Scandale des fabricants de portables : quand un capitalisme de la honte entache la réputation des entrepreneurs <!-- --> | Atlantico.fr
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L’émission "Cash Investigation" a dévoilé les secrets inavouables de la fabrication de nos téléphones portables.
L’émission "Cash Investigation" a dévoilé les secrets inavouables de la fabrication de nos téléphones portables.
©Reuters

Les entrepreneurs parlent aux Français

L’émission "Cash Investigation", diffusée mardi 4 novembre sur France 2 et présentée par Elise Lucet, a dévoilé les secrets inavouables de la fabrication de nos téléphones portables. Coup de gueule d'un entrepreneur.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Nous, entrepreneurs, rêvons de réconcilier, depuis toujours, les Français avec l’entreprise. Mais l’entreprise leur donne malheureusement trop souvent une raison de ne pas y croire. En tous cas, certaines entreprises. Les entreprises de la honte. Celle qui tire leurs profits de la désolation et de l’exploitation. Celles pour qui l’homme est une simple et inexistante variable. Celles pour qui exceller est trop complexe et qui préfèrent gagner en visant sous la ceinture plutôt que de s’élever par leur innovation et intelligence.

Depuis cette semaine, j’ai la sensation d’avoir 13 ans quand je pianote sur mon téléphone.

Pour aussi exaspérante que puisse être, parfois, Elise Lucet, de France 2, par son arrogance et une façon souvent démagogique de traiter ce qu’elle appelle "le monde des affaires", cette émission qui se fait souvent la "grande faucheuse" de la culture entrepreneuriale, elle a, dans son dernier reportage, marqué un point. Voire plusieurs.

Le scandale, et le mot est faible, pour désigner la honte qui recouvre la fabrication de nos portables.  J’ai eu 13 ans cette semaine, car je voulais à tout prix être cet enfant-là pour crier devant nos citoyens ma honte. Cet enfant qui chaque jour, pour une obole misérable, au prix de sa vie souvent, se glisse dans un trou noir sous terre pour que nous  puissions glisser un portable dans notre poche. Cet enfant qui gratte de ses mains la terre, à la recherche des matières rares qui donnent vie à notre mobilité. Cet enfant qui ne pourra, avec une vie de salaire, s’offrir ce qu’il contribue à fabriquer. Cet enfant avantageusement loin de chez nous, pour mieux cacher le forfait d’un capitalisme qui ne mérite plus aucune assimilation même lointaine au monde de l’entrepreneuriat.

A la fin de l’émission, j’ai arraché la puce de 2 de mes portables et les ai mis au fond d’une valise à la cave. De honte. Pour l’éloigner le plus possible. De peur qu’il ne me contamine et marque mes empreintes d’une pellicule de honte.

Les faits étaient clairs et l’attitude des dirigeants lamentables. La vérité était limpide et la lâcheté des responsables d’autant plus flagrante. Elle illuminait de honte la définition que j’aime tant mettre en avant pour définir l’entrepreneuriat.

Une passion individuelle d’utilité collective. Un fier étendard dans un ciel dont la liberté s‘éloigne chaque jour, faute à une classe politique incompétente et castratrice. Une lueur d’espoir dans un monde en crise. Tout à coup, j’ai senti, en regardant effaré ce capitalism- là, à quel point nous pouvions, à cause d’eux, perdre tout le respect et l’engouement que notre engagement, notre foi, pouvait susciter.

C’est pourquoi ces patrons resteront des sous-produits de l’entrepreneuriat, des esclaves contraints, aux salaires du coup abusifs, des fonctionnaires du privé, de petits soldats ridicules mais dangereux, d’une dictature, qui leur permet de détourner le regard de problèmes graves au profit d’une rentabilité facile. Pour qui l’honneur n’a plus ni sens, ni contenu. Pour qui le cours de bourse remplace le sens de l’humanité.

Suis-je devenu communiste à cause d’Elise Lucet ? Est-ce le premier scandale auquel un capitalisme à bout de souffle pousse la société ? Suis-je un utopiste de la lignée de ces chevelus qui écrivent "nuklera nein danke" sur leur bus volkswagen ? Suis-je tout à coup atteint d’un ebola socialisant ?

Non, je suis juste fier d’être entrepreneur et ne souhaite pas que ces pantins viennent ruiner et entacher la beauté d’une définition magnifique, d’un objet magique, d’un joujou extra, synonyme de liberté, de responsabilité et d’humanité.

J’aimerais vous dire ce qui fait, à mon sens, l’entrepreneur. Les mots qui permettent de tracer une frontière entre les "modèles originaux" et les autres. Entre les purs et les simulateurs, les prétendants et les usurpateurs.

La responsabilité. Un entrepreneur est responsable. Depuis la première minute où il créé il s’engage et engage sa vie par chaque ligne de ses statuts. Chaque erreur est payée "cash" et aucun filet de protection pour lui fournir refuge. Il n’est pas le fusible mais le système électrique tout entier.

La transparence. Un entrepreneur peut ne pas être vertueux. Bien sûr. Mais la taille de son entreprise ne permet pas de créer les écrans de fumée qui pourraient dissimuler ses turpitudes bien longtemps. Pas d’armée de petits soldats dérisoires mais efficaces, de la communication pour protéger et camoufler ses turpitudes. Sa taille remplace, parfois, sa conscience ou son manque de valeurs.

Il est en première ligne et décide. Les décisions, bonnes ou mauvaises sont les siennes. Si il prend un mauvais chemin, il devra tôt ou tard l’assumer. Il ne pourra prétendre qu’il ignore d’où viennent les choix opérés et se réfugier dans l’ignorance d’une chaîne épaisse de lointains partenaires ou fournisseurs, dont la liste lui échappe. Car il les a lui-même mis en place. C’est toute la différence entre être concerné et impliqué. L’entrepreneur est impliqué car son entreprise, c’est lui.

Les dirigeants pitoyables, de Samsung, Huawei, Nokia ou HTC (Apple ?) que nous avons vu appartiennent à une autre catégorie. Ce ne sont pas des entrepreneurs. L’engagement et la responsabilité ne font pas partie de leur vocabulaire, car l’entreprise qu’ils dirigent n’est qu’un élément de leur parcours professionnel. Une étape. Rien à reprocher à cela sur le principe, à partir du moment où l’on ne perd pas toutes ses valeurs en se glissant derrière son nouveau fauteuil de direction assistée.

Ce ne sont pas non plus des patrons. Un patron assume. Il n’est pas forcément vertueux non plus, mais quand il faute, il assume, ne fuit pas ses responsabilités et sait corriger le tir. Ces patrons-là n’en sont pas.

Ce sont de futiles petites marionnettes, de petits exécutants qui se distinguent de leurs employés par la taille de leur voiture et le nombre de leurs secrétaires. Leur capacité à avaler des couleuvres et les défendre est aussi importante pour ceux qui les recrutent que leurs compétences réelles. Comme les politiques, ce ne sont pas toujours les meilleurs mais les plus calculateurs qui gagnent.

Ce sont des esclaves de luxe. Des coqs dans leur poulailler de proximité mais des nains à l’échelle de leur groupe. Ils ne décident rien, servent un système sur lequel ils n’ont aucune prise. Coincés, passés un certain âge, entre la peur du chômage et les apparences qu’un discours bien rôdé et imposé leur fait passer comme la réalité. Mais comme disait un grand philosophe, ce n’est pas forcément grave de mentir, ce qui est grave, c’est quand on commence à y croire.

Ce qui m’a marqué et marqué tous les entrepreneurs avec qui j’ai échangé depuis, c’est leur lâcheté. Un révélateur instantané de leur dérision. De leur petite existence, qu’aucun entrepreneur ne voudrait échanger. Contre tout l’or du monde.

Voir à quel point ils doivent se renier, refuser le combat, ne pas assumer, sourire pour la caméra en la fuyant au plus vite. Aucun d’honneur, aucune de ses qualités qui définit un homme et le distingue de la bête. Incapable de sortir d’un discours officiel, surveillé par des directrices de communication aussi ridicules que coupables, mais pavoisant néanmoins. Ils débitent, en playback, une chanson qu’ils n’écriront jamais.

Nous espérons tous que jamais la vie ne nous conduira aussi bas. Leur vie n’a pas de sens car malgré les joujoux dont les parent leurs conseils d’administration, pour faire passer le vide et le ridicule de leur position. Assumer et décider. Impossible pour eux. Incontournable pour nous.

Heureusement, nombre d’entre eux ont eux, ces qualités. Ceux que nous avons vus lors du reportage doivent disparaître. Ils sont la honte du capitalisme, un fusible qui doit sauter à condition que le système dont ils sont une simple courroie, puisse lui aussi se réformer. Car ce capitalisme-là, nous n’en voulons plus. Nous voulons un capitalisme d’excellence, qui puisse tirer la vision de l’entreprise vers le haut.

Je retiendrai aussi de ce reportage que le patron de Wiko est non seulement moins cher, mais plus courageux. Comme quoi un prix plus élevé n’est pas "responsabilité " incluse. Il a dit "je ne savais pas", il a ajouté "j’ai honte", il a expliqué "nous avons 400 fournisseurs pour un téléphone et ne les connaissons pas ou peu" et il a conclu en disant "plus jamais". Et il a mis parole à exécution. Rupture de relation avec les sociétés en question. Il a affronté la caméra, les questions, a laissé parler ses tripes et n’a pas regardé sa responsable relation presse avec l’œil apeuré du gamin qui regarde ses pieds pour savoir ce qu’il pouvait dire ou non.

Nous devons, entrepreneurs, malgré nos propres turpitudes, car nous ne sommes et ne seront jamais parfaits, rester ceux qui assument, acceptent la notion de responsabilité. Et jamais refuser la première ligne. C’est à ce prix que l’entrepreneuriat deviendra une valeur cardinale. Et que nous serons canonisés !

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