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Secrets d’Etat : quand la lutte anti-terroriste s’écarte des sentiers battus (et légaux)
©Reuters

Top secret

Alors que l'enquête sur l'attentat de la rue de Rosiers est toujours en cours 37 ans après, l'ancien patron du renseignement français, Yves Bonnet, a reconnu, devant la justice française qu'un accord secret avait été passé entre les services de renseignement français et Abou Nidal, le groupe qui en est très certainement responsable.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Les accords comme celui passé entre les renseignements français et le groupe potentiellement responsable de l'attentat de la rue des Rosiers qui avait fait 6 morts et 22 blessés sont-ils monnaie courante en France ?

Eric Dénécé : Non, mais de telles pratiques ont existé et continueront probablement d’exister. Toutefois, elles restent tout à fait exceptionnelles. De plus, pour qu’un tel accord puisse avoir lieu, il faut avoir quelqu’un avec qui négocier, c’est-à-dire une organisation hiérarchisée capable de faire respecter sa décision à tous ses membres. Cela a été a le cas avec Abou Nidal ainsi qu’avec les services syriens de Rifaat El -Assad. Mais cela n’est pas possible avec des organisations comme Daesh ou Al-Qaeda qui ne contrôlent qu’une petite partie de leurs membres et génèrent, par leur idéologie,  des vocations terroristes qu’elles ne découvrent souvent qu’à l'occasion d’un attentat. Il est impossible de négocier avec cette nouvelle forme de terrorisme.
Ce qui a été « conclu » avec Abou Nidal ou Rifaat El-Assad a peut-être aussi été négocié avec d’autres groupes palestiniens, voire l’ETA ou l’IRA.
En contrepartie du fait que ces groupes s’engagent à ne pas commettre d’attentats sur le sol français (contre des cibles françaises, israéliennes, américaines… ou autre) ou contre les ressortissants et intérêts français à l’étranger, le pouvoir politique les autorise à entrer sur notre territoire sans qu’ils soient poursuivis ou appréhendés. Ces terroristes peuvent donc venir s’y reposer ou s’y faire soigner, y installer leur famille et leurs proches pour les mettre à l’abri.
Cela ne signifie pas qu’ils ne soient pas surveillés, ni que des activités illégales sur notre sol leur soient permises (entrainement, levée de fonds, etc.) : ils doivent également s’engager à ne conduire aucune action de ce type.
Un exemple récent de ce type d’entente conclue avec un mouvement considéré comme terroriste est celui des Moudjahidines du peuple iranien. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce groupe qui conduit des attentats en Iran a été perquisitionné par la police française qui le soupçonnait de ne pas tenir ses engagements et de préparer, depuis le sol français, des opérations en Iran.

Est-ce là une stratégie efficace et assumée ?

Lorsqu’elle est possible, oui. Elle permet en premier lieu de protéger nos concitoyens et de limiter le nombre d’adversaires contre lesquels nous devons lutter.
La France n’est pas la seule a user de cette méthode. Les Américains avec l’IRA, les Britanniques avec des groupes terroristes islamistes (jordaniens, etc.) l’ont également pratiquée.
Bien sûr, cela génère toujours des tensions internationales avec les Etats qui sont victimes des attaques de ces groupes terroristes. C’est pourquoi il est essentiel de faire respecter la neutralité de ceux qui trouvent refuge, dans le cadre d’un tel accord, sur notre territoire. Car s’ils profitaient de cette situation pour organiser des attentats, cela générait immédiatement une riposte, sur notre sol, des services spéciaux des pays ciblés qui chercheraient alors à éliminer ces cellules actives. C’est donc une situation très délicate, qui doit être contrôlée constamment et qui peut être remise en question à tout moment. Le fait que les familles des activistes puissent trouver refuge en France est une redoutable monnaie d’échange pour s’assurer du respect des règles édictées. 

Est-ce bien là le rôle des services secrets ? 

Oui, car leur mission,  à côté de ce que l’on appelle la guerre de l’ombre, c’est aussi de conduire une certaine forme de diplomatie secrète. Evidemment, la conclusion de ce type d’accord ne se fait jamais sans l’aval du politique, même si tous les gouvernements nient être au courant. La décision est et reste politique, même si la négociation et le contrôle de la mise en oeuvre sont conduits par les services. De plus, pendant qu’ils sont - ponctuellement le plus souvent - sur notre territoire, nous pouvons mieux les étudier, les comprendre, les connaitre, ce qui sera utile si les hostilités avec eux reprenaient. Cela permet aussi de créer un éventuel canal de négociation entre ces groupes et les cibles auxquelles ils s’en prennent.
Mais bien évidemment, des tels accords ne sont jamais rendus publics dans l’instant, mais sont souvent révélés des décennies plus tard.

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