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Schulz stoppé net dans la Sarre : ces raisons qui expliquent pourquoi les frustrations engendrées par Merkel ne provoqueront pas de renouvellement politique en Allemagne
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Stabilité allemande

Les mauvais résultats de Martin Schulz ce week-end semblent ouvrir la porte à un nouveau mandat pour Angela Merkel. Ce qui serait dans la pure tradition allemande, moins avide d'alternance politique que la France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Après le "règne" de 16 années​ de Helmut Kohl, qui faisait suite à une longue période de domination du SPD, puis 8 années de Schröder, on pourrait voir Angela Merkel prolonger son mandat pour une durée totale de 16 ans. D'un point de vue "structurel" comment peut-on expliquer cette stabilité du pouvoir en Allemagne ? 

Edouard Husson : Attention, l'élection d'Angela Merkel pour un nouveau mandat de quatre ans à la Chancellerie, en septembre prochain, n'est pas acquise. Le bon résultat chrétien-démocrate en Sarre tient largement à la forte personnalité de la présidente du Conseil des Ministres, Madame Kramp-Karrenbauer, qui a la popularité, localement, d'une Angela Merkel d'avant la crise des réfugiés. Il y a d'autre part un contexte sarrois très particulier, puisque c'est le Land d'Oskar Lafontaine, le co-fondateur de Die Linke. Il n'empêche que sociaux-démocrates comme socialistes sont en baisse et la CDU en hausse avec une participation elle-même en hausse. Etant donné qu'il n'y a pas d'autre élection de Land avant le mois de mai, Angela Merkel a, comme souvent dans sa carrière, de la chance - son étoile ne l'a pas encore abandonnée, comme aurait dit Napoléon. Elle a mis fin, ou plutôt les quelques centaines de milliers  d'électeurs sarrois ont mis fin à l'apparente irrésistible ascension ....dans les sondages, de Martin Schulz, le concurrent social-démocrate de Madame Merkel. Les mois qui viennent vont être difficiles: la Chancelière ne dispose plus, à l'échelle nationale, d'une assise équivalente à ce qui se passe en Sarre. Elle est menacée, par ailleurs, sur sa droite, par l'AfD (Alternative für Deutschland, parti anti-euro) et le FDP (le parti libéral). Mais en fait ces deux formations n'ont pas eu une très bonne performance hier. L'AfD est à peine au-dessus de la barre éliminatoire des 5% et le FDP est en-dessous. 

Concernant Angela Merkel, et les bons résultats électoraux obtenus dans le courant de ce week-end, comment expliquer une telle domination sur l'échiquier allemand, et ce, malgré les difficultés recentes, notamment vis à vis de la question migratoire ? 

Là aussi je mets en garde contre une lecture trop rapide. Madame Merkel et Martin Schulz sont à la tête de deux partis qui gouvernent ensemble dans ce qu'on appelle la "Grande Coalition". Le problème de Martin Schulz, c'est de prouver qu'il dirigera mieux la Grande Coalition que ne le fait Angela Merkel. Martin Schulz a commis une erreur stratégique ces derniers jours: il s'est laissé aller à rêver d'une coalition dite "rouge-rouge-verte", c'est-à-dire de gauche, rassemblant sociaux-démocrates, socialistes et Verts. Et, visiblement, cela a contribué à mobiliser l'électorat sarrois en faveur de la démocratie chrétienne. A l'Ouest de l'Allemagne, il est impensable d'inclure Die Linke, un parti qui comprend dans son sein un certain nombre d'anciens communistes est-allemands ou leurs héritiers. Le dernier chancelier social-démocrate à avoir gouverné à gauche, Gerhard Schröder, était capable de constituer une colalition avec les sociaux-démocrates et les Verts, sans le Parti de Gauche allemand. Martin Schulz se trouve renvoyé à la seule option, pour lui, qui est de devenir le chancelier d'une grande Coalition, ce qui signifierait que le SPD fasse un meilleur score que la CDU. Ce n'est pas impossible mais ce sera difficile. Je pronostique plutôt une légère avance de la CDU, ce qui permettra à Madame Merkel de rester chancelière. Bien entendu, tout ceci a signifié, pour les deux partis au pouvoir, un rétrécissement de leur base électorale, respectivement à droite et à gauche. La concurrence va donc être terrible pour savoir lequel des deux partis ira, au-delà d'un socle identique de 25% de l'électorat, vers les 30%. 

Alors que la population japonaise est aussi "vieillissante" que celle de l'Allemagne, le pays a tout de même pu changer "radicalement" de politique en 2012, alors même que les politiques proposées ne semblaient être favorables aux retraités. Un tel scénario est il envisageable en Allemagne ?

Vous posez une question fondamentale. J'ai tendance à penser que les situations de l'Allemagne et de Japon sont différentes. Parce que le Japon se trouve au milieu d'une région géopolitiquement dangereuse, avec une Chine très puissante, perçue comme une véritable menace. Avec une Corée erratique et un jeu bloqué entre la Chine et les Etats-Unis qui empêchent ensemble la réunification des deux Corée. C'est, à mon avis, ce qui a provoqué un bouleversement politique aussi fort au Japon: l'inquiétude géopolitique. L'Allemagne n'a pas grand chose à craindre de son environnement géopolitique, par comparaison. Même si certains Allemands ont peur de la Russie, le rapport de force économique est largement en faveur de l'Allemagne. J'ajoute que beaucoup d'Allemands sont russophiles, et pas seulement dans l'ancienne RDA. Globalement, la société allemande est plutôt inquiète de la faiblesse de ses voisins que de leur force. L'opinion allemande a tellement peur de l'élection de Marine Le Pen qu'elle se raccroche à la perspective Macron comme à une bouée - l'image est à prendre littéralement, on ne sait pas très bien si ce qu'on tient en main est solide mais cela permet de résister aux vagues, à condition qu'elles ne deviennent pas trop fortes. Je parie donc pour un vote de sécurité politique aux élections législtives de septembre prochain en Allemagne. Madame Merkel n'est plus très populaire mais face à Trump et une Union européenne qui s'effrite, n'est-ce pas le choix le plus sûr? Martin Schulz ne manque-t-il pas d'expérience? Je ne sens pas cette société vieillissante, prospère et rentière (grâce à l'euro) mettre en danger sa propre stabilité. 

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