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Une photo aérienne prise le 7 décembre 2021 montre des conteneurs empilés dans un port de Lianyungang, dans l'est de la Chine.
Une photo aérienne prise le 7 décembre 2021 montre des conteneurs empilés dans un port de Lianyungang, dans l'est de la Chine.
©STR / AFP

Nouvelles pénuries ?

La crise sanitaire a révélé les failles et les difficultés sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. La situation pourrait se reproduire en 2022.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Cette année, la crise sanitaire a révélé d’importantes faiblesses et provoqué de nombreux remous sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. La pandémie a exposé les entreprises et les économies à leurs défaillances à ce propos et si les consommateurs n’ont pas connu de pénuries à proprement parler en 2021, on peut se poser la question pour l’année prochaine. Est-ce que ce qui a causé des goulots d’étranglement cette année a été réglé ?

Jean-Marc Siroën : Les mesures sanitaires ont davantage contracté la production que le pouvoir d’achat grâce aux mesures de type « quoiqu’il en coûte » prises dans le Monde. De plus, le confinement a réduit certaines dépenses (spectacles, tourisme, ...) permettant une accumulation de l’épargne qui s’est en partie libérée dès que les contraintes sanitaires ont été allégées. La reprise a ainsi été plus forte que prévu créant des pénuries en amont des processus de production et dans le transport des marchandises ce qui a, par ailleurs, alimenté l’inflation qui est l’autre versant du « mal ». Alors qu’on s’attendait à une flambée du chômage, c’est aujourd’hui le manque de main-d’œuvre qui entretient la pénurie dans les secteurs en tension.

Cette situation a été aggravée par un diagnostic initial erroné. On a voulu voir dans le ralentissement économique initial une crise économique « keynésienne » d’insuffisance de la demande ce qui a poussé les gouvernements et les banques centrales à surréagir. Cette politique a certes accéléré la reprise, mais aussi les pénuries, l’inflation et … la spéculation financière. Pourtant l’origine de la crise n’était ni économique, ni « keynésienne ». Elle était sanitaire et créée par des mesures de type confinement qui conduisaient mécaniquement à réduire l’offre.

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Cette erreur d’analyse a été partagée par les entreprises qui n’ont pas vu venir la reprise. Elles se sont reposées sur leurs stocks, ont réduit leurs investissements et limité leur voilure ce qui ne leur a pas permis de répondre autant qu’il aurait fallu à une reprise « inattendue » qui était pourtant prévisible. Elle aurait même été plus forte sans les blocages en amont de la chaîne de valeur. Aujourd’hui, dans un secteur comme l’automobile, ce sont les délais de livraison qui rationnent de facto les consommateurs.

Les entreprises ont sans doute appris à mieux gérer leurs goulots d’étranglement mais pour les réduire il aurait été nécessaire d’investir, de créer de nouvelles unités de production dans les secteurs tendus, de commander des cargos et des conteneurs, etc. Tout cela prend du temps et exige une main-d’œuvre disponible. Ces investissements reposent aussi sur des paris sur l’avenir que les entreprises, à tort ou à raison, n’ont pas toutes envie de prendre. Est-il raisonnable d’investir dans le fret alors que l’horizon n’est pas éclairci, que la crise sanitaire n’est pas derrière nous, que les tensions protectionnistes restent fortes (comme le montrent les dernières mesures américaines sur l’automobile) et que la transition écologique remet en cause les priorités ?

Quels sont les facteurs et secteurs à suivre pour savoir à quoi va ressembler l’année 2022 sur le plan des chaînes d’approvisionnement ? Que nous disent les indicateurs actuellement ?

Les goulots d’étranglement ont concerné tous les niveaux de la chaîne mondiale de valeur. En amont, les matières premières (pétrole, bois, minerais, etc.), au stade intermédiaire, les composants (microprocesseurs, papier et carton, etc.) et en aval, le transport et notamment le transport maritime. Au-delà des accidents climatiques et autres blocages presque anecdotiques (le navire bouchant le Canal de Suez), les pénuries persisteront tant que le Covid contraindra la production, prolongera les incertitudes, pèsera sur l’investissement.

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Le discours tenu aussi bien par les entreprises en difficulté que par les banques centrales, préoccupées par la répercussion des pénuries sur les prix, a longtemps été que l’ajustement était transitoire et se réaliserait assez vite, dans le courant de 2022. Depuis, les délais n’ont pas cessé d’être rallongés et, en effet, on voit mal ce qui pourrait aujourd’hui accélérer la production des secteurs critiques et contenir la demande de vaccins, d’automobiles ou de smartphones. Mais le plus gros risque est peut-être ailleurs : l’inversion de la nature même de la crise qui passerait d’une crise de l’offre à une crise plus traditionnelle à la suite notamment de l’éclatement de bulles spéculatives sur les marchés financiers, immobiliers ou des matières premières. En effet, les pénuries favorisent une inflation qui pourrait conduire à une hausse des taux d’intérêt à hauts risques.

Cœur de la logistique mondiale, le tarif du fret se stabilisera-t-il l’année prochaine ?

Le tarif du fret a explosé en 2021 même s’il semble aujourd’hui se stabiliser. D’une manière générale, le fret est un bon indicateur « avancé » du commerce international lui-même lié à la croissance économique. Le commerce intercontinental (Asie/Europe, Amérique) affiche aujourd’hui un colossal déséquilibre au profit de l’Asie : une plus forte demande de fret et de conteneur du pays d’origine -la Chine- vers le reste du Monde que sur le chemin inverse. Cette dissymétrie a perturbé la logistique des transporteurs. Il est parfois rentable de revenir de Rotterdam à vide pour rejoindre plus rapidement Shanghai et bénéficier de tarifs plus élevés…ce qui aggrave les difficultés.

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Dans le transport maritime, le personnel a été particulièrement touché par les restrictions sanitaires et pourra difficilement être mobilisé davantage. Par ailleurs, tant que la Chine maintiendra sa politique de « zéro covid » qui consiste à fermer une usine ou un port dès qu’un cas apparaît, les tensions resteront fortes et… fluctuantes en fonction de l’ampleur de la contamination. La plus forte virulence, aujourd’hui confirmée, du variant omicron n’invite pas à l’optimisme.

Les États ont-ils appris au cours des 18 derniers mois à se préparer aux déséquilibres que pourraient causer de nouveaux achoppements sur les chaînes d’approvisionnement ?

Ce sont d’abord les entreprises qui organisent leurs chaînes d’approvisionnement, pas les États. Ils peuvent certes agir sur l’environnement des entreprises (fiscalité, réglementation, etc.) mais l’influence est très indirecte. Les États avaient certainement quelque chose à apprendre sur la gestion des crises sanitaires, mais avaient-ils quelque chose à apprendre sur les chaînes d’approvisionnement ? La réponse dépend d’abord de celle que l’on apporte à une autre question : la crise sanitaire doit-elle être considérée comme un accident de l’histoire qui a peu de chances de se reproduire ou révèle-t-elle les failles profondes d’une organisation économique exposée à toute forme de crise ?

Les deux ont leur part de vérité : ce qui a été spécifique à la crise sanitaire, et qu’on ne retrouve que dans les économies de guerre, c'est le rationnement simultané de l’offre et de la demande. Là, on est dans l’exceptionnel. Cependant, la crise a confirmé, ce que l’on savait déjà un peu (notamment après l’accident de Fukushima) à savoir la vulnérabilité des chaînes de production aux crises qu’elles soient, climatiques, sociales, politiques, accidentelles ou autres. Cette fragilité a certes été bien perçue. Mais au-delà des déclarations tonitruantes je m’attends davantage à des ajustements qu’à des bouleversements. Je doute qu’on détricote très vite les chaînes de valeur car on ne revient pas facilement à des métiers qu’on ne pratique plus. Ce qui pourra évoluer en revanche, ce sont les grands principes de la logistique qui mettraient davantage l’accent sur la diversification des sources d’approvisionnement et un peu moins sur le « just in time » et le stock zéro.

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