Séparatismes, islamisme radical ou laïcité ? Bien pire que des errements sémantiques, le gouvernement démontre son incapacité à se définir une cible<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin ministre de l'intérieur séparatisme
Gérald Darmanin ministre de l'intérieur séparatisme
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Projet de loi

A ne pas savoir définir sa cible, le gouvernement ne risque pas de l’atteindre.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico.fr : Gérald Darmanin a annoncé que le projet de loi destiné à lutter contre le « séparatisme » allait changer de sémantique. Il va désormais s’appeler « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ». En enlevant le mot séparatiste du projet de loi, ne viennent-ils pas de montrer toute l’ambiguïté du mot « séparatiste » ?  

Vincent Tournier : Bien malin celui qui arrive à suivre ! Essayons de récapituler. Initialement, on aurait dû avoir un grand discours sur la laïcité puisque c’est ce qui avait été annoncé depuis le début du quinquennat. Puis on nous a dit que ce serait un projet de loi sur « les séparatismes » (au pluriel). Finalement, dans son discours du 2 octobre aux Mureaux, intitulé « les séparatismes », le président annonce qu’il ne va parler que du « séparatisme islamiste » (au singulier). Dans ce même discours, il dit que la laïcité n’est pas le sujet, tout en précisant quand même que la future loi aura pour mission de « renforcer la laïcité ». Et puis finalement, dernier acte, on apprend maintenant que le projet de loi portera bel et bien sur la laïcité.

Difficile de ne pas avoir le tournis. Ces inflexions sont d’autant plus déroutantes que le sujet est d’importance : on ne parle pas là d’un texte technique, on est sur un sujet qui touche à des questions fortes, presque existentielles pour le pays.

Dès lors, comment expliquer cette valse des étiquettes ? On peut avoir trois interprétations. La première est de considérer qu’il s’agit d’une stratégie consciente, dont le but est de semer la confusion pour éviter de parler du fond. C’est plausible, mais cela serait tout de même un peu risqué. L’autre explication est plus pessimiste : elle consiste à penser que le pouvoir ne sait vraiment pas où il va, donc qu’il teste un certain nombre de choses pour évaluer les réactions. Cette interprétation est assez plausible, mais on peut quand même se demander si la véritable explication ne réside pas plutôt dans le fait qu’Emmanuel Macron est en train de faire une petite révolution culturelle. D’où les hésitations et les revirements de dernière minute. En effet, le Macron de 2020 apparaît bien différent du Macron de 2017. On pourrait même se demander si un sosie ne l’a pas remplacé. Car souvenons-nous : en 2017, il vantait la diversité (notamment lors d’un discours à Marseille « Je vois des Arméniens, des Comoriens, des Italiens, des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, je vois des Maliens, des Sénégalais, des Ivoiriens », autrement dit : venez comme vous êtes et restez comme vous êtes) et il condamnait l’identité nationale (« il n’y a pas de culture française », « l’art français je ne l’ai jamais vu »). Et maintenant, il fait exactement l’inverse : il condamne la diversité (ou le séparatisme) et vante « l’identité républicaine ». Donc, si on résume, avant il disait : « vive la diversité, à bas la nation » ; aujourd’hui il dit « à bas la diversité, vive la nation ». C’est une vraie évolution, et cela peut expliquer que rien ne soit vraiment défini ou conceptualisé.

Au-delà des mots eux-mêmes, ce changement ne montre-t-il pas que le gouvernement ne sait pas fixer son objectif réel ? A-t-il un problème de diagnostic ? 

Il s’agit moins d’un problème de diagnostic que d’un problème de mise en cohérence. Car si on regarde bien le discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme, on peut voir que celui-ci dit deux choses très différentes. Le président commence en effet son discours en dénonçant un projet de nature politico-religieuse, en l’occurrence un volonté de sécession menée par les islamistes (« C'est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d'une contre-société ») mais il finit en disant que le séparatisme trouve son origine dans le manque d’effort de la société française, laquelle a créé des ghettos en concentrant la misère dans les quartiers (« Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme »). En somme, le début du discours identifie une cause politico-religieuse, et la fin une cause plutôt socio-économique ; le début pointe la responsabilité des islamistes alors que la fin parle de la responsabilité de la France. Bref, le début est plutôt destiné à la droite, tandis que la fin s’adresse plutôt à la gauche. C’est l’art du « en même temps » macronien.

Du coup, on peut présumer que la notion de laïcité apparaît plus pertinente pour trouver le point d’équilibre du futur projet de loi car c’est une notion qui est à la fois plus parlante que celle de séparatisme (l’opinion publique attend surtout une action pour contenir les débordements du religieux) et davantage susceptible de rassembler son aile la gauche et son aile droite.

Enfin, il faut relever que le terme de séparatisme tombe mal. Le président a prononcé son discours la veille du jour où les électeurs de Nouvelle-Calédonie étaient invités à voter sur l’indépendance de l’île. Or, le résultat était couru d’avance : tout le monde sait que, pour des raisons démographiques, les indépendantistes kanaks n’ont aucune chance de l’emporter. De ce fait, depuis que le processus de consultation populaire a été lancé, la stratégie des gouvernements successifs consiste à être le moins agressif possible à l’égard des kanaks dans l’espoir de leur faire accepter leur défaite et d’éviter un retour des violences. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron lors de l’annonce les résultats. Mais dans un tel contexte, on voit mal comment le président pourrait tenir un discours très dur à l’encontre des séparatistes en métropole et expliquer en même temps que les séparatistes calédoniens méritent le plus grand respect. Les communicants de l’Elysée ont commis une faute grave en n’anticipant pas la conjonction des deux calendriers.

Pour toutes ces raisons, la laïcité s’impose probablement comme le meilleur terme pour identifier le futur projet de loi, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes quand on sait que le président voulait à tout prix éviter celui-ci, comme il l’a dit explicitement dans l’introduction de son discours sur le séparatisme.

Suite au discours sur les séparatistes, Emmanuel Macron s’est-il rendu compte qu’il était allé trop loin ? 

C’est effectivement un discours très novateur, iconoclaste par plusieurs aspects, ce qui a pu surprendre ses soutiens. Cela dit, si on regarde les réactions de son camp, on n’a pas l’impression qu’il a choqué outre-mesure. Il a même reçu le soutien de plusieurs ténors de LR comme Bruno Retailleau et Christian Estrosi. De son côté, le PS a été relativement discret, comme du reste le Rassemblement national, lequel a salué une reconnaissance de ses propres analyses. Les principales critiques sont venues des écologistes et de La France insoumise, ce qui était certainement l’un des buts recherchés car cela permet de renforcer l’ancrage de ces mouvements dans leur tendance islamo-gauchiste. Donc, du point de vue de la tactique politique, c’est plutôt une réussite.

Cela étant, le problème vient plutôt du fait que, en déplaçant le débat sur le terrain de la laïcité, le président marque une rupture qui va avoir des conséquences. Jusqu’à présent, l’idée dominante des gouvernements et de la majorité des intellectuels était que la laïcité est très bien définie par les textes, et qu’il ne faut surtout pas la toucher car elle permet de préserver la liberté des religions. Or, en portant le débat sur la laïcité, le président rompt avec cette idéologie. Il admet d’une part que les textes ne sont pas suffisants et d’autre part que l’Etat doit reprendre la main car l’islam lance des défis totalement nouveaux, non prévus en 1905. Dès lors, le président admet que la laïcité en France ne consiste pas seulement à protéger la liberté de culte, mais qu’elle doit aussi avoir pour objectif de réguler les religions. Or, cela peut avoir des effets importants. Par exemple, en disant que la loi va interdire le port des signes religieux dans les entreprises privées qui travaillent avec le service public, voire qu’elle va interdire certains comportements problématiques (comme le refus de serrer la main à une femme), le président ouvre de nouvelles perspectives. Pourquoi ne pas interdire les signes religieux ailleurs ? Plus encore : en admettant que certaines personnes méritent d’être mises au ban de la société parce qu’elles refusent les valeurs fondamentales du pays, il admet que toutes les discriminations ne sont pas illégitimes. Le fait que ce soit quelqu’un comme Emmanuel Macron qui permette cet affranchissement du consensus libéral sur la laïcité en dit long sur l’ampleur des problèmes.

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