à mieux incarner l’opposition à l’avenir ?

Cela fait des années que notre famille ne réfléchit plus, des années que nous n’avons pas repensé notre corpus idéologique. Sur les retraites, sur l’immigration, on le voit bien. Il faut tout remettre à plat. Il faut 12 à 24 mois, sans doute via des conventions thématiques, pour reforger notre corpus idéologique. Peut être avec une urgence sur l’Europe, puisque les élections européennes vont arriver vite. Une fois notre squelette idéologique rénové, nous redeviendrons crédibles et pas seulement sur le régalien. Aujourd’hui, on ne parle pas suffisamment de logement, d’agriculture, d’éducation, de jeunesse, etc. Notre famille doit reprendre le leadership sur l’ensemble des sujets qui fondent un projet de société. Il faut cesser de courir derrière le gouvernement. Pour l'instant, il maîtrise le tempo et nous le constatons sur chaque texte. Si nous réfléchissons en amont, nous n’aurons pas besoin de tout arbitrer en bureau politique. Il faut aussi rendre la parole aux militants. Jean Leonetti travaille sur ces sujets et je pense que c’est l’urgence du moment. Je reste convaincu que la macronie n’existe pas idéologiquement. Donc je pense que chacun reviendra à ses premiers amours avant même 2027, ce qui laissera l’opportunité de reconstruire une droite républicaine, si tant est que nous ayons un nouveau projet à proposer aux Français. 

Que ce soit sur les retraites, ou sur l’immigration, vaut-il mieux voter une réforme décevante que pas de réforme du tout ? 

C’est une question que l’on se pose à chaque fois. Mais face à l’urgence, même si la réforme est décevante et ne va pas jusqu’au bout des choses, elle constitue tout de même un petit pas dans la bonne direction. La France doit-elle être bloquée pendant cinq ans ? Peut-elle se le permettre ? Je ne pense pas. La France est abîmée, notre pays vit un déclassement à l’échelle mondiale. Nous sommes une opposition de gouvernement, à partir de là nous préférons des avancées insuffisantes ou incomplètes que rien du tout.

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