Sommet anticorruption à Londres : 300 économistes demandent la fin des paradis fiscaux, mais peut-on réellement se passer de ces zones d’exception ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Sommet anticorruption à Londres : 300 économistes demandent la fin des paradis fiscaux, mais peut-on réellement se passer de ces zones d’exception ?
©Pixabay

Voeu pieu

Ce jeudi 12 mai, David Cameron préside le Sommet international de lutte contre la corruption à Londres. Dans la perspective de cette rencontre, Oxfam a publié une lettre de 300 économistes, dont Angus Deaton, Thomas Piketty, ou encore Olivier Blanchard, qui demandent aux dirigeants de mettre fin aux paradis fiscaux. Mais il semblerait que les Etats n'ont aucune raison de s'attaquer à ces territoires d'exception.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »
Jean-François Fiorina

Jean-François Fiorina

Diplômé de l’INSEEC Bordeaux et d’un MBA à l’University of America de San-Francisco, il commence sa carrière en tant que banquier à la BRED avant de devenir consultant à l’international. En 2003, il prend la tête de l’ESC Grenoble, l’une des 4 écoles de GEM. En septembre 2012, il est promu directeur adjoint de Grenoble Ecole de Management.

Ardent défenseur de la pédagogie différenciée, il milite et œuvre pour un enseignement des futurs managers, ouvert sur la société et sur le monde, basé sur la création de passerelles entre les différentes disciplines : management, ingénierie, design, art, géopolitique…

Il développe  ces sujets et fait part de ses convictions sur son bloghttp://blog.educpros.fr/fiorina/. Editeur des notes CLES (notes hebdomadaires d’analyse géopolitique), il est cofondateur du Festival de Géopolitique de Grenoble

 

Voir la bio »

Atlantico : Ce jeudi 12 mai, le Premier ministre anglais David Cameron présidera le Sommet international de lutte contre la corruption à Londres, qui a pour objectif de renforcer l’action mondiale visant à révéler, punir et éliminer ce type de malversations. Depuis plus d'un mois et le scandale des Panama papers, la question des paradis fiscaux focalise l'attention de l'opinion. Des décisions sur la question ont-elles des chances d'être prises à cette occasion ?

Jean-François Fiorina : Le communiqué final indiquera que tous les pays ont pris conscience de l’importance de ce fléau et feront tout pour le combattre !

Sauf que cela ne dépassera pas le stade des bonnes intentions car d’une part seront présents des pays classés parmi les plus corrompus du monde et qu’un grand nombre de pays ont eux-mêmes des territoires qui peuvent être assimilés à des paradis fiscaux. Je pense aux Etats Unis avec l’état du Delaware (le journal Les Echos a publié le 2 mai un long reportage sur ce petit territoire qui n’a rien à envier à des paradis fiscaux exotiques) ou à la Grande Bretagne avec une partie de la City.

En pleine période pré-électorale sur le Brexit (une sortie de l’Europe aurait des conséquences importantes sur l’activité de la City), David Cameron devra faire preuve de créativité et se montrer habile négociateur. 

Quoi qu’il en soit, la question des paradis fiscaux sera abordée mais non pas sous un angle fiscal mais comme base de montage et de financement des opérations de corruption. Malheureusement, les montants (de corruption) sont de plus en plus sophistiqués et nécessitent de passer par des territoires discrets, comme les paradis fiscaux. 

Dans la perspective de ce sommet, l'organisme Oxfam a publié ce lundi 9 mai une lettre de 300 économistes, dont le Nobel 2015 Angus Deaton, Thomas Piketty, ou encore l’ex-économiste en chef du FMI Olivier Blanchard, qui demandent aux dirigeants de mettre fin aux paradis fiscaux. Selon eux, l'existence des paradis fiscaux ne contribue pas à la richesse mondiale ou au bien-être global, ils n'ont aucune justification économique". Dans quelle mesure cette assertion est-elle exacte ?

Jean-François Fiorina : Ne l’oublions pas, ces paradis fiscaux contribuent à enrichir une toute petite minorité composée d’entreprises (pour la plupart des multinationales), de grandes fortunes ou les fortunes mal acquises !

Ils ne contribuent pas à la richesse mondiale. Je ne dirais pas cela de cette manière. Je pense qu’ils ne permettent pas une juste répartition des richesses au bénéfice de tous mais au profit comme je viens de le dire d’une très faible minorité. Il y a incontestablement au vu des économies d’impôt réalisées, création de richesse mais inaccessible au commun des mortels.

Comme nous sommes, il ne faut pas l’oublier, en période de récession économique, cette inégalité se traduit en injustice. Injustice qui ne cesse de croître. Comme en plus, les affaires (la dernière en date étant celle des Panama Papers) apparaissent régulièrement au grand jour sans que l’on ait l’impression que nos dirigeants agissent, ce sentiment d’injustice se transforme en écœurement

Par ailleurs, les paradis fiscaux existent depuis l’antiquité. S’il n’y avait pas eu de justification économique, je doute qu’ils existeraient encore...

Si les paradis fiscaux sont régulièrement dénoncés par nos dirigeants, ceux-ci semblent moins enclins à les combattre concrètement. Quel intérêt géopolitique peuvent représenter ces territoires ?

Alexandre Delaigue : Il y a plusieurs éléments de réponse. Nous pourrions nous demander comment ces types de territoires sont apparus. Initialement, beaucoup sont issus de la décolonisation, notamment britannique. Offrir à ces petits pays sans vraies perspectives économiques la possibilité de devenir un paradis fiscal s'apparentait à une sorte d'aide au développement. Nous leurs avons accordé ce privilège pour leur créer une niche économique. Ce genre de niche est courant dans les petits territoires depuis la création de Monaco au XIXème siècle, qui s'est développé avec une activité fort règlementée ailleurs : les casinos. Pour ces pays, il n'y a pas d'autre possibilité pour s'en sortir que cela. 

Un autre facteur a beaucoup joué dans les années 1950 et 1960, c'était la Guerre froide. Il fallait payer des chefs d'Etat étrangers, des espions à l'étranger, etc. Ce type de structure était indispensable. Au-delà de la Guerre froide, les pays ont besoin de réaliser des paiements de manière anonyme à différents pays. Il y a plein de pays, comme le prouve l'affaire des Panama papers, dans lesquels le gouvernement cherche à dissimuler ses biens auprès de la population. Nous pouvons penser à la Russie, où plusieurs milliardaires sont concernés. Ces gouvernements auraient donc des raisons de ne pas trop pénaliser les paradis fiscaux. 

Une autre raison plus secondaire, c'est que les pays riches occidentaux sont dans des situations de porte-à-faux. Ils n'ont pas énormément envie de taxer les riches et les entreprises. Il y a une volonté d'avantager certaines entreprises. Cela peut être pour les attirer. C'est un peu ce que nous avons avec l'Irlande qui appuie sa stratégie là-dessus en étant une plateforme pour le reste de l'Union européenne. Il y en a d'autres qui veulent afficher une fiscalité importante, mais dans le même temps, ils savent que cela pose problème aux entreprises. Ils vont alors créer des soupapes à l'intérieur, avec des niches fiscales pour les riches, ou à l'extérieur, en acceptant qu'une partie des gains des riches partent à l'étranger. Ce statu quo a marché jusque dans les années 1970-1980. Il y avait des taux d'imposition très élevés et dans le même temps tout le monde savait qu'il y avait la possibilité de s'installer ailleurs pour payer moins d'impôt. Tout le monde acceptait par exemple qu'Alain Delon habite en Suisse pour des raisons fiscales. La situation est un peu différente, car nos perceptions ont changé, mais cela perdure. Nous laissons nos entreprises utiliser toutes les méthodes d'optimisation pour se préserver des impôts que nous avons votés nous-même. C'est une forme d'hypocrisie.

Le dernier élément est le lobbying. Si vous tentez d'interdire certaines pratiques financières, le lobby bancaire va expliquer qu'il risque d'être pénalisé et qu'il y aura une distorsion de concurrence avec les étrangers qui ont le droit de le faire. Le principal paradis fiscal est les Etats-Unis où il est possible de créer des sociétés écrans de manière bien plus sophistiquée que ce qu'il est possible de faire au Panama. Si vous souhaitez en créer une demain au Panama, vous devrez fournir une preuve de votre identité, même s'ils ne la communiqueront pas. Par contre, si vous êtes américains et que vous voulez créer une société offshore au Delaware, vous n'avez même pas besoin de fournir votre pièce d'identité. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !