Sous-estimer ou sur-estimer la part de responsabilité de l'extrême-droite dans les contestations actuelles du pouvoir : quel est le pire danger ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Réagissant hier matin aux événements du 11 novembre, Manuel Valls a souhaité dénoncer les "factieux" qui menaceraient les valeurs républicaines du pays. Un jeu dangeureux ?
Réagissant hier matin aux événements du 11 novembre, Manuel Valls a souhaité dénoncer les "factieux" qui menaceraient les valeurs républicaines du pays. Un jeu dangeureux ?
©Reuters

Dilemme

Au lendemain des événements du 11 novembre, l'exécutif a souhaité dénoncer les "factieux" et les extrémistes qui ont perturbé la cérémonie des Champs-Elysées. En sur-représentant le pouvoir de nuisance de quelques marginaux, le pouvoir risque cependant d'offrir une publicité non nécessaire à des mouvements peu représentatifs.

Atlantico : Réagissant hier matin aux événements du 11 novembre, Manuel Valls a souhaité dénoncer les "factieux" qui menaceraient les valeurs républicaines du pays. En exagérant le poids des associations d'extrême droite dans le paysage français, ne joue-t-on pas un jeu dangereux ? Plus dangereux même qu'une sous-estimation du pouvoir de ces mêmes formations ?

Olivier Rouquan : On est dans un pouvoir qui traverse une phase difficile. Tout trouble à l’ordre public, d’où qu’il vienne, doit être immédiatement, et c’est le rôle du ministre de l’Intérieur, circonscrit, circonvenu, au titre de pouvoir de police administrative. Le fait de voir l’extrême droite agir de la sorte au cœur d’une cérémonie symbolique où le pouvoir en place essaie de faire passer un message consensuel sur l’unité de la nation, en honorant ses soldats morts pour la France, ne laisse pas indifférent. On est ici dans un exercice de pratique, concernant tous les responsables politiques quelle que soit la majorité au pouvoir, un exercice républicain ou il y a un moment de partage, de patriotisme. Il semble donc légitime que le ministre de l’Intérieur soit assez tranchant et intransigeant vis-à-vis de tout fauteur de trouble. Si nous avions à faire a un pouvoir de droite la réaction serait tout à fait identique.

Laurent Pinsolle : Le terme "factieux", selon le dictionnaire, qualifie des personnes "qui s’opposent violemment au pouvoir établi pour provoquer des troubles". Même si je pense que les cérémonies du 11 novembre ne sont pas le moment pour siffler le président de la République, le terme est sans doute exagéré pour qualifier un tel incident.

Une partie de la gauche a la fâcheuse habitude de sombrer dans des qualificatifs excessifs pour dénoncer certaines critiques venues de la droite ou de l’extrême droite, tombant rapidement dans le point Godwin. On peut penser récemment à Jean-Luc Mélenchon, qui évoquait une "rafle" dans l’affaire Léonarda. Ces caricatures outrancières posent de nombreux problèmes. Outre le fait de trivialiser des moments graves de notre histoire, convoqués à tort et à travers (et de faire une comparaison très hasardeuse pour la mémoire des victimes de ces régimes),on peut se demander si cela ne concourt pas à promouvoir l’extrême droite en collant une étiquette d’extrême droite à des faits qui n’en sont pas. En effet, cela peut déculpabiliser les citoyens pour aller vers l’extrême-droite si les comportements qui sont qualifiés comme tel ne le sont pas.

Alors que le Front national souhaite se débarrasser du qualificatif "d'extrême droite", la définition du terme fait polémique. Comment pourrait-on qualifier les mouvances d'extrême droite à l'heure actuelle ?

Olivier Rouquan : On pourrait définir des mouvement d’extrême droite comme des structures ayant une conception de la nation assez "ethniciste" et de nature anti-républicaine car opposée à l'idée d'une nation portée vers l’universalisme. Ses membres préfèrent parler de Français de souche et considèrent comme une injure a la République le fait d’honorer les "indigènes" morts pour la France. On trouve ici la définition classique d’un nationalisme d’extrême-droite qui se définit par une conception étriquée, fondée sur le droit du sang, la référence à un mythe des origines, telle que l’extrême droite du XIXe siècle l’entendait. Le Front national a existé à partir des années 1970 en reformant ces groupuscules. Depuis la transition de pouvoir entre Jean-Marie et Marine Le Pen, le FN  cherche à échapper à cette origine. On voit ainsi régulièrement des déclarations qui semblent défendre une conception universaliste sur le plan des valeurs. Cependant, qu’elle le veuille ou non, il y a une filiation historique qui persiste.

Laurent Pinsolle : La définition du terme fait polémique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, une majorité de Français pensent que le clivage gauche-droite est dépassé, même s’ils continuent à s’y référer par habitude. Ensuite, il n’y a pas une seule mouvance d’extrême droite, mais plusieurs. Certaines sont farouchement catholiques, d’autres profondément athées. Certaines sont très attachées à la nation, d’autres se réclament d’une forme d’occidentalisme européen dépassant nettement le cadre national. Certains sont islamophobes. D’autres peuvent être islamophiles mais antisémites. On y trouve aussi en général le culte d’un chef volontiers autoritaire. L’extrême droite, ce sont aussi des références qui sortent du cadre démocratique et républicain (au nazisme, à Vichy, au fascisme italien, à l’OAS). Enfin, de tous temps, l’extrême droite stigmatise l’étranger, l’autre, en cherchant à faire peur à la population.

Quand on examine tous ces critères, il est clair que le Front national est un mouvement d’extrême droite. Les récentes déclarations de Jean-Marie Le Pen sur le "lobby musulman" qui expliquerait la crise de la filière porcine en Bretagne, malgré les évidences chiffrées, celle de sa fille sur les Merah en puissance ainsi que tout le discours de ce parti sur les Français de confession musulmane révèle un fond très islamophobe, typique de l’extrême droite. Idem sur le culte du chef : avoir une "certaine admiration" pour Vladimir Poutine, comme Marine Le Pen, est dérangeant étant données les atteintes aux droits de l’homme dans ce pays. De plus, les références à l’extrême-droite historique sont légions, du logo du parti, directement inspiré des néo fascistes italiens, aux éloges de Bastien Thiry ou Dominique Venner. Enfin, même si on peut critiquer la politique migratoire de la France, le FN le fait en mentant outrageusement pour faire peur. Bref, on retrouve au FN tous les traits caractéristiques de l’extrême droite.

Quelle peut-être le potentiel de nuisance de ces formations dans la vie politique quotidienne ? Peut-on dire que les valeurs républicaines soient aujourd'hui concrètement en danger ?

Olivier Rouquan : Nous sommes dans une démocratie de l’instantané, une sorte de "médiacratie", qui fait que dans une période de crise profonde, toute action de rue dramatisée obtient un écho démultiplié. Il est évident dans ce cadre que des groupes motivés peuvent, par leur activisme, obtenir une forte exposition. Ainsi s'offre à eux la possibilité de déstabiliser, progressivement du moins, le message républicain dominant et officiel. De proches en proches, plusieurs mouvements de rue, activistes, pourraient donc bien paralyser l’action publique et rendre inaudible le message politique traditionnel.

Laurent Pinsolle : Aujourd’hui, le potentiel de nuisance des petites formations d’extrême droite est limité. Leur audience est faible (même si elle est sans doute grandissante). Elles ne vont pas renverser la République. Leurs actions outrancières sont rejetées par une grande majorité de la population. C’est tellement vrai que le FN se sent obligé de donner des gages (la stratégie de dédiabolisation) pour progresser, n’hésitant pas à exclure certains de ses membres qui dérapent. Que ce parti en ressente le besoin est le signe que, même si la République traverse une très grave crise, elle est plus solide qu’on ne le pense.

De manière plus générale, la montée du sentiment nationaliste fait le tour des chaînes d'information ainsi que des débats télévisés. Cette mise en image d'une "vague populiste" correspond-elle à la réalité ? Est-elle exagérée ?

Olivier Rouquan : On retombe sur des points connus. On nous explique que l’on est en crise depuis 40 ans et que l’émergence des populismes et des néo-populismes est une conséquence de cette dynamique économique. Il y a un lien, une corrélation, ce qui peut expliquer que le FN obtienne une meilleure audience ainsi que la possibilité, l'avenir le dira, de décrocher plusieurs mandats locaux. Si cette montée de mécontentement populaire en Europe est incontestable, cela ne se traduit pas automatiquement pas toujours par une exacerbation de la nation au sens ethniciste du terme, avec en toile de fond la revendication d’un pays débarrassé de ses éléments supposés "impurs". On note ainsi en Espagne, la montée d’un sentiment nationaliste qui n’est pas lié, pour l’instant, à un nationalisme étriqué revendiquant une nationalité ferme. Peut-on pour autant parler d’un nouveau populisme ? Certainement, et cela repose pour beaucoup de citoyens sur le sentiment de ne pas toujours être suffisamment reconnu. Cette tendance s'inscrit toutefois dans le temps long puisqu'il s'agit d'un ensemble de faits déjà constatés depuis les années 1970.

Laurent Pinsolle :Il ne faut pas oublier que les nouveaux moyens de communication (réseaux sociaux, connexion en permanence) ont un rôle majeur dans la visibilité de certaines opinions. Il y a quelques années, quand l’usage de Facebook était limité, que Twitter n’existait pas et que l’équipement en téléphones connectés était faible, certains propos ou actes restaient invisibles du grand public et des médias. En outre, ces nouveaux médias sont propices aux dérapages car ils permettent de communiquer immédiatement, sans réfléchir à deux fois avant le faire.

Je ne pense pas qu’il y ait une forte montée du sentiment nationaliste. Je crois qu’il est simplement plus facilement visible. En revanche, il y a sans doute un rejet grandissant de cette mondialisation, qui produit une forte poussée des inégalités, des vagues de délocalisations, et qui ne profite qu’aux multinationales, aux banques et aux plus riches. En revanche, il y a sans doute une forte soif de patriotisme, que l’on retrouve dans l’attention de plus en plus grande que portent les Français au lieu de production de ce qu’ils achètent.

Après, il est clair que le peuple français est extrêmement insatisfait, et à raison, de ses dirigeants, qu’ils soient UMP ou PS. Mais le terme populisme pose problème. Il est utilisé de manière négative, en impliquant que le peuple serait uniquement sensible à la démagogie. C’est un moyen commode des élites pour mettre un couvercle sur la colère de la population qui n’en peut plus de cette insécurité et injustice économique. Le niveau de chômage, la baisse du pouvoir d’achat ou la gestion ubuesque de certains dossiers (Léonardaécotaxe) rendent parfaitement légitime cette colère populaire contre les dirigeants du pays.

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