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Une vue du Fonds monétaire international (FMI) à Washington, aux Etats-Unis.
Une vue du Fonds monétaire international (FMI) à Washington, aux Etats-Unis.
©OLIVIER DOULIERY / AFP

Ordre libéral

Si le défi climatique n’échappe à personne, beaucoup ne voient pas les multiples problèmes que cause le dérèglement des institutions internationales qui ont pourtant très largement permis la prospérité collective des dernières décennies.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Atlantico : Dans quelle mesure les grandes institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, etc.), créées à Bretton Woods au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont-elles cessé de fonctionner correctement ?

Dov Zerah : L’exemple le plus patent est celui du FMI. Il avait été créé au lendemain de la seconde guerre mondiale pour éviter les dévaluations compétitives dont la multiplication dans l’entre-deux-guerres avait été considéré comme un des facteurs de l’antagonisme entre les nations. Sa perte d’influence s’est effectuée en deux étapes :

- Les Accords de la Jamaïque en 1975 avec la fin des changes fixes. C’est le point d’aboutissement de la période ouverte par Washington en 1971 ; dans l’incapacité de contrôler ses déficits, les États-Unis « ont cassé le thermomètre » avec la fin de l’étalon-or, la convertibilité du dollar en or, et, in fine, la remise en cause des changes fixes. Toute la construction de l’après-guerre avec ses disciplines a été jetée aux orties.

N'ayant plus d’objet, le FMI s’est réinventé en devenant le financeur des pays en développement sous conditions d’adopter ses préconisations de politique économique et de politiques publiques. « De gardien des changes », le FMI est devenu « faiseur de plans d’ajustement structurel ».

- Le dumping monétaire chinois Depuis plus de deux siècles et Adam SMITH, le père de l’économie politique, tous s’accordent à considérer que l’échange international est profitable à tous sous réserve que certaines règles soient respectées dont le retour à l’équilibre extérieur par la modification des prix relatifs et des taux de change.

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Un pays en déficit structurel doit déprécier sa monnaie pour que la modification des prix relatifs lui permette de retrouver de la compétitivité. En sens inverse, un pays en excédent structurel doit apprécier sa monnaie pour écorner sa compétitivité et permettre le retour à l’équilibre. À défaut l’échange n’est pas équitable.

Alors que l’Empire du Milieu ne cesse d’accumuler des excédents commerciaux et que ses partenaires cultivent les déficits, les autorités de Pékin continuent de manipuler leur monnaie en la dépréciant, au lieu de la réévaluer. En sous-estimant volontairement le yuan, les Chinois peuvent continuer à inonder le Monde avec leurs produits.

Le FMI a été le « pompier de nombreuses crises » comme celles argentine ou mexicaine, mais n’a nullement anticipé celles apparues depuis une vingtaine d’années… De même, il n’a rien fait pour développer les droits de tirage spéciaux (DTS) susceptibles d’installer une monnaie véhiculaire du commerce international dissociée des déficits américains. Malgré tous les discours, le dollar a encore de beaux jours devant lui, nonobstant les pratiques extraterritoriales de l’Oncle Sam. La Chine ou l’Europe pourrait contester la primauté du dollar à condition que la première cesse de manipuler sa monnaie et que la seconde affirme une ambition de puissance.

Le constat peur être identique tant pour :

- L’OMC est aujourd’hui en panne. Alors que les Accords de Marrakech en 1994 avec le passage du GATT à l’OMC constituaient une véritable avancée de la gouvernance mondiale, les coups de boutoir des tentatives protectionnistes américaines et les différents dumpings chinois ont bloqué l’institution…

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- Le bureau international du travail (BIT) avec les pratiques chinoises ; plus que la faiblesse du coût salarial, c’est le non-respect des règles du BIT qui est problématique.

Seule la Banque mondiale continue à jouer son rôle malgré l’absence de « success story » en matière de développement et la contestation de banques régionales ou continentales au premier rang desquelles la banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII) ; cette dernière a été créée par Xi JINPING en 2013 pour consolider « les routes de la soie » et la mainmise de l’Empire du Milieu sur les pays asiatiques.

Atlantico : Qu’est-ce qui explique ce dérèglement progressif des institutions qui constituent le cœur du libéralisme planétaire ?

Dov Zerah : À partir du moment où certains pays sont dans une logique d’affirmation et de conquête, la place du dialogue et de la concertation, moteur systémique de ces institutions, diminue mécaniquement. La gouvernance mondiale a été mise à mal par :

- Les États-Unis, leurs déficits, leurs interventions militaires sans accord du Conseil de sécurité… Échaudés par leur trop longue présence en Afghanistan et leur expédition calamiteuse en Irak, ils se replient laissant des espaces que la Chine n’hésite pas à explorer.

- La Russie avec la Tchétchénie dès 1994, la Transnistrie détachée de la Moldavie, la Géorgie en 2007 avec l’occupation d’une partie du territoire, l’annexion de la Crimée en 2014, le soutien aux séparatistes de l’Est ukrainien depuis plus de neuf ans, l’invasion de l’Ukraine il y a un an, a violé l’intégrité territoriale de plusieurs pays, bafoué la charte des Nations Unies et plus généralement le droit international…

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Impérialisme et entrisme chinois

- La Chine apparait de plus en plus comme la puissance dominante, « la puissance montante » pour reprendre l’expression de THUCYDIDE. Elle s’affirme de plus en plus avec les violations répétées de Pékin en mer de Chine, les tentatives d’isolement de Taïwan, la remise en cause de l’accord de rétrocession de Hong Kong… Les dernières déclarations de l’ambassadeur de Chine en France révèlent les véritables intentions chinoises dont la réalisation résulte de l’usage de la force, soit par définition la négation du droit international.

L’Empire du Milieu et la Russie ferment les yeux sur toutes les pratiques contraires aux lois internationales, n’hésitent pas à braver les embargos décrétés par l’ONU, soutiennent toutes les dictatures, prennent fait et cause de tous les autocrates et parias de par le Monde…

Les antagonismes entre les trois puissances mondiales dévaluent un peu plus l’ONU dont l’inefficacité est évidente depuis plusieurs décennies. Tout comme la SDN en son temps, l’ONU n’a pu empêcher aucun conflit ni en résoudre aucun. Elle s’est déconsidérée avec les soldats népalais apportant le choléra à Haïti, avec une présidence de la commission des droits de l’homme assurée des dictatures… Dans l’enceinte new yorkaise, un seul sujet fait une quasi-unanimité, la condamnation d’Israël… Que dire de l’UNESCO niant la présence juive à Jérusalem alors que sa vocation est de favoriser la paix par la culture, l’éducation et la science !

Aucune amélioration n’est prévisible compte tenu de l’invasion de l’Ukraine et des récentes initiatives chinoises.

Atlantico : Si le défi climatique n’échappe à personne, à quel point ne voit-on pas les multiples problèmes que cause le dérèglement des institutions internationales qui ont pourtant très largement permis la prospérité collective des dernières décennies ?

Dov Zerah : Depuis la chute du Mur de Berlin, il y a plus de 30 ans, la globalisation a permis l’augmentation du nombre de démocraties et diminué la pauvreté de par le Monde. Mais cette globalisation heureuse prend fin. La pandémie de la COVID a perturbé les échanges internationaux et exacerbé le besoin d’internalisation de certaines activités. L’invasion russe de l’Ukraine a constitué l’opposition de deux blocs, celui des démocraties face à celui des régimes autoritaires emmené par la Chine et la Russie.

Face aux mouvements des plaques tectoniques de la géopolitique mondiale, la lutte contre le changement climatique parait être passée au second plan. Depuis les Accords de Paris, rien de significatif n’a été réalisé alors que le recours à des énergies polluantes s’est développé avec la fermeture du robinet du gaz russe.

Les dysfonctionnements des institutions internationales posent plus problème à la gouvernance mondiale et à l’équité du commerce international qu’à la sauvegarde de la, planète car seule la Banque mondiale est impliquée sur le sujet avec ses financements aux pays du Sud.

Enfin, n’oublions pas la croissance, voire l’explosion démographique qui perturbe tous les mécanismes économiques, remet en cause le fonctionnement des institutions publiques, crée des migrations perturbatrices… fait renaître le risque malthusien et ses effets collatéraux… !

Atlantico : Au regard de la prospérité qu’elles ont pu offrir par le passé et qu’elles pourraient continuer d’offrir, à quel point est-il urgent de remettre sur les rails d’un bon fonctionnement les institutions internationales ? Comment s’y prendre ?

Dov Zerah : Quelles que soient les vicissitudes de la géopolitique, l’urgence climatique et le péril démographique justifient de tout faire pour approfondir la coopération internationale et renforcer la gouvernance mondiale. Comme Sisyphe, il ne faut jamais désespérer, abandonner.

Dans notre monde, la puissance ne réside pas, ne réside plus, dans la conquête de quelques arpents, mais dans la connaissance, la science et la satisfaction des besoins des humains.

N’oublions pas qu’ici-bas, nous ne sommes que locataires et abandonnons toute velléité d’être propriétaire !

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