SOS chômeurs en détresse physique et mentale : le coût oublié du chômage de longue durée (et il n’a jamais duré aussi longtemps…)<!-- --> | Atlantico.fr
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La perte d'emploi est destructive tant sur le plan du bien-être psychologique et psychique que sur celui de la santé physique.
La perte d'emploi est destructive tant sur le plan du bien-être psychologique et psychique que sur celui de la santé physique.
©Reuters

Chute libre

Alors que les chiffres du mois de mai sont particulièrement mauvais et que les chômeurs Français n'ont jamais été sans emploi aussi longtemps (524 jours d'indemnisation en moyenne), une étude du British Journal of Psychiatry démontre une augmentation en Europe de 6,5% des suicides liés à l'absence prolongée d'emploi.

David Bourguignon

David Bourguignon

David Bourguignon est docteur en psychologie sociale et maître de conférences à l’université de lorraine à Metz. Il est l'auteur avec Ginette Herman de plusieurs études sur l'impact de la marginalisation de l'emploi sur les chômeurs.

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Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

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Atlantico : Une récente étude de l'institut américain Gallup démontre une augmentation de la détresse psychologique liée au chômage de longue durée (voir ici). Quelles sont les conséquences physiques et psychiques de ce phénomène ? Jusqu'où peuvent-elles aller ?

David Bourguignon : La réponse est claire : la durée du chômage a un effet néfaste pour le bien-être des chômeurs. La communauté scientifique a longtemps hésité entre deux grandes hypothèses sur le rapport entre chômage et problèmes de santé. La première, baptisée "hypothèse de sélection", théorisait l'idée que ceux qui étaient marginalisés par le monde du travail étaient généralement les moins aptes, voire les plus déficients sur le plan psychologique, ce qui expliquerait leur incapacité à retrouver du travail. On pourrait la qualifier d'approche "darwinienne".

La seconde, que l'on appelle "l'hypothèse d'exposition" pense à l'inverse que c'est la perte d'emploi qui serait destructive tant sur le plan du bien-être psychologique et psychique que sur celui de la santé physique. Deux grandes séries de recherches menées dans les années 2000 ont permis toutefois de trancher entre ces deux contradictions : tout d'abord en 2005, une "méta-analyse" (ici une compilation de 110 études) penchait clairement pour "l'hypothèse d'exposition" en relatant l'apparition plusieurs fois constatée de troubles divers en aval de la perte d'emploi (faible estime de soi, humeurs négatives, penchant pour l'alcoolisme et la toxicomanie, voire mortalité dans les cas les plus extrêmes). Ces travaux ont été renforcés en 2009 par une autre méta-analyse portant cette fois sur plus de 300 études, et qui relevait là encore une hausse de la probabilité d'un déficit de santé mentale pour les personnes frappées depuis un certain temps (9 à 12 mois) par le chômage. Cette même méta-analyse avait par ailleurs cherché à trouver d'autres potentielles causes explicatives à la hausse de la mortalité notée chez les chômeurs étudiés, concluant qu'il n'existait effectivement pas d'autre biais clairement envisageables.

La privation d'emploi a donc un effet dramatique sur la santé mentale des personnes sans emploi en augmentant les problèmes somatiques, les symptômes psychologiques, la mortalité, mais aussi les risques d'addictions. On observe également un phénomène d'effets boules de neige, car le désarroi engendré empêche de retrouver du travail. On remarque une dégradation jusqu'à 9 mois de chômage, à partir de là, on aurait pu croire que l'être humain s'adapte à cette situation, mais une deuxième détérioration s'installe au bout de 29 mois. Autre élément intéressant : après une longue période de chômage, même lorsqu'on retrouve du travail on ne réatteint pas son niveau de santé mentale initial.

Nous sommes également face à des problématiques de séquences, c’est-à-dire des phases, la première étant le choc du licenciement. S'en suit un phénomène de déni et de minimisation de la situation qui vient de l'impression que ça ne va pas durer, et du fait d'avoir reçu un petit paquetage financier : par exemple, beaucoup de nouveaux chômeurs partent en vacances, ce qui paraît irrationnel. Une troisième phase de sentiment d'échec s'installe car on ne retrouve pas de travail contrairement à ce qu'on pensait.  Et enfin se créé une quatrième phase qui est plutôt de résignation où l'on commence à perdre espoir de retrouver de l'emploi.

D'après une étude du British Journal of Psychiatry, le nombre de suicidés pendant la crise de 2008 a augmenté fortement, on en compte environ 7000 de plus que pendant une période normale. Peut-on établir une corrélation entre la crise de 2008 et le nombre de suicides et de tentatives de suicides ?

David Bourguignon : Une des premières grosses études sur le chômage a été réalisée notamment par Lazarsdfeld après la crise de 1929. Ces études démontraient les liens entre le taux de mortalité et la santé mentale. On ne maîtrise pas les crises économiques, donc on ne saura rien des chiffres sur celle de 2008 avant une dizaine d'années.

Mais on connaît le lien entre dépression et tentative de suicide, et on sait qu’il y a un lien entre chômage et mortalité. Donc la crise économique créant une situation de chômage va forcément amener ce genre de comportements : destruction du bien-être et augmentation de la dépression.

Pour plus d'informations sur les résultats de l'étude du British Journal of Psychiatry, voir ici (en anglais)

Une autre étude réalisé outre-Atlantique prouve la corrélation entre le chômage et l'obésité (voir ici). Quels sont les facteurs qui expliquent ce phénomène ?

Arnaud Cocaul : On connaît le gradient socio-économique qui existe aussi en France qui prévôt dans l'obésité, c'est-à-dire qu'il y a plus de cas d'obésité chez les CSP- que chez les CSP+. Il s'agit de choix guidés par des contingences économiques : la part de l'alimentation dans le budget global d'une famille est d'autant plus lourde que la famille est modeste. Elle peut représenter 50% du budget d'une famille modeste, contre 13% pour une famille plus aisée. La part globale de l'alimentation a chuté depuis les 20 dernières années, on est passé de 17 à 13% maintenant au profit d'autres dépenses comme internet. Les choix alimentaires d'une population modeste ne sont pas les mêmes qu'une population plus aisée.

Quand on parle de manger des fruits et des légumes, le message est compris par tout le monde mais inapplicable dans le cas de population modeste, pour des raisons de coût économique. Une population modeste va se diriger vers des aliments plutôt gras parce que ça coûte moins cher, il est quasiment mission impossible de trouver un aliment d'excellente tenue nutritionnel bon marché.

Quand on est dans une situation de chômage on a tendance à se désociabiliser, et donc avoir des horaires qui ne ressemblent plus du tout à la population ambiante : vivre la nuit, dormir la journée. On se dévalorise et se coupe du lien social, ce qui participe à la mésestime de soi, la priorité n'est plus de faire attention à son apparence. Il y a une corrélation également prouvée avec l'obésité infantile. Une famille vivant avec moins de 900 euros par mois, le risque d'obésité pour l'enfant est de 18%, contre 8% pour une famille qui gagne plus de 5000 euros. Il y a un gradient net lié au pouvoir d'achat : pour modifier les chiffres de l'obésité en France, ça passe aussi par une amélioration du pouvoir d'achat.

Quels facteurs sociaux entrent en jeu ? Dans quel schéma de vie le chômeur s'installe-t-il ?

David Bourguignon : Le travail apporte énormément à l’être humain. L’homme a besoin de travailler parce que le travail répond à toute une série de choses dont l’homme a besoin pour être bien. Le premier besoin étant les conditions de travail (salaire), c’est-à-dire les biens matériels. Pour les chômeurs, cette tension financière est un traducteur très important du mal-être, ce qui fait que la situation de chômage est vécue plus difficilement dans les pays à faible sécurité sociale. A côté de ça, il y a d’autres éléments comme le fait d’avoir un réseau social : quand on a un travail on rencontre d’autres personnes. On a également une structuration du temps : on se lève le matin et on sait pourquoi, on a aussi des buts et des objectifs dans la vie.

Et puis il y a tout ce qui est facteurs sociaux, parce que l’être humain a l’habitude de vivre en société. Le travail a une valeur prédominante derrière la famille et la santé. Donc quand vous n’avez pas de travail vous rompez avec ce qu’on appelle la normalité, vous n’êtes plus dans la norme. Face à ce qui est déviant l’être humain a tendance à avoir une attitude de rejet. Beaucoup d’études montrent que la discrimination que vivent les chômeurs participe à leurs difficultés de vivre et touche aussi leur santé mentale. Les stéréotypes créent un sentiment de menace et les amènent à moins vouloir s’insérer professionnellement, mais également socialement.

Quelles sont les risques pour la santé mentale ? Quel suivi psychologique peut-on préconiser ?

David Bourguignon : Les chômeurs se créent une identité. Cette appartenance au groupe de chômeurs est intégrée par les chômeurs eux-mêmes, elle fait partie de ce qu’ils sont. Ce qui est dramatique avec cette « identité de chômeur » c’est qu’elle va en quelque sorte détériorer leur santé mentale.

Risques de dépression sévère, problèmes somatiques (allergies, infections), des troubles du sommeil, donc c’est à tous les niveaux.

D’une certaine manière, à l’heure actuelle, les politiques d’accompagnement des chômeurs poussent vers un suivi beaucoup plus individualisé avec risque de sanction. Nos études montrent des résultats plutôt négatifs car cette méthode créée un sentiment de menace : le poids de la sanction est prédominant. Il faut des politiques d’accompagnement des chômeurs où ils se sentent aider, où on souligne l’ensemble des moyens à leur disposition pour les aider à s’en sortir et surtout arrêtons de reporter la faute sur le chômeur. Il est victime d’une situation économique. Il faut un suivi d’encouragement, c’est à dire un parachute : il faut essayer de les amener à sauter dans le monde du travail, en sachant qu’ils risquent de ne pas en trouver.

La détresse psychologique engendrée par le chômage de longue durée est-elle la même selon les pays, les cultures, les croyances ?

David Bourguignon : Il faut mieux être au chômage dans les pays scandinaves : ce n’est pas le chômeur qui est évalué c’est celui qui l’accompagne. C’est une manière de penser l’accompagnement autour du dialogue. En Afrique, vous n’avez pas de boulot, vous ne mangez pas donc le problème est tout autre. Tout dépend des valeurs méritocratiques. La valeur travail a été fortement mise en avant par l’idéologie du protestantisme.

Que représente le chômage aujourd'hui ? Comment cette vision a-t-elle évolué ?

David Bourguignon : La valeur travail reste une des valeurs centrales pour la plupart des gens dans les pays occidentaux. D’une manière générale, les chômeurs sont perçus encore comme des gens incompétents, incapables, et asociales. Naturellement on pense que le chômeur est en faute. Sauf cas particuliers comme les chômeurs victimes d’un licenciement collectif, ils sont moins stigmatisés.

Propos recueillis par Marie Deghetto

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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