Si vous voulez comprendre votre ado, il vous faut comprendre ce qui se passe à son âge dans le cerveau <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Dans quelle mesure le cerveau adulte diverge-t-il de celui des adolescents ?
Dans quelle mesure le cerveau adulte diverge-t-il de celui des adolescents ?
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Risque-récompense

Le cerveau des adolescents, encore en cours de développement, pourrait les pousser à prendre davantage de risques que les adultes, selon une étude de l'Université de Pittsburgh.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

Voir la bio »

Atlantico : Une récente étude réalisée par Beatriz Luna de l’Université de Pittsburgh, suggère que le cerveau des adolescents, encore en cours de développement, pourrait pousser ces derniers à prendre davantage de risques que les adultes. En cause ? Un système risque-récompense qui tend à gonfler l'intérêt prêté à cette dernière. Comment l'expliquer, au juste ?

André Nieoullon : Sans vouloir d’amblée se focaliser sur les fonctions cognitives et les processus émotionnels, il est clair que le contrôle des émotions et des actions volontaires fait intervenir de larges territoires du cortex cérébral, reconnus notamment comme appartenant au lobe frontal, à l’avant du cerveau. De ces interactions entre le système limbique, impliqué dans le contrôle des émotions et les processus motivationnels, et les aires cortico-frontales, émerge la capacité d’adapter les comportements et de ressentir les conséquences de ces actions. Dans le contexte du développement, qui intervient au cours de la première période de la vie, il s’avère que la maturation des aires cortico-frontales est très tardive par rapport à l’ensemble du processus concernant les autres régions cérébrales. Schématiquement, cette maturation amenant à la fonctionnalité de ces régions corticales frontales s’étale dans l’espèce humaine sur plus d’une vingtaine d’années, soit environ sur près d’un quart de la durée de vie moyenne, ce qui est tout à fait considérable. 

Le processus de maturation comprend deux grands types de mécanismes : un processus de sélection des connexions cérébrales, se traduisant par une élimination drastique de synapses surnuméraires dans des circuits neuronaux peu ou mal utilisés, qui contribue à éliminer les synapses en excès pendant la toute première partie de la vie et en particulier durant l’adolescence (c’est la période pendant laquelle la perte de synapses est la plus importante) et un second mécanisme dit de myélinisation des axones des neurones, contribuant quant à lui à stabiliser les connexions entre structures cérébrales et à optimiser les échanges de messages nerveux dans ces réseaux neuronaux. C’est en particulier ce second mécanisme qui prend beaucoup de temps et qui fait que les circuits neuronaux concernés ne sont réellement fonctionnels qu’à l’âge adulte.

Au total, ceci explique que les adolescents ne soient pas toujours en capacité d’avoir un comportement rationnel, notamment lorsque les aspects émotionnels des comportements sont en jeu. Comme les conséquences des actions ne sont dès lors pas forcément pris en compte avec justesse, alors peuvent effectivement être observés des comportements basés sur la recherche immédiate d’un plaisir (la récompense) qui ne prend pas en compte totalement le risque lié à une forme d’impulsivité. De façon générale, on peut ajouter qu’intervint à ce stade une sorte d’hyperactivité comportementale et jusqu’à des négligences de certaines informations sensorielles, susceptible de traduire des troubles attentionnels qui font que le comportement de l’adolescent n’est pas toujours en adéquation avec le contexte environnemental auquel l’individu doit normalement s’adapter. Dans certains cas, ces déficits liés à une forme d’impulsivité non contrôlée prennent une forme pathologique que l’on retrouve dans des syndromes liés à la schizophrénie ou encore dans des syndromes de troubles attentionnels liés à une hyperactivité chez l’enfant. Finalement, la rationalité des comportements prend normalement et progressivement en compte les données mémorisées de l’expérience vécue par l’individu. Dans le cas de ces adolescents, l’expérience est le plus souvent encore limitée et les circuits neuronaux permettant la mise en mémoire et l’utilisation des informations est également encore balbutiante, ce qui contribue à une certaine inadéquation de ces comportements avec ce qui est attendu.

Sans vouloir là encore être trop schématique et encore moins réductionniste, il s’avère que certains systèmes neuronaux particuliers semblent jouer un rôle dans ces processus, notamment le système dopaminergique innervant les aires cortico-frontales et le système limbique. De fait, il existe une corrélation entre la capacité des individus à sélectionner les stratégies comportementales les plus appropriées et, plus généralement à exprimer la plénitude de leurs fonctions cognitives, et la présence d’un pic d’innervation dopaminergique corticale émergeant aux derniers stades du développement.

Cet état de fait permet-il d'expliquer les difficultés que certains parents peuvent éprouver à comprendre leurs enfants ou leurs jeunes adolescents ? Dans quelle mesure le cerveau adulte diverge-t-il de celui de nos petites têtes blondes, exactement ?

Manifestement, ce que vous décrivez comme une forme de conflit intergénérationnel traduisant une sorte d’incompréhension entre parents et jeunes adolescents peut trouver son origine dans cette immaturité constitutionnelle que je viens de décrire et qui peut rendre compte d’actes jugés parfois quelque peu irresponsables par des parents désarmés face au comportement de leur enfant. De façon un peu schématique, on pourrait dire que les référentiels de base des uns et des autres ne sont pas toujours compatibles pour juger d’un comportement que l’adolescent va trouver naturel et les parents, irrationnel… Comme je viens de le mentionner, l’immaturité relative des aires cérébrales impliquées dans les comportements des jeunes adolescents ne leur permet pas forcément de prendre le recul nécessaire à l’analyse, notamment des conséquences de leur action et conduit parfois à des conduites à risque que les adultes ont du mal à accepter. Mais, en règle générale, ces comportements sont de nature transitoire et au fur et à mesure que s’accomplit le processus de développement cérébral, les choses rentrent dans l’ordre, après une période considérée parfois comme difficile des relations parents-enfants.

Qu'est-ce que cela peut impliquer, notamment en matière d'éducation ? Comment tirer profit autant que faire se peut, tant à l'école qu'à la maison, pour permettre aux adolescents d'apprendre aussi bien que possible ?

Si l’on admet que le processus de maturation du cerveau intègre, au-delà d’une dimension génétique, de fortes interactions de l’individu avec son environnement, alors il est clair que l’expérience personnelle va enrichir le répertoire comportemental du jeune au cours du développement. Un certain nombre de données attestent de l’impact majeur de ces expériences personnelles sur le développement du cerveau, ce qui est traduit par l’influence de l’enrichissement du répertoire et de la mise en mémoire des conséquences des actions, bonnes ou moins bonnes pour l’individu. Ici intervient le concept de régulation épigénétique de la maturation du cerveau, selon lequel l’expérience vécue influence le processus de sélection des connexions nerveuses dont il est fait état plus haut. Plus généralement, comme vous le mentionnez, c’est donc tout ce qui concerne l’éducation du jeune qui est en question et qui va lui permettre à la fois d’acquérir les informations nécessaires au jugement des conséquences de ses actions, ainsi d’ailleurs que les règles propres à la société dans laquelle il évolue. Et plus l’apprentissage de ces fondamentaux est avancé, plus l’adolescent est à même de se forger sa propre opinion, voire de corriger par lui-même ses comportements qui deviennent ainsi, au regard de la société, de plus en plus rationnels, dans une forme de cercle vertueux. Mais tout ceci n’est possible qu’en prenant en compte la cinétique du développement cérébral, qui va donc s’étaler sur une longue période de la vie.

Dans les faits, il semblerait que le cerveau des filles et celui des garçons n'évoluent pas exactement de la même façon, une fois que commence la puberté. Quelles sont les différences notables et se poursuivent-elles après la fin de l'adolescence ?

De façon conventionnelle et bien que cela fasse débat, il est admis que le développement des jeunes filles évolue plus rapidement que celui des garçons. De fait, on reconnait en général une maturité plus précoce des filles par rapport à celle des garçons. Il est vraisemblable que, si cela est, ce serait en rapport avec le processus de puberté plus marqué chez les filles que chez les garçons. Ici intervient un autre concept selon lequel l’état hormonal est également à même d’influencer le processus de développement du cerveau. Je ne suis en aucun cas un spécialiste de ces changements hormonaux et de leur influence sur le développement cérébral mais il est commun d’admettre que cette dimension est à prendre en compte au même titre que l’influence de l’expérience comportementale. Et dans ce cas il est ainsi possible que si la maturation sexuelle des filles précède celle des garçons, ce qui est discuté par ailleurs, alors effectivement cet état hormonal peut influencer de façon différentielle le développement des capacités du cerveau et en particulier des fonctions cognitives.

Cette tendance au risque, dont font preuve les jeunes adolescents, se constate aussi au sein d'autres espèces... et notamment chez les Chimpanzés. Qu'est-ce que cela dit de la capacité d'adaptation et de réécriture du cerveau ?

Oui, vous avez raison de le souligner. Toutefois il existe des différences majeures entre le cerveau de l’homme et celui des primates subhumains. Parmi ces différences, il est un fait que le lobe frontal, dont on a vu plus haut toute l’importance pour la régulation des comportements, est exceptionnellement développé dans l’espèce humaine par rapport aux autres primates, dont les chimpanzés que vous citez. Chez l’homme adulte le lobe frontal représente schématiquement environ un tiers de l’ensemble de la masse corticale, ce qui est loin d’être le cas chez les singes, y compris les plus développés. Bien entendu, on peut également se référer à des fonctions de communications inter-individuelles beaucoup moins pertinentes chez les singes, comme le langage notamment, qui prennent beaucoup de temps à se mettre en place, et, plus généralement, aux fonctions cognitives. Quant à en déduire que les conduites à risque sont plus présentes chez les jeunes singes que chez nos adolescents, je vous en laisse la responsabilité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !