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SOS vision politique : les Français atterrés par leurs partis et prêts à voter pour des candidats dissidents… mais pourquoi est-il devenu si difficile de les convaincre ?
©Reuters

Génération nulle

74% des Français ont un sentiment négatif des partis politiques, selon un sondage Elabe pour Atlantico. La faute à une complexification du monde, où les clivages se font dans la nuance, depuis la fin de l'affrontement communisme-capitalisme. Un défi pour les représentants politiques d'aujourd'hui.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Vous avez réalisé un sondage pour Atlantico pour mesurer la perception des partis politiques et de ceux qui les animent. Qu'avez-vous pu observer ?

Yves-Marie Cann : Les résultats du sondage réalisé par Elabe pour Atlantico témoignent du climat particulièrement dégradé auquel doivent faire face aujourd'hui les organisations politiques et ceux qui les animent. Invités à préciser ce qu'évoquent aujourd'hui pour eux les partis politiques, une large majorité de répondants (74%) se positionnent sur un item négatif : 40% éprouvent de l’inquiétude à propos des partis politiques et jusqu’à 34% de la colère. S’ajoute à cela le fait que les partis politiques suscitent l’indifférence de 22% des personnes interrogées. Au final, seuls 4% nous donnent une réponse positive : 1% répondent que les partis leur inspirent de l’enthousiasme et 3% de la confiance. De tels résultats illustrent l'impasse dans laquelle semblent aujourd'hui se trouver les formations politiques françaises, comme en témoigne d’ailleurs la faiblesse numérique de leurs effectifs d’adhérents. De partis de masse dans les années 1970 et 1980, nous avons désormais face à nous des partis qui s'apparentent pour l'essentiel à des partis de cadres, c'est-à-dire des groupements d'élus, de collaborateurs d'élus et de leurs proches. Jamais sans doute depuis des décennies la distance avec les citoyens et la base électorale n'a été aussi grande. 

Cette situation n'est pas sans conséquences pratiques, puisque comme le montre notre sondage la marque partisane s'avère extrêmement faible dans la perspective de l'élection présidentielle. Certes, elle fonctionne toujours comme un repère utile pour se positionner dans le champ politique, mais elle ne garantit pas pour autant le vote en temps d'élection. Ce sont ainsi 78% des personnes interrogées qui nous répondent qu'elles pourraient voter pour un candidat qui serait ni issu ni soutenu par un parti politique à l'élection présidentielle, un tiers allant même jusqu'à répondre "oui, certainement" à cette proposition. Enfin, invités à préciser quel est l’élément qui compte le plus dans leur choix à l’élection présidentielle, 59% répondent le programme du candidat, 20% son expérience, 16% sa personnalité… et seulement 5% le ou les partis qui le soutiennent.

>>>>> Lire aussi : Forte envie d'autres têtes : 78% des Français prêts à voter pour un candidat ni issu ni soutenu par un parti et 66% pour un candidat en dissidence avec le sien

Dans un sondage Elabe pour Atlantico, 74% des sondés ont un sentiment négatif à l'égard des partis politiques (ressentent de la "colère" ou de "l'inquiétude"). Quelle part peut-on attribuer au fait que les gouvernants se soient défaussés du politique au profit des réponses techniques ?

Vincent Tournier : Peut-on dire que les politiques se sont défaussés sur les experts ? Les experts sont sans doute plus présents qu’avant, mais les politiques continuent de tenir les leviers de commande. C’est pourquoi l’idée d’une crise des partis politiques n’est pas vraiment justifiée. Plus exactement, tout dépend de ce que l’on entend par crise. Les partis politiques ont une mauvaise image, mais ce n’est pas nouveau. De plus, même si cette crise de confiance s’est aggravée, cela n’empêche pas les partis de continuer de jouer un rôle central dans la vie politique, peut-être même encore plus central que dans le passé. Un signe ne trompe pas : ce sont toujours les partis qui sélectionnent les candidats aux élections, et la grande majorité des élus continuent d’appartenir aux partis de gouvernement. Lors des élections, on n’assiste pas à un court-circuitage des partis par des candidats indépendants, et la plupart des élus sont toujours issus des grands partis.

Les primaires fournissent une illustration supplémentaire de cette situation paradoxale. Certes, les primaires visent à répondre à la crise de confiance que connaissent les partis : elles cherchent à leur donner un coup de jeune (et au passage à trancher les querelles de leadership). Mais la polarisation des débats actuels autour de ces primaires démontre que tout passe encore par les partis. On voit bien d’ailleurs que les principaux leaders continuent de scruter attentivement ce qu'il se passe dans la vie interne des partis et ne négligent pas de les contrôler. Est-ce un hasard si Nicolas Sarkozy a bataillé ferme pour prendre la présidence de l’ex-UMP ? Donc, paradoxalement, jamais les partis n’ont été aussi peu aimés, mais jamais ils n’ont joué un si grand rôle dans la vie politique. Est-ce dû à un certain légitimisme des Français ou, plus simplement, à une peur de l’inconnu ? En tout cas, le système tient bon.

Depuis la chute du mur de Berlin, l'Occident a perdu une opposition structurante de la vie des idées.  D'une confrontation entre communisme et capitalisme, l'offre se différencie plutôt sur des nuances de capitalisme...Si les hommes politiques n'arrivent pas à satisfaire ceux qu'ils sont censés représenter, dans quelle mesure cette complexification du monde rend-elle la tâche difficile aux représentants politiques ?

Vincent Tournier : L’effondrement du système communiste a donné un regain de légitimité aux idées libérales et a discrédité tout projet alternatif. Le libéralisme est devenu le credo de référence : c’est par rapport à lui qu’il faut se situer, ce sont les idées libérales qui servent de point de départ à toute discussion, ce qui n’était pas toujours le cas autrefois. Dans le passé, l’intervention de l’Etat allait au contraire de soi et il fallait justifier une réforme libérale. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : l’intervention de l’Etat est a priori suspecte, ce qui n’est pas sans poser problème pour justifier la régulation de certains problèmes comme la drogue, l’obésité ou la burqa.

Face à la puissance idéologique du libéralisme, la gauche est bien en peine de proposer une réponse. Il suffit de voir le malaise de François Hollande lorsqu’un journaliste de France Inter lui demande naïvement s’il est "encore un homme de gauche". Non sans hésitation, François Hollande s’est abrité derrière son statut de président et s’est contenté de répondre qu’il a toujours été favorable à l’égalité, à la dignité et au progrès. Il n’a pas pris de risque : qui peut être en désaccord avec des valeurs aussi consensuelles ? Qui souhaite l’inégalité, le mépris et la régression ? Les journalistes devraient peut-être essayer de le titiller un peu plus sur ce sujet.

Quoiqu’il en soit, ce rétrécissement dans l’éventail du discours politique est probablement un facteur de démobilisation des électorats. En même temps, force est de constater que les électeurs ne choisissent pas les candidats qui entendent se démarquer radicalement du libéralisme. C’est sans doute parce que, d’une certaine façon, les idées libérales rassurent, ce qui peut se comprendre : une société qui accorde du prix aux libertés est certainement plus satisfaisante qu’une société qui les rejette.

Il reste qu’un sentiment diffus se répand. Les électeurs voient bien que les dirigeants tiennent à peu près les mêmes discours et, surtout, qu’ils mènent des politiques comparables. Ils en tirent la conclusion que les contraintes sont très fortes, ce qui leur ôte toute illusion sur les politiques alternatives, donc sur le rôle des élections. D’où la situation paradoxale que nous connaissons : d’un côté une crise de confiance dans la représentation politique, de l’autre aucun contre-projet crédible.

En réaction, et dans la plupart des pays occidentaux, des hommes politiques extérieurs à l'etablishment, comme Bernie Sanders aux Etats-Unis, Ciudadanos en Espagne ou Syriza en Grèce obtiennent de bons résultats. Cela peut-il nous renseigner sur l'importance des clivages en politiques ?

Vincent Tournier : Je ne suis pas sûr que ces dynamiques électorales soient comparables. Ce que l’on observe aux Etats-Unis, c’est une double dynamique électorale, avec Bernie Sanders à gauche et Donald Trump à droite. On a ici affaire à une polarisation idéologique très forte, qui ne doit pas avoir beaucoup d’équivalent dans l’histoire électorale américaine, sauf peut-être dans les années 1930.

Cela dit, sur Bernie Sanders, il faut rester prudent car il n’a pas encore obtenu l’investiture du Parti démocrate (cela est vrai aussi pour Trump). Or, plusieurs facteurs jouent contre lui, à commencer par son âge (74 ans) et le fait qu’il ne s’est jamais identifié au Parti démocrate, auquel il n’a adhéré qu’en 2015, préférant se réclamer du socialisme, ce qui est mal vu aux Etats-Unis. Malgré tout, les sondages indiquent que Sanders est mieux placé qu’Hillary Clinton pour l’emporter face à la plupart des candidats républicains, ce qui montre bien qu’il répond à une dynamique originale. En même temps, s’il obtient l’investiture, il risque fort de devoir évoluer. Le système électoral américain pousse en effet les candidats à recentrer leur discours car, pour l’emporter, ils doivent obtenir des délégués dans tous les Etats. Or, certains Etats sont très conservateurs, donc nulle victoire n’est possible sans faire des concessions, ce qui est vrai aussi pour le candidat de droite. Ajoutons aussi que, si Sanders est élu président, ses moyens d’action seront de toute façon limités par le cadre constitutionnel. N’oublions pas que les pouvoirs du président américain sont restreints. On l’a bien vu avec Barak Obama : ce dernier a suscité un fort enthousiasme, notamment chez les intellectuels européens, mais au final, il va laisser un maigre bilan.

Pour ce qui est de l’Europe, la situation est différente. Les dynamiques de contestation que l’on a vu surgir avec Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce ne sont pas généralisables. En dehors de ces pays, la dynamique électorale se situe surtout du côté des mouvements nationalistes, même si ceux-ci relèvent de sensibilités différentes (certains sont plutôt conservateurs, d’autres plutôt libéraux). Ce qui est sûr, c’est que la crise de 2008 n’a pas bénéficié à la gauche radicale. L’Espagne et la Grèce sont des exceptions, sans doute parce que ces pays sont dans une situation de crise économique particulière, mais aussi parce qu’ils se trouvent éloignés du cœur économique de l’Europe, voire également parce qu’ils n’éprouvent pas la même allergie au socialisme que les pays d’Europe de l’est.

En tout cas, on en revient au même constat : sauf cas particulier, les idées de gauche ne parviennent pas à s’imposer, au moins sur le plan social et économique. C’est sans doute ce type de constat qui poussent François Hollande et Manuel Valls à se "droitiser" : ils partent du principe que, par les temps qui courent, il n’y a guère d’avenir électoral à gauche. Cela ne les empêchera pas d’envoyer des messages à l’électorat de gauche pendant l’année 2016, mais ils le feront plutôt en jouant sur des sujets de société comme les femmes, la bioéthique ou les immigrés. Ce sont des sujets moins risqués que la nationalisation de l’industrie, le contrôle des banques ou le protectionnisme agricole.

Comment selon vous les représentants politiques pourraient-ils mieux se faire entendre dans ces conditions ?

Christophe de Voogd : Le sondage est d'une clarté limpide. Et de plus, ce rejet des partis est universel (jamais moins de 70% de critiques), y compris dans les csp + et à Paris, que l'on croyait "hors sol". En revanche, je ne pense pas l'on doive attribuer ce rejet à la fin de la dichotomie capitalisme/ communisme. Pour une raison très simple: cette dichotomie n'était valide que pour les pays du Sud de l'Europe, en particulier la France et l'Italie. Or, la défiance à l'égard des partis politiques existe aussi bien dans le nord de l'Europe, où le communisme a toujours été marginal.  Il faut donc chercher ailleurs...

Cet "ailleurs", c'est l'abandon général dans nos démocraties des "grands récits" qui caractérisaient le paysage politique européen jusqu'au début des années 1980 : aussi  bien le récit national/conservateur de la droite que le récit égalitaro/progressiste de la social-démocratie. Les uns et les autres se sont confondus dans une gestion au jour le jour des crises socio-économiques successives et, pour le reste, - le "sociétal" - ils ont fonctionné sous la houlette d'un politiquement correct omnipotent. Donc rien à voir, ni avec le communisme ni avec le capitalisme...

D'où l'impression croissante d'un "pareil au même", oscillant au final entre centre gauche et centre droit. En France, le chiraquisme et le hollandisme auront représenté l'apogée de cette formule. Mais il serait aisé de voir la même chose - et la même fausse alternance - dans la plupart des démocraties européennes, de la Grande-Bretagne post-Thatcher à l'Allemagne, en passant par les Pays-Bas . Et voilà pourquoi face à ce marais gestionnaire, les discours populistes engrangent un tel succès. Non pas en fonction de leur cohérence mais de leur appel à l'imaginaire et à la mythologie politique : chef charismatique, unité, âge d'or, et surtout COMPLOT. 

Voilà qui constitue en effet un défi de taille pour les hommes politiques d'aujourd'hui, surtout pour ceux qui veulent incarner un renouveau. la solution est pourtant à portée de la main; et elle se trouve déjà chez Rousseau : quelle est la mission d'un vrai homme politique (ce qu'il appelle "le législateur") ? "Eclairer la volonté générale". C'est-à-dire faire de la PEDAGOGIE.


Or, qui aujourd'hui, dans la classe politique, et je ne parle pas que de la France, fait la pédagogie d'un monde en pleine révolution ?

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